SPECIAL FESTIVAL DES 3 CONTINENTS
Eau argentée : une tragédie universelle
Comment ne pas être hanté pendant plusieurs jours par la force de ces images tétanisantes à la limite du supportable. Et pourtant, il s’agit de pure essence de cinéma comme reflet de notre condition humaine.
Le film documentaire Eau argentée, Syrie autoportrait réalisé par le syrien Ossama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan a été projeté en avant-première le dimanche 30 novembre au Festival des Trois Continents de Nantes.
À la sortie de la projection, les visages sont tendus, l’émotion et la gêne sont palpables. Et pour cause : pendant une heure trente, des images brutes nous donnent à voir l’ampleur de la tragédie collective syrienne qui, par delà, revêt un aspect universel.
Le conflit sur Youtube
Deux périodes retracent l’évolution chronologique du conflit : la première partie est un film de montage d’images collectées sur Youtube qui retrace les débuts de la protestation puis le durcissement d’un conflit qui sombre dans la terreur. Le pire de l’asservissement humain y est montré : des images de torture prises par les sbires de la police secrète et mises en ligne pour, selon Ossama Mohammed présent lors de cette avant-première, « ajouter une dernière couche au sadisme du régime. »
pendant une heure trente, des images brutes nous donnent à voir l'ampleur de la tragédie collective syrienne qui, par delà, revêt un aspect universel
Le réalisateur a viscéralement ancré en lui la croyance que le cinéma peut tout montrer, jusqu’à l’abject. Pour, au final, tout sauver. Et témoigner, au travers de l’abandon et de l’espoir, de la lâcheté et de l’héroïsme, de ce qu’est la grande tragédie syrienne qui n’en finit pas de se dérouler sous nos yeux. Ainsi l’explique en exergue le réalisateur : « c’est un film de mille et une images prises par mille et un Syriens, et moi. » Il montre l’horreur et la beauté entrelacées, par sa voix off détachée, les décharges de couleur, les cartons chapitrés, la voix époustouflante de la grande cantatrice syrienne Noma Omran. C’est une célébration du cinéma comme grenade qui dégoupille l’obscénité de l’horreur. Il y a du Hiroshima mon amour et du Nuit et Brouillard dans ce cinéma qui retrace le parcours de l’innocence à la cruauté ultime.
Un cri traverse l’écran
Dans la deuxième partie, nous suivons les images de Wiam Simav Bedixran dans Homs assiégée. Ossama est à Paris depuis 2011, Simav (nom kurde qui a pour sens « eau argentée ») est à Homs et filme des enfants vivants, des enfants morts, des obus qui tombent à deux pas de chez elle, sa résistance, son acte de bravoure dans les décombres : s’accrocher à la moindre parcelle de vie, miaulements de chats efflanqués, une fleur qui continue de pousser, rires d’enfants. Elle filme sans haine, mais son cri traverse l’écran. Et le cri des morts nous atteint.
Simav apparaît plus tard à Cannes où le film a été projeté dans sa première version en mai 2014. Elle prend difficilement la parole face à des spectateurs gênés par tant de sincérité, à contre-courant du glamour cannois. Elle avoue qu’elle ne peut que retourner chez elle, son pays qui lui appartient. Que Paris, sa beauté, son amour, lui font peur. Elle n’est pas militante et souhaite pour chaque syrien « le droit d’habiter dans son pays en paix. » Elle rentre chez elle. Ossama reste à Paris.
La tragédie se poursuit. Images brutes, à nouveau, en post-scriptum, ajoutées dans la deuxième version du film qui sera projeté en salles : drapeau noir de Daesh, exécutions sommaires. La tragédie est-elle donc vouée à ne jamais s’arrêter ? Souhaitons que Ossma Mohammed ne soit plus en mesure de poursuivre son film. Que les images se tarissent pour que le vœu de Simav, héroïne sans le vouloir, devienne réalité.
Nathalie Guillotte
Crédits photos : Preivew
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