EXPO
Farah Atassi, peinture sur le motif
Il est rare que les artistes contemporains s’intéressent à nouveau aux premières années passionnantes du 20ème siècle, à ses recherches fiévreuses d’une abstraction qui se détache progressivement de la représentation figurative. C’est pourtant ce que fait la jeune artiste Farah Atassi dans ses dernières œuvres, réalisées entre 2012 et 2014. Pour une plongée dans une relecture personnelle de cette époque charnière, et pour assister à un choc entre minimalisme et ornementation, profitez des vacances de Noë l pour courir au Grand Café de Saint-Nazaire et découvrir douze peintures inédites de celle qui fut nominée l’année dernière au prestigieux prix Marcel-Duchamp.
Des ruines soviétiques aux théâtres miniatures
Premières impressions au rez-de-chaussée du Grand Café, où sont réunis les derniers travaux en date de l’artiste belge de 33 ans, aujourd’hui fixée à Paris. Il serait trop facile de dire que si Farah Atassi utilise des motifs folkloriques dans ses hautes toiles, c’est pour faire écho à ses origines syriennes : car les chevrons bavarois ou les « tentes » amérindiennes aux couleurs fraîches s’entrechoquent sur le blanc lumineux, voisinant avec les ornementations de tapis persans. Mais pour aboutir à ces compositions géométriques, théâtres remplis d’objets largement esthétisants, il a fallu à Farah Atassi en passer par différentes phases qui l’amèneront peu à peu à la rencontre de deux entités antinomiques : le fonctionnel et le décoratif, l’abstraction et la figuration, le rationnel et l’inutile.
Habituée dès 2008 à livrer sa propre vision d’intérieurs délabrés de maisons communautaires russes, l’artiste fascinée par le modernisme transpose depuis 2011 ces décors dans le monde de l’abstraction pour en faire des réceptacles hautement géométriques de natures mortes où cohabitent objets, sculptures ou architectures miniatures.
pour aboutir à ces compositions géométriques, théâtres remplis d’objets largement esthétisants, il a fallu à Farah Atassi en passer par différentes phases qui l’amèneront peu à peu à la rencontre de deux entités antinomiques : le fonctionnel et le décoratif, l’abstraction et la figuration, le rationnel et l’inutile
Dans ces compositions, il est aisé de voir les éléments mis en scène comme des objets architecturaux, rapprochant ainsi peinture et architecture. Mais le rapport à la sculpture n’est pas laissé de côté : car s’ils sont parfois des jouets, des cubes ou des maquettes, ces objets tendent à devenir dans les dernières toiles de l’artiste, des sculptures pliées incluses dans des espaces dépliés résonnant comme dans un palais des glaces aux multiples recoins et réflexions. Dans les bien-nommées Ornamental Folding et Blue Folding de 2014, Atassi, en zoomant sur ces natures mortes, fait le portrait de formes sculpturales qui rappellent les multiples perspectives qu’offraient les arrangements cubistes de Picasso ou d’Henri Laurens sur des instruments de musique, des visages ou des objets du quotidien.
Ainsi les carrelages ornant les piscines ou les usines abandonnées se changent en myriades de formes géométriques agencées selon des grilles, servant de décors en volumes à des compositions inanimées. Les objets de ces peintures en sont devenus les motifs, des fonds pour accueillir de nouveaux objets. Cette approche du fond de la toile comme une grille sur laquelle viennent se greffer des carrés, triangles et chevrons, rappelle immédiatement les travaux de Piet Mondrian et ses bandes de scotch orientant lignes et taches de couleur pure selon une loi orthogonale couvrante, dite « all-over ». Farah Atassi « pose une grille au scotch qui suit la perspective du tableau, comme une grille en 3D (…). Grâce à cette grille, [elle] déploie un motif sur toute la surface du tableau ».
Pour autant, elle est loin d’une méthode systématique appliquée froidement : d’apparence léchée, la peinture de Farah Atassi s’avère, si on la regarde de près, pleine de ces repentirs et débordements qui rendent à l’abstraction sa chaleur humaine, mise en valeur d’un travail artisanal loué également par Malévitch dont les carrés ne sont jamais tout à fait « carrés ». Autre écho déconcertant avec Mondrian, le Building the city de Farah Atassi, réalisé après une résidence aux États-Unis, est plein des pixels pulsants que l’on retrouvait dans les toiles new-yorkaises de l’artiste néerlandais déjà marqué par les vibrations des néons et la circulation frénétique de la ville américaine. « Space for objects » quant à elle met en scène les signes moins et plus qui constituent parmi les premiers paysages abstraits de Mondrian, et qui ici accueillent des architectones colorés empruntés à Malevitch.
Ces jeux de construction aux combinaisons infinies, éclaboussant de couleurs pures, associent les traces d’une humanité jamais représentée à des espaces purement décoratifs, terrifiés par le vide, célébrant le mariage hybride de la forme et de l’ornement, du minimal et du proliférant.
Sandrine Lesage
Exposition ouverte jusqu’au 4 janvier 2015 tous les jours sauf le lundi de 14:00 à 19:00 et le mercredi de 11:00 à 19:00
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