Reprise de la mise en scène de Peter Mussbach
Une « Traviata  » victime d’un accident de voiture à Berlin
Le Staatsoper de Berlin a repris, au Schiller Theater (durant les travaux du Staatsoper Unter den Linden), début juin 2015, le spectacle de Peter Mussbach créé en 2003 et représenté ensuite au festival d’Aix-en- Provence. Cette relecture passionnante et dérangeante du chef d’œuvre de Verdi, beaucoup reprise, a été éditée en DVD chez Bel Air, avec Mireille Delunsch dans le rôle-titre. A découvrir !
Cette Traviata singulière ne meurt pas de la tuberculose, mais d’un accident de voiture. Toute l’action de l’opéra dévoile un passé qu’elle revit par bribes, juste avant de mourir. En faisant de Violetta un sosie de Marilyn Monroe, le metteur en scène suggère une icône qui disparaît et qui rejoint, par sa mort brutale et tragique, Lady Diana ou Grâce de Monaco. On songe aussi à Maria Callas qui, même si elle n’a pas connu une fin semblable, a été une Traviata mythique, dont la légende hante toujours les rêves d’opéras.
Flash-back
Durant le prélude, une robe d’une blancheur irréelle s’avance en glissant depuis le fond du plateau. Lors des premiers accords de la fête, cette apparition fantomatique s’effondre sur une route à deux voies. Des hommes en noir aux visages impassibles apparaissent et disparaissent, tels des rescapés d’une soirée dont on entend les derniers échos. Le décor d’Erich Wonder illustre la mémoire vacillante de la protagoniste, à travers des voiles de tulle et des projections vidéo, en un monde intérieur brouillé. On lui doit quelques espaces troublants et surnaturels pour des mises en scène de Luc Bondy , notamment un Couronnement de Poppée de Monteverdi (1989) et La ronde de Philippe Boesmans d’après Schnitzler (1994), qui révélaient par transparence le souvenir de la Rome antique, ou de Vienne au crépuscule.
En faisant de Violetta un sosie de Marilyn Monroe, le metteur en scène suggère une icône qui disparaît et qui rejoint, par sa mort brutale et tragique, Lady Diana ou Grâce de Monaco.
Des images obsessionnelles de voitures qui circulent par nuit de pluie sont projetées tandis qu’un tunnel fait songer à l’accident de Lady Diana. Violetta, égarée en robe blanche sur une route, revit ses derniers instants comme en un mauvais rêve en noir et blanc et s’effondre à plusieurs reprises, en des réminiscences du choc. La soprano Anna Samuil construit une figure étrange et attachante, et offre d’improbables vocalises, d’une belle puissance, à l’expression de la douleur et aux plaintes de cette jeune femme étendue à terre sur une voie publique. Ange déchu par le regard des autres, elle revoit sa vie traversée dans la fièvre et l’urgence, en une perpétuelle représentation.
Elle se souvient d’une histoire d’amour condamnée par le père (impressionnant Alfredo Daza en Germont) et de quelques fragments de cette relation impossible. La fête chez Flora s’invite sur les lieux du drame et dans la mémoire lacunaire de la victime. L’hôtesse est vêtue d’une robe noire et longue, à paillettes d’argent, Katharina Kammerloher, à la silhouette longiligne, lui apporte une présence inquiétante. Les convives, installés sur des chaises, condamnent Violetta avec sévérité, sans aucune compassion, comme s’ils lui refusaient de reposer en paix.
Une voix qui s’éteint
Le dernier acte marque un retour à la réalité. Annina et le médecin semblent venir de nulle part. Ils arrivent sur les lieux du drame, par les bas côtés, plongés dans les ténèbres. L’image est saisissante et d’une troublante cohérence. L’ultime chant de Violetta, à la beauté lumineuse, transperce la nuit. Elle sculpte les élans de son âme, auprès de celui qu’elle aime, venu la retrouver trop tard, et meurt debout, telle une bête traquée, hypnotisée par les phares d’une voiture, un projecteur fatal. C’est le drame d’une voix qui s’éteint.
Ce spectacle perturbe, enveloppé des sonorités stupéfiantes de la Staatskapelle de Berlin, dirigée avec un sens infini des nuances par Daniele Rustioni. Le passé et le présent se mêlent en une narration morcelée, comme dans les plus beaux récits de Marguerite Duras, et notamment le film India Song .
L’ultime chant de la déesse est d’une beauté ineffable, comme si un ciel s’ouvrait. Quels secrets la chanteuse a-t-elle entrevus à la veille de sa mort ? Cet air est un bouleversant chant d’adieu.
On songe à d’autres fins brutales. Au début des années 1980, la chanteuse Francine Arrauzau a péri dans un accident de voiture à Saint-Pierre-des-corps, après une représentation de La Périchole d’Offenbach à l’opéra de Tours. Plus récemment, deux artistes d’opéra ont disparu dans le crash de la Germanwings le 24 mars dernier, alors qu’ils chantaient la veille dans la mise en scène de Robert Carsen de Siegfried de Wagner, au Liceu de Barcelone. Oleg Bryjak était Alberich et Maria Radner interprétait Erda. L’ultime chant de la déesse est d’une beauté ineffable, comme si un ciel s’ouvrait. Quels secrets la chanteuse a-t-elle entrevus à la veille de sa mort ? Cet air est un bouleversant chant d’adieu. Les dernières paroles de Erda sont « sommeil sacré », aux portes de l’infini. La douleur causée par la perte d’artistes est infinie, mais les divas et les héroïnes d’opéras sont éternelles. L’ultime mot de la Traviata est « joie » ( Gioia !) : l’expression d’une sérénité retrouvée dans une rédemption par un chant qui l’accompagne jusque sur cette route, le temps d’une aria finale.
Texte : Christophe Gervot
Photos : Ruth Walz (scène) et Alexandre Calleau (Staatsoper)
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