Quand la danse du kathakali se mêle à la chorégraphie occidentale
Un spectacle de danse entre tradition et modernité
Le pari de Michel Lestréhan est osé : unir l’immuabilité de la tradition indienne du kathakali et la créativité d’une chorégraphie occidentale. Le fruit de cette union est Lotus, un spectacle de danse présenté au Théâtre Universitaire les 29 et 30 novembre.
L’inlassable martèlement des tambours a cessé. Face au public, occupant toute la largeur de la scène, les danseurs fléchissent peu à peu leurs jambes écartées. La lumière, faible, dessine un mince halo autour de leur corps ; dans l’extrême concentration des danseurs, le temps semble se tendre, s’étirer. Lentement ils se relèvent, puis recommencent, rendant tangible l’infinie lenteur de ces quelques instants. Telle est l’une des scènes marquantes de Lotus, spectacle de danse métisse, issu du long amour que nourrit le chorégraphe rennais Michel Lestréhan pour le kathakali .
Temps de la création, temps de la tradition
C’est en 1985, au Kerala, dans le sud de l’Inde, que Michel Lestréhan découvre cette forme de danse si particulière qu’est le kathakali ; mais ce n’est que 16 ans plus tard, en 2001, que commence l’élaboration de Lotus, qui sera créé en 2003. Importance du temps, donc, dans la patiente construction de cette œuvre - temps dérisoire, cependant, en regard de la longue tradition du kathakali : « c’est une forme qui s’est codifiée à partir du XVII ème , nous apprend Michel Lestréhan, et elle a fini de se codifier dans le courant du XIX ème. Et maintenant, c’est une forme qui n’évolue pas, elle a atteint son apogée ». Importance du temps, enfin, dans la formation des danseurs : ils entrent à douze ans seulement dans les écoles de kathakali et passent ensuite leurs journées entières, des années durant, à apprendre et à maîtriser le kathakali ; ce n’est qu’après vingt, voire trente ans d’exercice, qu’ils peuvent prétendre être de bons danseurs.
Un travail de métissage
Le travail de Michel Lestréhan, loin de se contenter d’une simple démonstration de kathakali à un public occidental, est pensé comme la réutilisation du savoir-faire des danseurs de kathakali au sein de sa chorégraphie : « c’est un maillage, un tissage - un métissage. Je réutilise, je détourne complètement leurs techniques, leur corporalité, les qualités qu’ils ont ». Michel Lestréhan souligne en outre le souci qu’il a eu d’un perpétuel va-et-vient entre techniques de danse occidentales et tradition du kathakali : « Il y a beaucoup de choses qui sont venues d’eux. [...] Je leur ai montré aussi qu’à partir de tous ces mouvements qu’ils connaissent, on peut aller ailleurs- ce qu’eux ne font jamais, parce qu’ils apprennent une forme qui est préétablie, dont l’apprentissage est basé sur l’imitation. Tout est tellement codifié dans le détail qu’il n’y a aucune part d’improvisation ».
Plus concrètement, ce mélange des formes se manifeste entre autres par l’utilisation, dans la seconde partie du spectacle, de vêtements occidentaux : les danseurs arrivent en t-shirt et blue jean... C’est là l’indice occidental le plus net, le plus marqué. Et c’est aussi un symbole fort, problématique même : il offre au spectateur un objet de spectacle qui ne le renvoie ni tout à fait à lui-même, ni tout à fait à l’altérité.
Au mélange des techniques corporelles fait écho celui des sons : la composition musicale, signée Jean-Paul Auboux , fait œuvre d’originalité, tout en conservant des instruments originaires d’Inde (trompe, cymbales, et surtout deux tambours, l’un horizontal, l’autre vertical, dont le rythme scande tout le spectacle). Michel Lestréhan a d’ailleurs une très jolie formule pour justifier ces innombrables métissages : « c’est notre regard, notre droit d’interprétation ».
Lotus (du nombril) : le sens d’un titre, la portée d’une oeuvre
Ce métissage de l’ancien et du nouveau, de la tradition et de l’éphémère, se retrouve dans le titre de la pièce, Lotus (du nombril) : dans la mythologie hindoue, le dieu Vishnu dort sur l’océan d’éternité ; un lotus émerge de son nombril, c’est la création. Le mythe insiste ici sur l’aspect illusoire et éphémère du monde, et, pour Michel Lestréhan, cette référence au mythe permet de confronter l’éphémère de la création chorégraphique occidentale au poids de la tradition plusieurs fois centenaire du kathakali. A travers cette rencontre de deux mondes, c’est aussi la question de l’altérité qui se pose au spectateur : le spectacle lui demande de trouver sa place face à ces formes mêlées, hybrides, et lui renvoie, en miroir, l’image problématique de sa propre identité.
Gaël Montandon
Pour en savoir plus sur Michel Lestréhan et ses activités, rendez-vous sur le site de sa compagnie : www.compagnieprana.com
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