Carte blanche à Eric Pasquereau
"All I can’t forget", track by track
Piochant dans les influences de ses albums précédents, le quatrième long-format de The Patriotic Sunday ne cherche plus à gommer l’écriture pop classique qui a bercé l’adolescence de son homme-orchestre. Projet du seul Eric Pasquereau, The Patriotic Sunday affiche pourtant un effort de groupe : quatre garçons ont en effet cousu main les arrangements de "All I can’t forget" autour des démos du Nantais, qui démêle dans ses mots la pelote des souvenirs, tout ce qu’il ne peut oublier. Eric Pasquereau nous donne quelques clés pour aborder ces onze morceaux, ainsi que sa conception du live ou de l’écriture pop.
J’ai commencé ce disque en faisant des maquettes chez moi et en découvrant l’enregistrement via l’informatique par moi-même, ce que je n’avais jamais fait avant. Depuis mes 20 ans, j’enregistrais sur 4-pistes : il y avait toujours un processus où j’écrivais le morceau à l’ancienne et après j’enregistrais dans un studio ou avec des gens. Pour cet album, j’ai enregistré 24 démos que j’avais faites chez moi, dont sont tirés les onze morceaux de l’album, réalisés à partir de quinze morceaux qu’on a repris en studio. Sur la plupart des morceaux, on est partis des idées de guitare, claviers, et même de rythmes que j’avais eus moi-même, pour ensuite ajouter des arrangements.
Home is where the town stops
Le morceau qui ouvre le disque, Home is where the town stops est un des premiers morceaux où je me suis servi de l’outil informatique. J’avais un thème principal et ensuite j’ai retravaillé plein de parties jusqu’à trouver l’équilibre final qui me plaisait. Il y a différents mouvements à l’intérieur du morceau, construits sur les mêmes accords : il y a un début assez long avec des guitares fortes qui créent une ambiance ; après, il y a une partie minimale, et sur la fin d’autres instruments, comme la batterie, qui rentrent en jeu. C’est un des rares morceaux que j’ai écrit comme si j’avais une portée et que je mettais les éléments au fur et à mesure, et que je n’ai jamais joué en entier avec une guitare. Sur la version finale du morceau, pas mal d’arrangements se sont ajoutés, notamment grâce à deux personnes qui jouent dans La Terre Tremble !!! (Paul Loiseau et Julien Chevalier, qui ont également participé à l’album précédent, Actual fiction), qui ont agrémenté les chœurs. On a conçu des parties de piano qu’il y a sur des gros breaks, également avec Léo (Prud’homme), qui chante, joue du piano et de la guitare dans le groupe Fat Supper. Tom Bodlin joue aussi des cuivres sur le morceau.
Le disque de manière générale est influencé par Chris Cohen et ce qu’il a fait avec The Curtains avant, mais également par Robert Wyatt.
Le disque de manière générale est influencé par Chris Cohen et ce qu’il a fait avec The Curtains avant, mais également par Robert Wyatt : ici on retrouve plutôt Chris Cohen dans les mélodies, et Robert Wyatt dans l’architecture du morceau. J’avais passé tellement de temps à travailler sur les morceaux que j’ai demandé à un copain à moi qui joue dans Electric Electric de me conseiller sur le tracklisting. C’est lui qui m’a suggéré ce morceau en ouverture, alors qu’il est plutôt dur, mais il permet une ouverture intéressante qui amène jusqu’au disque. Alors c’est sûr que ce n’est pas Beyoncé, mais c’est une mise en ambiance.
En général, je n’aime pas trop me pencher sur les textes, car les gens peuvent être déçus que je ne traite pas d’un sujet très large. Les textes sont autobiographiques ou non, assez voilés, ce qui permet une ouverture à l’interprétation. Les paroles sont dans le disque, et l’idée est que l’auditeur peut y trouver son propre compte, même indépendamment de la musique. Le schéma et le titre de l’album sont en rapport avec ce que les Américains appellent « the stream of consciousness » (le courant de pensée), et l’idée qu’un souvenir en évoque un autre et amène à une sorte de déballage. L’album est très inspiré par les écrits sur le thème du souvenir d’un poète américain contemporain qui s’appelle Dan Chelotti, professeur d’université dans le Massachusetts. Il a sorti des trucs chez Mc Sweeney’s, la maison d’éditions de David Eggers, qui est lui un auteur de fiction plus connu. C’est une jolie maison d’édition, un truc énorme qui sort des magazines, et j’ai acheté un bouquin de Chelotti quand on a enregistré à Chicago avec Papier Tigre je crois. Après j’ai dû le laisser sur mes étagères pendant des mois et un jour je l’ai lu : je me suis servi de certains sentiments qu’il évoque et qui peuvent s’appliquer à ma propre vie de Nantais. Ce morceau parle de la peur d’être chez soi, des phobies.
Ce qui m’intéresse dans le fait d’écrire en anglais, c’est que c’est plus facile à faire sonner, en rapport avec mon héritage musical, mais il y a aussi le fait de faire passer son quotidien à travers le prisme d’une langue et de se le réapproprier de manière différente pour le coucher sur un support. J’utilise très rarement des expressions typiquement anglaises ou américaines dans des morceaux, comme "baby", car ce ne sont pas des mots qui font partie de mon quotidien et je ne les emploierais donc pas dans une conversation en anglais. Le prisme de la langue permet de mettre une barrière par rapport à l’autobiographie.
Garbage truck
Garbage truck est un morceau absolument identique à la démo. J’ai fait tous les chœurs et les synthés, puis Paul a eu des idées d’arrangements en amenant des éléments de piano et de mellotron, et j’ai demandé à Tom d’ajouter des cuivres sur les refrains. Je suis assez content de ce morceau-là ; il est dans sa forme à la fois pop et ouvert sur le plan musical ; ce ne sont pas juste des accords plaqués, mais il y a un côté mouvant, une espèce de tension dans le morceau qui me plaît bien.
Concernant les collaborations, même si je reste le décisionnaire au sein du projet, j’aime faire participer des gens que j’admire et qui m’entourent. Je leur demande d’apporter leur touche en termes d’arrangements, ce qui me permet de profiter de leur univers et de leur maîtrise. Il y a par exemple Julien Lefeuvre qui a été assez important, notamment sur All I can’t forget : il a un jeu de basse qui n’est pas standardisé sur les notes fondamentales du morceau, un jeu très mélodique qui apporte une touche sixties, et un peu prog au morceau, même si je n’aime pas trop ça (sourire). Garbage truck revient sur cette idée de souvenir : c’est un son marquant de camion-poubelle que le narrateur intègre à sa vie.
All I can’t forget
Ici on est plus sur un morceau pop sixties standard. J’avais une version destroy de ce morceau-là et je n’arrivais pas à aller jusqu’au bout. J’écoutais beaucoup de trucs pop sixties californiens très orchestrés genre Randy Newman, et je voulais donner à ce morceau une touche Van Dyke Parks, notamment tous les premiers morceaux qu’il a faits pour le Harper’s Bizarre. On a réécrit le morceau dans la forme avec guitare-basse-batterie, puis chacun est venu rajouter son grain de sel. Il y a aussi un côté très White album qui est dans l’ADN du projet de toute façon. Je suis content du format qui est un bon condensé pop, avec des ruptures dans l’écriture, ce qui peut être dur pour des gens, mais c’est dans mes habitudes.
The evening waltz
Ce qui n’est pas du tout le cas du morceau suivant, The evening waltz, où il y avait l’idée d’un morceau très ambiant, très continu, qui se peaufine touche par touche, avec cette boîte à rythmes un peu pourrie qui joue la base de la valse. Les paroles sont toujours sur le concept du souvenir en évoquant une personne qui veut se mettre en rupture par rapport à sa vie, mais qui ne s’en sort pas.
Hounded blues
Je ne voulais pas mettre Hounded Blues sur l’album parce que je trouvais que c’était un cliché, une sorte de parodie de blues sixties, toute douce, avec des soli de guitare. Mes collaborateurs ont vraiment insisté pour le mettre car il y avait une ambiance particulière dans le morceau et qu’il y avait besoin de cette légèreté dans l’écoute du disque. C’est un morceau assez immédiat de deux minutes qui renvoie aux mêmes sujets que Home is where the town stops : cette peur de soi et cette peur des autres…enfin, c’est pas exactement ça, mais je ne sais pas comment l’expliquer aussi bien...Sinon je ne ferais pas des chansons, j’écrirais un bouquin, en français en plus ! (sourire) Je n’ai jamais écrit en français : j’ai commencé à écrire des chansons sous le nom The Patriotic Sunday à l’âge de 11 ans, et donc à associer le chant et la langue anglaise. Je dois avoir une cinquantaine de cassettes chez moi que j’enregistrais tous les dimanches.
Le but du projet The Patriotic Sunday n’est pas forcément de tourner. L’idée, c’est un peu d’écrire des chansons et de les enregistrer dans un format parfait.
Le but du projet The Patriotic Sunday n’est pas forcément de tourner. On va tout de même tourner à cinq pour rendre justice à l’album. L’idée de ce projet, c’est un peu d’écrire des chansons et de les enregistrer dans un format parfait. Il y a plein d’artistes contemporains que je n’ai pas envie de voir en concert. Il y a besoin d’une énergie communicative pour le live pop ou rock, et pour cette musique-là, qui est plus dans le ressenti, si tu ne joues pas dans des supers conditions, c’est un peu difficile de faire passer une émotion. Voir Joanna Newsom dans un bar, c’est nul par exemple, tandis que la voir assis dans la salle Paul-Fort avec un orchestre, c’est bien. Et moi j’ai plus de chances de jouer dans un bar que dans la salle Paul-Fort...ce qui n’est pas un problème en soi.
En fait je ne sais pas trop à qui s’adresse ce disque, et ce qu’écoutent les gens, je pense qu’en 2015 tout le monde s’en fout de Randy Newman ou Van Dyke Parks…Mais ce n’est pas grave ! Moi je le fais pour moi, je ne le fais pas pour les autres.
A life pursuit
A life pursuit, à la base c’était un morceau guitare acoustique/voix que j’avais fait tout seul, et Paul a tout réarrangé. Le tapis de voix, qui crée comme des nappes de synthé, a cette influence très Smile des Beach Boys, ou Because des Beatles. Après on a enregistré des petites percussions dans une chambre à l’arrache avec des morceaux de bois et des vraies percussions, ce qui donne ce côté un peu Moondog, sans que ce soit forcément écrit. Je n’ai fait qu’une seule prise de voix, car je n’avais plus les repères de la guitare (sourire) : elle était pas mal, mais on peut entendre le micro qui sature un peu parfois, parce que c’est moi qui ai fait les réglages, mais c’est un morceau qui a beaucoup de charme. Les morceaux de l’album ont été enregistrés dans différents endroits : le salon de chez mes parents, un vrai studio…
Serenade
Serenade est un morceau auquel je tenais beaucoup, et qui a été compliqué à mettre en forme, avec cette écriture un peu longue. On a tenté beaucoup de versions différentes, j’ai dû enlever des pistes, et j’en ai ajouté d’autres. La version finale est satisfaisante, le morceau est plus romantique que les autres chansons du disque. C’est un joli morceau avec une écriture classique sans breaks, il file tout droit. On fait une version live qui est au moins aussi intéressante, où on joue tous ensemble, contrairement à la version du disque qui commence en guitare/voix, avec tous les éléments qui s’ajoutent au fur et à mesure.
Full Moon
Full moon est un morceau que j’ai écrit en 2008, ou peut-être même avant. Dans The Patriotic Sunday, il y a toujours des morceaux qui restent du passé, que j’ai enregistrés à un moment donné avec des gens, mais qui ne sont pas sortis parce qu’il n’y avait pas d’album. J’avais fait ce morceau avec Miguel Constantino, un bon ami à moi qui a enregistré les trois premiers albums de The Patriotic Sunday. Il avait donc écrit cette ligne de piano que Léo a entièrement reprise, et on a juste ajouté quelques arrangements. C’est un morceau avec un rythme qui fonctionne bien, peut-être plus classique, plus immédiat...genre il doit plaire à ma mère.
Light of defeat
Light of defeat est aussi un morceau que j’ai fait chez moi. Comme Garbage Truck, la version finale est identique à la démo, qEric Pasquereau ui fonctionne bien. J’aime bien le format du morceau, avec des parties lentes, il faut être bien réveillé (sourire). Les paroles sont un peu dures, avec un côté Leonard Cohen dans ses albums des années 80, genre des chansons comme I’m Your Man ou Democracy, avec une réflexion sociale qu’il n’y a pas sur les autres morceaux.
Death
Death est un morceau qu’on a fait entièrement en groupe (basse, batterie et deux guitares) car la démo n’avait qu’un format d’une minute autour d’un seul thème. Ensuite, on a rajouté plein de sons, plein de larsens, plein de trucs dans tous les sens. Au même titre que Hounded Blues, c’est un morceau qui fait du bien car il part dans une direction un peu kraturock des années 70, type Neu !, Can, etc…Cela parle de la mort avec un côté ironique, il y a plus d’humour dans ce disque qu’il y a pu y en avoir avant.
The rain falls hard
The rain falls hard est un morceau dont la version finale a été enregistrée dans mon appart’, car il y avait des effets de voix que je ne pouvais pas vraiment reproduire à cause d’un groove dans la guitare. Paul avait des idées de chœurs, Léo a rajouté le piano à la fin, cele s’est fait très facilement. Le morceau est, comme Full moon, assez friendly, il y a ce côté pop immédiat, simple, que j’aime bien et que je n’ai pas voulu gommer, contrairement à d’autres albums que j’avais faits avant.
D’une manière générale, ce disque-là fait une espèce de consensus de tous les albums précédents (sourire), car il y a des choses qui se rapprochent du tout premier disque de The Patriotic Sunday (ndlr : Lay your soul bare, 2005). Il y a peut-être moins de choses en commun avec Characters (2009) hormis sur Death, The Evening Waltz ou Serenade, où on retrouve un côté emo pop nineties ; pas dans le sens hardcore, mais plutôt au sens d’une musique douce, qui touche, et qui veut atteindre une sincérité dans le sentiment, comme chez Grandaddy par exemple. A Life Pursuit, The Rain Falls Hard ou Hounded Blues, par la présence des gars, rappellerait plutôt ce qu’on a fait sur Actual Fiction (2011).
Eric Pasquereau
Propos recueillis par Sandrine Lesage
Photo : Nicolas David
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