INTERVIEW
Festival Soy 2014 : interview avec Pierre Templé, programmateur
Halloween et la Toussaint approchent : le festival Soy s’apprête de nouveau à investir Nantes du 29 octobre au 2 novembre. Parés pour se mettre entre les oreilles des curiosités musicales et partir à l’aventure dans des lieux plus ou moins connus de la métropole ? Pierre Templé, co-programmateur du festival, décrypte pour Fragil la douzième édition du festival organisé par la bande de copains orfèvres de l’association Yamoy’.
Coups de cœur et exigence
Fragil : Comment s’est montée la programmation de cette douzième édition ?
Pierre Templé : Pour avoir les 26 groupes de cette année, nous avons dû faire à peu près 100 propositions dont certaines n’ont pas marché comme Caribou, Swans, Ty Segall, Four Tet… Les artistes finalement retenus donnent sa couleur au festival. Nous commençons généralement à programmer en janvier et nous essayons de boucler mi-juillet pour pouvoir communiquer pendant l’été sur le festival.
Sur scène, Colin Stetson est tout seul avec son saxophone, il n’utilise aucun effet, il joue pendant une heure en souffle continu une sorte de mélopée qui met les gens en transe
Fragil : Selon toi, quel groupe faut-il absolument voir cette année ?
Pierre Templé : Je dirais Ought, même si je l’ai déjà dit plein de fois : c’est un quatuor rock assez classique, des petits jeunes qui ont signé sur le label de Godspeed ! You Black Emperor, Constellation. Sinon Colin Stetson, une tête d’affiche pas forcément connue du grand public, dont le live est juste énorme : on ne sait pas forcément qu’il a joué avec Arcade Fire ou Bon Iver. Sur scène, il est tout seul avec son saxophone, il n’utilise aucun effet, il joue pendant une heure en souffle continu une sorte de mélopée qui met les gens en transe : c’est assez intense !
Fragil : Godspeed ! You Black Emperor, Yo La Tengo, Sebadoh…Ces trois dernières années ont été marquées par la venue de pointures du rock indépendant : est-ce calculé ? Est-ce que ces groupes sont un moteur pour faire découvrir des artistes plus confidentiels ?
Pierre Templé : Leur venue se fait en fonction des propositions que nous avons, car nous ne pouvons pas déclencher des tournées de groupes comme Sebadoh. Pour Godspeed par exemple, nous étions en concurrence avec le festival Pitchfork qui a renchéri sur l’offre, mais finalement le groupe a accepté de venir à Soy car on avait déjà accueilli à peu près tous leurs side-projects par le passé et qu’ils s’étaient engagés auprès de nous. Ce sont aussi des envies de notre part de faire venir des groupes que l’on écoute depuis 10-15 ans et qui sont devenus énormes depuis. Le partenariat avec le Lieu Unique nous a aussi permis d’organiser ces plateaux artistiques et techniques plus gros et d’avoir une meilleure visibilité. Sur cette édition, Lee Ranaldo [ancien membre du groupe Sonic Youth, NDLR] a accepté de venir, car il nous fait confiance quand il voit la programmation du festival et parce que nous avons déjà accueilli Sonic Youth ou certains de leurs projets à La Route du Rock (Pierre Templé est aussi chargé de production pour La Route du Rockl, NDLR) ou au Pôle Étudiant (Alexandre Labbé, l’autre programmateur du festival Soy, est aussi programmateur du Pôle Étudiant, NDLR).
Révéler des lieux par des sons déroutants
Fragil : Pour Soy, les concerts sont destinés à révéler des lieux investis « par des sons déroutants ». Comment s’opère leur sélection ?
Pierre Templé : C’est une vraie question, car il faut que le lieu soit en adéquation avec la proposition artistique : nous respectons nos artistes, nous respectons le public et nous voulons que tout se passe dans les meilleures conditions. Les lieux du soir, qui nécessitent une jauge importante, un bar et où on peut accueillir du monde, du bruit, restent souvent les mêmes, car il y en a très peu à Nantes : Stereolux, Le Ferrailleur, Bitche quand on peut, le Château puisqu’on a eu la chance d’y aller, le Lieu Unique…On se fait plaisir sur les concerts d’après-midi où on peut découvrir de nouveaux lieux : des musées, des bars...qui n’ont rien à voir avec la musique, mais qui nous parlent. Parmi les nouveaux lieux cette année, on est très contents d’utiliser la Chapelle de l’Oratoire, où on voulait aller depuis longtemps, le Café du Cinéma, et puis les Charbonniers, un nouveau bar. Il y a encore plein de lieux à explorer, heureusement, mais il y en a pleins dont on n’a pas les clés, qui ne sont pas pratiques, accessibles (on reste un festival de centre-ville) ou qui demandent trop d’investissement technique. Il y a un truc que je voudrais vraiment faire, c’est le Gymnase Armand Coidelle rue Lafayette, un ancien supermarché transformé en gymnase, avec deux étages, tout en bois : ce serait super.
On se fait plaisir sur les concerts d’après-midi où on peut découvrir de nouveaux lieux : des musées, des bars...qui n’ont rien à voir avec la musique, mais qui nous parlent
Fragil : Comment s’est fait le choix des scénographes ?
Pierre Templé : Nacho Hervias et Maxime Retailleau, qui s’occupent de la scénographie pour la deuxième année consécutive, sont des gens avec qui nous aimons travailler et qui se sont proposés pour décorer tous les lieux : Yamoy’, c’est toujours des copains ! Nous sommes tous bénévoles et nous faisons tout nous-mêmes, ce qui n’est pas toujours facile à concilier avec nos boulots respectifs ou parce que nous sommes potes depuis longtemps : même si on se chamaille parfois, on se réconcilie pour le festival qui est un peu notre Noël à nous. La scénographie pour le festival demande beaucoup d’organisation avec trois lieux à habiller par jour : il faut que ce soit facilement transportable, pas cher et que ce soit en adéquation avec les contraintes techniques des lieux.
Questions à un programmateur...
Fragil : Comment faire pour maintenir des tarifs aussi abordables sur les dates du Soy ?
Pierre Templé : Les tarifs abordables des concerts reflètent notre porte-monnaie : nous et nos potes on se dit « quand on sort, on peut mettre tant de thunes sur un concert », donc on essaie de garder ces tarifs-là et à nous d’assumer le surcoût en trouvant des partenaires privés et des subventions, notamment une aide de la mairie. Le budget artistique est assez énorme pour ce genre de festival, mais on est à 70% d’autofinancement grâce au bar et à la billetterie.
Fragil : Le festival Soy a lieu en même temps que le festival Pitchfork à Paris et les Rockomotives de Vendôme : comment garder son originalité artistique (les Rockomotives programment 5 groupes en commun avec Soy cette année, contre 3 pour le Pitchfork) et trouver son public ?
Pierre Templé : Nous partageons souvent des trucs avec les Rocko même si ce n’est pas toujours le cas. Mais on ne se bouffe pas trop le public : il y a un vrai esprit de festival à Vendôme et peu de gens veulent faire la route jusqu’ici. Le Pitchfork, c’est différent, c’est la grosse artillerie, ils font de la com’ à l’international, ils ont deux scènes dans la Grande Halle de la Villette, une déco et une technique de malade, ils ont des trucs que nous n’aurons jamais. Et puis ils s’orientent vers une esthétique complètement différente de la nôtre, plus jeune, avec des artistes new R’n’B, et là on se distingue vraiment par rapport à eux.
Pour Soy, quitte à faire un événement par an, autant faire venir des gens qu’on n’aura pas l’habitude de voir très souvent
Fan de musique avant tout
Fragil : La programmation est en grande majorité composée d’artistes américains : est-ce un hasard ou les États-Unis sont-ils la Mecque de la musique indé aujourd’hui ?
Pierre Templé : Depuis que nous écoutons le genre de musique programmé à Soy, c’est vrai qu’on a peut-être les antennes plus tournées vers des labels et des familles de musiciens américains. Il y a aussi de très bons artistes français, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse forcément et ce n’est pas notre rôle de les faire passer, car il y a déjà énormément de gens qui les font jouer. Pour Soy, quitte à faire un événement par an, autant faire venir des artistes que l’on a pas l’habitude de voir très souvent. Aux États-Unis (comme en Grande-Bretagne), ils ont des musiciens d’exception, car ils n’ont pas de système d’accompagnement des artistes comme chez nous. Les artistes jouent depuis tout petit dans leur garage et ils arrivent à un niveau de professionnalisme très vite : c’est un peu la loi du talion là-bas : « sois t’es bon soit tu meurs », donc ça fait tout de suite ressortir ceux qui sont talentueux.
Fragil : Constellation, Sub Pop, Captured Tracks sont des labels représentés dans la programmation de cette année à Soy : y a-t-il certains labels que tu suis les yeux fermés ?
Pierre Templé : Jamais les yeux fermés, parce que même si on aime sa famille, on n’a pas tous les mêmes goûts. Il y a des labels qui sont cultes pour nous genre Thrill Jockey qui sort des choses dans le style expé ou pop, toujours un peu bizarre. Pour nous, le label c’est quelque chose d’important, je ne sais pas si c’est toujours le cas pour les jeunes aujourd’hui, mais c’est important d’avoir une étiquette et de pouvoir faire confiance à une famille.
Propos recueillis par Sandrine Lesage et Loïc Fréjaville
Crédits photos : Festival Soy
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