Urbex à Nantes
La profanation des abattoirs
Depuis le transfert des abattoirs de Nantes en 2002, le site industriel situé à Rezé était à l’abandon. Une longue bataille juridique opposant Nantes métropole au groupe Banchereau, ex propriétaire des lieux, avait bloqué tout projet de transformation avant l’issue d’un accord amiable en octobre 2013 pour la somme de 13 millions d’euros. Derrière une décennie de tractations judiciaires et de joutes procédurales à 3,7 millions d’euros, le site a continué sa vie, livré aux murmures du temps et marqué par les empreintes successives de ses visiteurs. Depuis quelques semaines, sous les assauts des bulldozers, ce monstre endormi a été réduit en poussière. Fragil vous propose de rendre un dernier hommage à ce vestige des temps modernes. Visite guidée en images.
C’est un endroit bien connu des Urbex, ces nouveaux explorateurs qui traquent les secrets de ces sites abandonnés par l’homme : métros, chantiers, hôpitaux, souterrains et autres battisses fantomatiques. A Rezé, dans la zone industriel des anciens abattoirs de Nantes, on pouvait croiser de simples curieux, des artistes, des photographes, des graffeurs, des danseurs, des gosses qui veulent jouer à se faire peur... Derrière ces passagers temporaires, il y avait aussi des marginaux, des SDF, des Roms qui installent leur famille dans des box de 40m2 attenant aux gigantesques bâtiments.
Ici le temps s’est arrêté, suspendu. Quinze hectares de force industrieuse colossal inanimée, inerte. D’immenses bâtiments témoins jadis d’un spectacle mortifère nous font face, désolés. A l’intérieur des pans de mur "blanc" carrelés ajoutent à la froideur clinique, dans les immenses salles des armatures métalliques identiques s’alignent à perte de vue comme les colonnes de palais antique. La pesanteur de vieilles machines rouillées jusqu’à l’os qui suffoquent dans l’inertie ravive le lointain écho de leur fracas à l’œuvre dans le labeur productiviste des temps modernes.
Mémoire d’un temps
Amiante à tous les étages, mâchoires d'acier, rouages colossaux en fonte, tuyauteries tentaculaires aux dédales innombrables...
Dans l’immensité de ce silence assourdissant, les sens sont alertes. Mélodie en sous sol, stridence métallique, une goutte d’eau tombe et l’enceinte entière résonne de concert, au diapason... Sous la semelle, le sol craquelle de débris en tous genres. Là, tout s’étale, éclaté, démembré, saccagé, ravagé, mis à sac comme après une bataille. Amiante à tous les étages, mâchoires d’acier, rouages colossaux en fonte, tuyauteries tentaculaires aux dédales innombrables, tôles froissées, chiffonnées, écrasées, amas de métaux hurlant qui dégueulent sur un sol hostile, stigmates plombés de la frénésie tayloriste... Drôle de spectacle. Mémoire d’un temps pas si lointain, celui d’une classe ouvrière aujourd’hui en voie d’extinction dans nos sociétés post moderniste désindustrialisées.
Les fresques en technicolor témoigne de la reconquête du lieu par la faune artistique.
Ici le spectre des classes laborieuses errent dans les couloirs, inoxydable. Mais l’imaginaire vogue en liberté, à la hussarde, sans borne. Il s’enfonce dans des dédales labyrinthiques, rebondit sur les murs ou des fresques en technicolor témoignent de la reconquête du lieu par la faune artistique. Même la flore reprend ses droits, entre les fissures du béton, dans les interstices, la verdure s’arrache au ciment. Partout, la créativité s’épanche sur la désolation et sublime le monstre endormi dans la frénésie des couleurs, la palette infini des nuances se joue des camaieu de rouilles et vient à bout de la mélancolie désenchantée.
Lettres de noblesse
C’est dans ces endroits même que le street art peint ses lettres de noblesse, loin des galeries bobo de l’hypercentre. Il y a là une poésie de la violence et du désespoir, la charge symbolique du consumérisme colonisateur de l’homme qui, une fois débarrassé de tout utilitarisme, abandonne ce qu’il a vampirisé mais que d’autres vont réhabiliter par la création, lui apportant un second souffle.
Le sommet de désolation architectural, c’est bel et bien cet immense bâtiment éventré par un incendie monstre en mai 2014. Vu d’en haut, le vestige carbonisé donne le vertige, on croirait une fosse infernale en ébullition sortie de L’enfer de Dante. Dans quelques semaines, tout cela ne sera plus que poussière, réduit à néant. Place à une nouvelle ère, adieu à la galerie à ciel ouvert.
Yohann Gee
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