Portrait d’un rappeur en quête d’identité
Riski : l’étoile fuyante
Pour la sortie de son nouvel EP, "Matière noire", Riski, anciennement Metek, a opéré une mutation. Trop à l’étroit dans les codes étriqués d’un rap sous stéroïde, trop créatif pour se limiter aux frontières du rap game français, Riski casse les codes esthétiques pour mieux trouver sa voie. Mais au fait, qui est Riski ?
« Est-ce un marginal, un révolté, un malfaiteur qui a commis des holdups, condamné pour braquage ? » Ses propos de Patrick Poivre D’Arvor lors d’un flash info de 1979 ponctuent le morceau Fuego. Cette fulgurance langagière plante le décor, puisque l’homme dont il est question ici n’est autre que Pierre Goldman, demi-frère de Jean-Jacques et père de Riski, intellectuel d’extrême gauche assassiné en 1979. Ce portrait-robot convient aussi très bien aux deux personnes : tel père tel fils. Comme le dit Nietzsche, un fils est avant tout un prolongement de son géniteur et aussi de son génie, une version ajournée, death-initive …
Avec un pedigree pareil, pas étonnant d’avoir le parcours atypique d’une étoile fuyante. Émergent du bouillonnement créatif du hip-hop indé parisien de la fin des nineties, Riski (aka Metek) sort un maxi avec Les refrès en 1998 : L’or noir. Un succès d’estime, le style est déjà là en germe, brut comme un diamant à polir… Riski rappe en dilettante et s’expatrie aux USA comme correspondant pour un magazine dédié à la culture hip-hop.
L’enfance de l’art
Début des années 2000, Riski disparaît des radars créatifs. Il vivra, verra, se dopera, braquera, peinera. Il y a peut-être une volonté inconsciente, presque secrète, de s’effacer, d’éluder l’attention, de n’affecter aucun rang pour accéder enfin à celui dont il voulait jouir. De 2003 à 2014, Riski s’est-il mis à l’épreuve ? L’héritage de son roman familial, cumulard du statut de martyre (un père juif polonais né en France, gauchiste radical assassiné, une mère guadeloupéenne), impose à Riski une épineuse remise en cause. Il n’y avait pas d’autre alternative que de devenir mythique, héroïque. Seule la création artistique pouvait supporter un tel héritage, une telle décharge d’adrénaline : point de fusion entre monde sensible et monde intelligible, seul l’art lui offrait les conditions de sa sublimation.
Décadentiste post-moderne s’adressant à son alter ego post mortem, Riski se délecte d’un argot franglais
La genèse familiale détermine son parcours. Elle s’insinue toujours entre les lignes de ses rimes. "Un jour ou l’ autre, il faut qu’tu t’comportes comme un homme / laisse le passé à la porte même si c’est elle qui cogne" (Chiale un coup). Ainsi naît l’artiste, maître chanteur de fulgurances lettrées, d’adLib phallocrate et de contorsions vocales possédées. Décadentiste post-moderne s’adressant à son alter ego post-mortem, Riski se délecte d’un argot franglais qui confine à l’alpha et l’oméga du neo dandysme…
Pour comprendre ces lettres de noblesse, il faut être un lettré de l’illettrisme, un inculte du culte ! Son écriture cryptique est un mille-feuille de références pointues, de saillies adressées à nos parts primitives, d’invectives trempées dans un chaudron de sophistication bouillonnant. Il ne rappe pas, non…Il vie ses textes, chevauchant le vocable, il fait fumer l’asphalte hurlante sur le sillon, la main sur l’accélérateur, faisant crisser les pneumatiques de la rhétorique au gré des chausses trap instrumentales qui se présentent sous sa roue, dans sa rue : accélération, décélération, freinage en cinémascope… "Le cerveau en compote, en décomposition / j’te vole dans les plumes dans une boîte à pigeon / j’ paye la salle, le bronzage de madame et ma cellule m’ attend, mon lit de métal" (Gwadanigga).
Un gars capable, d’aucuns diront coupable, de faire du Parrain, un film d’auteur à la Jacques Tati.
Roue arrière sur les Champs-Élysées lexicaux, Riski réinvente le flow et crache sa rage comme du feu de Dieu. Riski, c’est l’oxymore, comme le dit Balzac : l’assertion contradictoire des contraires. Une alliance infernale du ghetto et du gotha, ce genre d’hybridation ghetto-Germanopratine…Un gars capable, d’aucuns diront coupable, de faire du Parrain, un film d’auteur à la Jacques Tati.
D’amour et de fraîche
En filigrane, derrière le fiel de la plume, l’arrogance du looser magnifique et magnétique, le spleen névrotique, l’œil torve et lascif, s’avance un homme si conscient de sa vulnérabilité, de sa condition d’être humain qu’elle en devient une preuve de courage. Un homme qui sait que derrière le faste des prodigalités langagières, il y a le pouvoir irrationnel du langage dans notre société occidentale arrivée à satiété. Une posture de « l’homo occidentalis » arrivé à son stade d’achèvement, venue littéralement s’achever dans l’écran de la réalité, piégé entre ses instincts primitifs , l’aliénation d’un système où le non-sens et l’absurde se côtoient en s’ignorant. Se dessine en négatif, par extension, le portrait chinois d’une jeunesse désabusée, qui cherche à se sublimer, qui ne sait plus s’amuser sans mettre sa vie en jeu. Une certaine jeunesse dégénérescente bercée, tancée, secouée par le rap, l’amour, la violence, la culture de masse.
Ainsi soit-il…Riski est revenu des enfers avec de la Matière noire, son nouveau projet, comme un touriste en peignoir dans une station balnéaire. Il réclame de la tension et de l’attention... Quand la nuit il pleut des « gouttes violettes » sur le bord de la fenêtre, ses litanies possédées par la fureur dionysiaque nous accompagnent sur « le chemin des choses brillantes ».
Yohann Genevée
Bloc-Notes
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