
Interview et live-report
Les redemption songs d’Albert Hammond Jr.
Le 13 novembre 2015, une rencontre entre Fragil et Albert Hammond Jr. échoue pour des questions d’organisation. Un live-report est publié, orphelin de cette interview avortée. Un rendez-vous manqué aujourd’hui réparé sous la forme d’un questions-réponses organisé avec l’ex-guitariste des Strokes par la magie d’Internet. Albert élude la question demandant de quelle chanson des Strokes il se sent le plus fier, mais répond avec concision à cet exercice toujours périlleux qu’est l’interview par mail.
Fragil : Quel est le premier album significatif que tu aies acheté ?
Albert Hammond Jr. : Tout a été significatif. La première fois que j’ai été ému par de la musique, c’était par Buddy Holly. Et la première fois que j’ai été profondément marqué, simplement parce que j’étais plus âgé et prêt pour cela, c’était par Guided by Voices.
Fragil : Quel livre considères-tu comme une référence ?
A. H. Jr. : Une référence pour quoi ? En ce moment, je lis Sapiens (ndlr : de Yuval Noah Harari) avec beaucoup de plaisir, mais j’aime aussi les livres de Robert Ludlum.
Fragil : Quelle est la première chanson que tu aies appris à jouer à la guitare ?
A. H. Jr. : Je ne m’en souviens pas. Je suis en train d’apprendre le solo de Hotel California. Incroyable.
Fragil : Quelle chanson écoutais-tu le plus l’année de tes 20 ans ?
A. H. Jr. : Plastic Ono Band. L’album dans sa totalité.
Fragil : Quel artiste oublié aimerais-tu réhabiliter ?
A. H. Jr. : J’aimerais que la bonne musique soit réhabilitée en tant que musique populaire.
J'aimerais que la bonne musique soit réhabilitée en tant que musique populaire
Fragil : Si tu pouvais choisir un artiste pour remixer un de tes titres, ce serait... ?
A. H. Jr. : Je préférerais écrire une nouvelle chanson.
Fragil : Quel est ton top 5 des albums sortis en 2015 ?
A. H. Jr. : Je te le dirai en 2018.
Fragil : Pendant la dernière tournée, quel pays t’a le plus surpris et pourquoi ?
A. H. Jr. : Tous les pays me surprennent. Tous les publics ont contribué à faire de cette tournée ce qu’elle a été. C’est la première fois que je peux dire cela sincèrement.
Fragil : Quelle serait la ville idéale pour vivre selon toi ?
A. H. Jr. : Je la cherche encore.
Fragil : Devant quelle œuvre d’art pourrais-tu passer des heures ?
A. H. Jr. : Van Gogh ou Egon Schiele.
Aller sur scène et jouer a pris aujourd'hui un autre sens
Fragil : Quel est ton plaisir caché ?
A. H. Jr. : J’essaie de ne pas culpabilliser quand il s’agit de plaisirs. J’essaie de les consommer avec modération et ceux qui peuvent me blesser moi ou les autres, eh bien, c’est un petit peu trop long à décrire lors d’une interview par mail.
Fragil : Tu as joué à Nantes le 13 novembre, le soir des attentats de Paris, considérés par de nombreux Français également comme une attaque contre leur art de vivre. L’une des manières de défendre cette culture a été de continuer à jouer et à organiser des concerts. Quelle a été ta réaction aux attentats et que penses-tu du rôle de la culture pour les peuples ?
A. H. Jr. : Bon, c’est une question à laquelle il est difficile de répondre par mail. Il n’y a pas grand-chose à dire à part que c’est horrible. Cela doit être bouleversant pour les familles qui ont perdu l’un des leurs. Nous partageons tous cette douleur. J’ignorais ce que cela ferait de rejouer après cela. Aller sur scène et jouer a pris aujourd’hui un autre sens. Je pense que parce qu’il s’agissait d’un concert et d’un match de foot, c’était davantage que la culture française. C’était la culture de la jeunesse et du futur, et c’est la raison pour laquelle cela a eu un tel impact.
Propos recueillis par Sandrine Lesage
Merci à Barthélémy Lenfant et Antoine Lang
A l’ombre de quelques excès passés, le guitariste des Strokes s’offre une renaissance avec un nouvel opus, Momentary Masters, mêlant rock abrupt et ballades pop oniriques. Retour sur son live nantais.
Vendredi 13 novembre : début de soirée, l’heure est à l’excitation curieuse. L’ami Albert Hammond Jr. est de passage à Nantes pour promouvoir son album « Momentary Masters » et se payer une bonne tranche de live à Stereolux. L’affiche est belle mais le mec n’a rien produit depuis sept ans, son excellent Cómo Te Llama ? se fait quelque peu vieillissant et son groupe-phare The Strokes n’est pas au mieux de sa forme depuis fort longtemps.
"Faudrait lui foutre la paix avec les Strokes ! »
20h15. Devant l’entrée de la salle : aucun pèlerin. L’âme mélodique des Strokes n’attirerait donc personne ? Je sens que cette soirée va être très spéciale, nous sommes un vendredi 13 et ne sommes pas à l’abri d’un foirage culturel total mais tout de même. La foule est sûrement massée à l’intérieur prête à en découdre. A vrai dire, on ne sait pas si ce sera de l’art ou du cochon : au pire la salle sera molle, se lassera de voir un ersatz « strokesiste » et ira vider sa frustration au bar pour ingurgiter quantité décimale de boissons alcoolisées ; au mieux les corps bougeront frénétiquement et l’atmosphère se chargera de chaleur et de transpiration. C’est la deuxième option qui semble se profiler. Une foule compact afflue. Les égos se mélangent : des adolescents ou des vingtenaires viennent par curiosité, le mythe des Strokes à leur heure de gloire est encore vivace. Mais l’on croise aussi des quinquagénaires rigoureux qui viennent entendre l’artiste et non le faire-valoir d’une formation en perte de vitesse : « On le connaît par son groupe depuis de nombreuses années, bien sûr, mais la carrière d’Albert Hammond Jr. en solo reste une réussite. Faudrait lui foutre la paix avec les Strokes ! »
On assiste alors en {live} à l’éclosion d'un grand architecte musical, notamment lorsqu’il empoigne sa guitare et nous honore de ce son reconnaissable entre tous
Le début du concert donne le ton, le natif de Los Angeles se pointe tout de blanc vêtu comme pour accentuer un peu plus sa nouvelle vie d’homme marié et rangé, aux antipodes d’une vie passée trop près des paradis artificiels et des déviances du rock’n’roll. Albert Hammond Jr. alterne titres efficaces qui rappellent sans aucun doute la filiation avec le band new-yorkais comme Losing Touch au son mordant mais non agressif, et morceaux où la gratte s’énerve et s’unit à la voix claire et assurée du chanteur, comme Side Boob. Il nous offre ainsi un morceau aux envolées lyriques, tout comme le puissant Drunched in Crumbs qui part en fluctuations vocales parfois incertaines mais distillées avec panache sur des guitares fiévreuses et une rythmique dynamique. Servi par un groupe de qualité où s’harmonisent parfaitement les instruments, le songwriter nous entraîne sur des morceaux aux accents pop, voire carrément eighties comme Power Hungry. Sa performance scénique est parfois aléatoire : l’artiste s’offre des soli dos à la scène en communion avec ses musiciens et s’emmêle les pieds dans un fatras de câbles, nous gratifiant d’un « What the fuck is goin’ on ? » drôle et enjoué. L’homme prend au fur et à mesure de l’assurance vocale et assume totalement son statut d’auteur-compositeur-interprète. On assiste alors en live à l’éclosion d’un grand architecte musical, notamment lorsqu’il empoigne sa guitare et nous honore de ce son reconnaissable entre tous.
« What the fuck is goin’ on ? »
A mi-parcours, l’interprète se lance dans Born slippy, qui préfigurait le lancement de son album, aux sonorités pop et fleuries, évoquant avec ce morceau plus intime son addiction lointaine à la drogue et l’éphémérité de la vie. Passant par le titre énergique et lancinant Touché - qui signifie un argument ne pouvant être discuté - , l’artiste nous prend à témoin de ses propres failles et nous invite sur son propre cheminement à ne pas gaspiller les secondes de nos vies et à accepter nos errances afin de devenir meilleurs (« Now that we’re not perfect, we have to be good »). Le public s’agite encore frénétiquement lorsque les guitares se saturent, les amoureux continuent pour un temps de s’embrasser à l’écoute de Don’t think twice, une reprise mélancolique et sublime de Bob Dylan que l’acolyte de Julian Casablancas chante comme un véritable chantre du folk.
L’ensemble proposé est parfois légèrement inégal, mais le néo-briscard solitaire qu’il devient ne tombe jamais dans la caricature du {rocker} sur le retour qui voudrait s’absoudre de ses fautes
Albert Hammond Jr. est au rendez vous à Nantes devant un public conquis, le contrat est rempli. L’artiste nous donne la pleine mesure de son talent grâce à des titres incisifs, une prosodie soignée et des paroles mélancoliques. L’ensemble proposé est parfois légèrement inégal, mais le néo-briscard solitaire qu’il devient ne tombe jamais dans la caricature du rocker sur le retour qui voudrait s’absoudre de ses fautes.
« I forgave you long before I met you for the things that you were bound to do »
22h40. La plus perfide des nouvelles vient noircir une soirée rock et douce, les attentats de Paris ont commencé et la rumeur se répand comme une traînée de poudre. Au fur et à mesure, les esprits décrochent de la scène, et quelques individus commencent à se dévisager. Albert Hammond Jr., sur scène pour son ultime chanson, ignore l’ignominie qui se déroule alors au Bataclan où la France et la culture se font martyriser. Les regards se voilent et je m’éclipse avant d’avoir vécu la fin du concert. Une autre finalité se joue à Paris mais nous ne le savons pas encore. Comment aurions-nous pu supposer que les paroles d’Albert Hammond Jr : “I forgave you long before I met you for the things that you were bound to do” résonneraient pour certains comme la plus cinglante réponse à la barbarie.
Texte : Romain Ferrari
Photos : PIAS / Jason Mc Donald
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