NO-MAD MASSIVE : la face cachée du Hip-Hop indé
Lancement de la tournée concert national Rap indépendant
Pole position, top départ ! C’est le lancement de la première date d’une série de concerts de la tournée nationale NO-MAD MASSIVE qui a eu lieu le 19 septembre dans la salle de La Cité à Rennes. La soirée, organisée et produite par des indépendants, a réuni une palette de rappeurs indépendants confirmés. À la Old school, la nouvelle génération s’organise et perpétue le mouvement dans les plus hautes sphères de la New school. Mais tout n’est pas si facile, la route à parcourir reste longue et le résultat sera d’autant plus méritoire. Peu importe la différence, la flamme commune est d’aller à la rencontre de l’autre et de se faire entendre du plus grand nombre, comme un électrochoc face à l’anesthésie ambiante du rap commercial.
Le projet est né de la rencontre de deux rappeurs : Anonyvox, rennais, et Spoka, nantais, dans le studio de ce dernier, du label Unz Recordz, situé à Nantes. Sans rien lâcher, Anonyvox et Modest montent l’association MASSIVE pour s’occuper de l’organisation et Spoka apporte une partie du plateau de rappeurs tels que Demi Portion, Saké. Emportés par l’enthousiasme, très vite, se greffent les rappeurs Tiers Monde, Mino « l’enfant mystérieux du vieux port » de retour du célèbre label indépendant Din Records, porté notamment par l’exigeant Tour Manager Rémy. Le label et les rappeurs de la tournée ne font pas juste acte de présence, ils apportent leur engagement, leur soutien humain et encore financier en rendant accessibles leurs cachets. Propulsé par une détermination sans faille, la machine se met en route, la dimension nationale prend forme et le projet tout son sens : créer une tournée d’artistes indépendants où chacun défend son projet d’album ou sa place dans la scène hip-hop, à la rencontre des auditeurs.
Le goût du risque
« On prend un risque à Rennes : on doit remplir notre quota de places vendues pour assurer toutes les dates bien qu’une dizaine soient déjà bookées jusqu’à l’année prochaine. On est testés et attendus par les programmateurs des festivals et des salles de spectacles », explique Spoka, rappeur. L’événement a une dimension culturelle qui s’adresse aussi bien à la jeunesse des quartiers qu’à un large public. Même si le public des quartiers et les rappeurs sont moins stigmatisés, il reste des idées préconçues causées par les clashs de certains rappeurs mercantiles ou par le comportement d’un public mal encadré par la sécurité lors de certains concerts. « Certains programmateurs sont frileux, car pas à l’aise avec certains artistes et leurs publics. Ce n’est pas évident de trouver de grandes salles qui veulent bien nous accueillir. Rémy, Tour Manager de Din Records, les appelle pour souligner la qualité de la programmation et de l’organisation », raconte Spoka. S’ajoute une carence d’exposition, de couverture médiatique, les médias dits classiques restent distants et communiquent peu. « Les radios comme Skyrock ne font pas les choses gratuitement à moins que tu fasses du buzz. Aussi, nous n’avons reçu aucun soutien de la Ville de Rennes et de Rennes Métropole. C’est regrettable, car on est limités au niveau visibilité », constate Anonyvox, rappeur. Le financement vient des places payées par le public et des fonds privés.
Face à la réalité du terrain, l’indépendance hip-hop s’organise et cela ne date pas d’aujourd’hui. Ce type de format remonte à 2005, lors de la tournée Indépendance Tour composée de Sinik, Tandem, L’Eskadrille. « Les indés sont des passionnés, des personnes qui donnent de leurs tripes, de leur sueur, de leurs finances et de leur temps pour faire aboutir le projet. La tournée est innovante et carrée », affirme Anonyvox. Les sites médias hip-hop soutiennent la tournée tels que les Échos du hip-hop, Rap2france, Bouska-p. Malgré, la déficience de DJ affûtés qui facilitent la sélection des titres originaux du moment auprès des auditeurs avertis et la crise du disque, l’ère Internet a réellement changé la donne. Chaque artiste a sa page Facebook où il diffuse sa musique que l’internaute peut ainsi partager à sa convenance. Les featurings continuent à être un réel moyen d’exposition quand cela est justifié et fait à bon escient. On trouve aussi des salles de concert de plus en plus adaptées pouvant recevoir le rappeur et son DJ ou son Beatmaker, telles que la Dynamo à Toulouse, Le Moulin à Marseille et encore Canal 93 à Bobigny.
Une vie en totale indépendance
Je suis fier d'être en indépendant. Le rap est un trésor, c’est ma passion. C’est une belle aventure humaine où j'estime défendre une cause noble
Dans la Tournée rap Indé, on retrouve Saké, rappeur de caractère et de fond issu du groupe les Zakariens. Il a fait ses débuts en 1996 avant l’essor d’Internet, mais très vite, il a su prendre en main l’outil qui lui a permis de créer des pages médias telles que Myspace pour sa musique, et en assurer la diffusion auprès de ses auditeurs. Saké confirme : « Je suis fier d’être en indépendant. Le rap est ma passion que je préserve comme un trésor. C’est aussi une belle aventure humaine où j’estime défendre une cause noble (...) Au début, je rêvais d’une signature avec une major mais après plusieurs années, c’est devenu une désillusion. Mais rapidement, je me suis rendu compte que ma place n’était pas dans leurs bureaux, qu’il ne fallait pas tomber dedans, et que ma musique n’avait rien à voir avec ce qu’ils défendaient et la manière dont ils le défendaient (...) Franchement, je stresse moins d’être indépendant que de signer dans une major car ces gens t’obligent à faire des quantités d’albums. C’est comme presser un citron : et vas-y que je te presse, et à un moment, y a plus de jus. Je serais malheureux si mon succès dépendait que de ces gens. » Se considérant comme un artisan du rap, il reconnaît les moments de doute et de flottement, il conçoit que « l’indépendance, ça va avec la débrouille, c’est un combat perso ».
Chacun sa vision et sa définition du rap indépendant. Pour Demi Portion, rappeur et l’un des symboles de l’indépendance dans le milieu hip-hop : « Dans ma ville de Sète où j’ai grandi, je n’avais rien d’autre que le rap. Ma marge de manœuvre a été de commencer à faire découvrir par chez moi, faire valider à mes proches et ensuite partir à l’aventure humaine, celle de la rencontre du public ». Pour Demi Portion, ne pas être relayé par les médias est un réel choix d’indépendance : « Tu n’es juste pas tenu par des ficelles. Tu peux aller loin mais tu peux descendre aussi vite dans le milieu commercial ». À propos de certains rappeurs qui se font repérer comme des proies faciles du marché et qui sont ciblés comme la poule aux œufs d’or, Demi Portion réagit : « Heureusement et tant mieux pour eux s’il y a des pigeons qui tombent dedans et trouvent leur compte ; chacun fait ce qu’il veut et est maître de ses fesses ».
Le rappeur indépendant n'est ni un amateur ni un professionnel et encore moins un ancien ou un nouveau. Il ne se prend pas la tête avec l'argent, ce n'est pas son principal moteur
Tout le long de son parcours, Demi Portion a su développer des compétences de monteur en réalisant lui-même ses clips, d’une qualité incontestable, en investissant dans une petite caméra. Chacun de ses amis d’enfance l’aide et se spécialise soit dans le merchandising, soit dans la gestion de ses tournées. Le travail se fait en équipe. « Le rappeur indépendant n’est ni un amateur ni un professionnel et encore moins un ancien ou un nouveau. Il ne se prend pas la tête avec l’argent, ce n’est pas son principal moteur », confirme Demi Portion. C’est suite à une rencontre avec l’un de ses enseignants et dans les ateliers rap que Demi Portion a découvert son goût pour le rap et développé sa culture du son en écoutant des groupes mythiques tels que La Rumeur, Assassin, et encore la Scred Connexion.
« Je vis en totale indépendance. Notre label fait vivre une dizaine de familles, notre public éclectique s’y retrouve et nous soutient en relayant notre musique via les réseaux sociaux » ainsi s’exprime Tiers Monde, rappeur depuis 17 ans et l’un des fondateurs du label indépendant Din Records. Tiers Monde se mélange à tous styles de musiques parcourant son chemin, tel un coureur de fond tenant la distance. Il se souvient : « Le rappeur Medine, mon ami d’enfance, était à la logistique quand il a sorti son 1er album. Il pliait et expédiait les T-shirts. Dans le rap, il faut que chacun ait un poste utile pour contribuer à l’entraide de tous ».
Ma culture est une culture de témoignage qu'on peut retrouver au-delà de la musique et à travers les bouquins des rappeurs Soprano, Médine, et encore Kery James
Din Records n’est affilié à aucune maison de disques et ne touche aucune subvention de l’État. Ils ont développé plusieurs secteurs d’activité tels que le textile, le social par les ateliers musicaux. Les valeurs et les talents des artistes portent le label tout en imposant la qualité d’un travail de longue haleine pour mener à une réussite incontestable : « Ma culture est une culture de témoignage qu’on peut retrouver au-delà de la musique et à travers les bouquins des rappeurs Soprano, Médine, et encore Kery James. Depuis que le rap existe, on gueule, les jeunes des banlieues sont mal acceptés, mais ironiquement, ils font partie intégrante de la ville. Même si certains quittent le quartier, j’ai pris parti de revenir et de rester. C’est le syndrome de Stockholm, on déteste le quartier, mais je n’ai pas trouvé l’équivalent de l’ambiance conviviale, tout les gens que je connais sont là-bas (...) Chez nous, au Havre, les médias ne passent pas forcément du rap et on n’a pas de radio associative. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi ».
Partis de rien, en se démenant, en œuvrant d’arrache-pied, les rappeurs passent par l’étape de la rue, du studio jusqu’à la scène. Ainsi, au charbon, une partie de la génération rap indépendante représente : Demi Portion, Tiers Monde, Saké, Mino, Anonyvox, Omerta Muzik, LACRAPS, Gonzo Skizo, Metik Didgé Venum, DJ Looping, et bien d’autres. Et, ce soir, l’accueil chaleureux et la clameur des auditeurs ne trompent pas. Tous issus de la culture hip-hop sans complexe au croisement de vies qui méritent largement le respect.
Nina Dia
Bloc-Notes
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