
Urbex aux Forges de Trignac
L’onirisme des grandes tôles
Sur la route menant à Saint-Nazaire, la bête ne passe pas inaperçue. Le regard en fuite s’installe quelques instants sur l’immense bâtisse sombre. Une fois la décision prise d’aller y traîner ses godillots, le piège se referme, la fascination s’exerce. Impossible de faire marche arrière. Bienvenue aux Forges de Trignac.
Après la traverse d’un terrain mousseux jonché de tessons de bouteille et de plastiques indolents, la première vision des forges laisse pantois. L’immense mastodonte et sa froideur singulière nous contemplent. Les hauteurs de cette vaste étendue industrielle sont impressionnantes : les anciennes cheminées culminant à 35 mètres contrastent avec les surfaces planes alentour.
Splendeur décatie
Les vestiges d’un autre temps s’admirent bouche bée, suscitant interrogations et solennité. Le lieu est à l’abandon depuis des décennies mais l’imagination de ce qu’ont pu être les splendeurs d’antan d’anciens berceaux ouvriers ravive les réminiscences mélancoliques d’une époque glorieuse. Tandis que le corps crapahute sur les blocs de béton armé, s’enfonçant parfois dangereusement entre les lierres ancestraux et les ronces agrippantes, l’esprit part en divagation déroutante tantôt pris par le grincement strident des lames de métal que le pied foule prudemment, tantôt par les sifflements du vent en sous-sols qui se fracasse en résonance d’outre-tombe.
Décor de cinéma
Par endroits, laissée aux aléas du temps, la nature en deuil se farde de ses plus précieux atouts. Des kilomètres de lianes dévorent les piliers cimentés s’accrochant aux armatures surannées. Des fatras de feuilles et d’herbe disséminés çà et là emplissent l’espace d’or. Les gravats s’amoncellent dans les bas étages, signe du délabrement majestueux d’un lieu bâti en 1879.
Le lieu est à l'abandon depuis des décennies mais l'imagination de ce qu'ont pu être les splendeurs d'antan d'anciens berceaux ouvriers ravive les réminiscences mélancoliques d'une époque glorieuse.
Dans ce décor de cinéma où Belmondo pourrait sauter de guéret en guéret et babiller du Audiard, la nature aux couleurs smaragdines fait écho à la brutalité anthracite des murs et parois abruptes. Les lieux inspirent un spleen baudelairien où le beau conventionnel s’abandonne, tout n’est que charnier de pierre et douleur des sens.
Les émotions affleurent quand le silence assourdissant d’un siècle révolu se confond avec la candeur infernale des rouages contemporains. La conscience s’excite en observant ces arches aux symétries antiques où trimaient les travailleurs hagards et avides d’un nouveau progrès social tant annoncé. Sur ces pylônes, sous ces voûtes, combien de prolétaires se sont dilués au fil des vicissitudes de la fin du XIXe siècle sur l’autel du travail politisé et des exégèses marxistes ?
Travail de forçat
A leur apogée en 1900, les Forges de Trignac employaient plus de 1500 salariés dont la majorité s’efforçait dans des conditions terribles, aux cadences infernales. Ainsi un ouvrier pouvait s’échiner treize heures d’affilée dans cette fournaise, entouré d’effluves gazeux et de métal en fusion. Les accidents n’étaient pas rares et l’issue fatale souvent au rendez-vous. La fin de la Seconde Guerre Mondiale précipite la chute des Forges de Trignac et l’usine ferme définitivement sa production métallurgique en 1947.
L'endroit est un terrain de jeu pour qui veut s’encanailler et apprécier la solitude des espaces.... Ici, tout n’est qu’éphémère dans la valse du temps.
Aujourd’hui ne subsiste qu’un amas vertigineux de béton désuet. Les forges sont devenues un repère urbex réputé auprès des baroudeurs citadins et des fantaisistes du pinceau qui viennent y exprimer la culture graff avec aplomb. Les photographes y trouveront leur bonheur entre les entrelacs de ferraille mirifiques et les dédales de recoins obscurs et inquiétants. L’endroit est un terrain de jeu pour qui veut s’encanailler et apprécier la solitude des espaces.... Ici, tout n’est qu’éphémère dans la valse du temps. Seuls les souvenirs transmis et les titanesques édifices contrecarrent l’infrastructure temporelle en perpétuant la vie.
Pour voir plus de photos des Forges de Trignac, suivre ce lien.
(Re)découvrez notre article La profanation des abattoirs à Nantes
Texte : Romain Ferrari
Photos : Antoine Galtier
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