
FESTIVAL
Comment va John ?
FESTIVAL BEAUREGARD – HEROUVILLE ST-CLAIR (14)
John va bien, très bien même, merci pour lui. Avec un nouveau record de fréquentation, la 6ème édition du Festival Beauregard d’Hérouville St-Clair (14) en Normandie a une nouvelle fois confirmé des choix audacieux dans sa programmation, et souhaité très largement soutenir les intermittents du spectacle dans leur combat.
Le festival Beauregard a rappelé sa volonté d’avoir une programmation large et éclectique. Allant vers des artistes locaux qui n’auraient pas eu la possibilité de se produire sur scène autrement aux côtés des têtes d’affiche plus populaires drainant un public familial venu en nombre, mais également en dénichant des perles rares ignorées des autres festivals et qui souvent créent la surprise.
Naissance d’un groupe en live
En résidence jusque-là au Big Band Café, la salle de musiques actuelles d’Hérouville St-Clair à l’origine du festival, Zone Libre Extended est véritablement né sur la scène de Beauregard. Ce projet créé en collaboration avec Serge Tessot-Gay consistait à proposer une carte blanche à l’artiste, accompagné de Cyril Bilbeaud, dont l’aboutissement final devait être présenté au public le 5 juillet avec les rappeurs Mike Ladd et Marc Nammour. Un résultat expérimental mêlant le rock et le hip-hop avec des sonorités africaines et orientales. De ce projet naîtra également un album prévu en 2015, puis une tournée à suivre.
Mais John ne s’arrête pas là. Le festival joue également son rôle de tremplin pour une nouvelle génération d’artistes. Ce fut le cas l’an passé avec le Caennais Fakear qui continue actuellement son impressionnante ascension. Cette année, Beauregard nous a permis de découvrir sur scène MmMmM, groupe qui a remporté le radio-crochet de France Inter. Mais aussi les Bordelais de Be Quiet (en photo ci-dessus) et leur new-wave électro dont la prestance diamétralement opposée du chanteur, tellement british, et de son guitariste, tellement punk, en a séduit plus d’un. Citons encore d’autres Caennais avec Samba De La Muerte et Portier Dean. Et puis il y a aussi BESS, un groupe de Perpignan programmé dans le cadre d’un partenariat avec Les Déferlantes, Musilac et Garorock. Cet échange d’artistes entre régions leur permet ainsi de se produire sur quatre scènes différentes dans l’hexagone.
On ne serait pas totalement complet et fidèle à l’esprit du festival sans citer Seasick Steve (ci-dessus). Un Californien de 70 ballets venu fouler le doux pâturage normand, et accessoirement s’enfiler quelques bouteilles sur scène. Cet artiste découvert sur le tard après un parcours chaotique a notamment côtoyé John Lee Hooker. Sa musique rock country minimaliste en a fait swinguer plus d’un sous un soleil pas mécontent de repointer ainsi le bout de son nez.
John et les intermittents
Dans le cadre de leur mouvement, les intermittents du spectacle ont tenu une conférence de presse durant le festival, et disposaient également d’un stand permettant au public d’échanger et d’aller à leur rencontre. Paul Langeois, programmateur et co-directeur de Beauregard, a rappelé le soutien du festival envers les intermittents avec lesquels il a souhaité proposé des actions pédagogiques pour alerter les festivaliers. Plusieurs actions se sont ainsi déroulées durant le weekend comme les Black Out où les écrans géants d’avant-scène se sont éteints pour laisser ensuite défiler un message des intermittents. En solidarité, l’entrée du festival affichait un tweet de John reprenant la phrase du journaliste Edwy Plenel : « les intermittents luttent pour notre bien commun ». L’enjeu revendiqué par Beauregard était d’être un festival militant et œuvrant pour la cause, appelant également les festivaliers à porter sur eux un petit carré de tissu rouge, symbole de soutien.
Durant cette conférence de presse, les intermittents en ont profité pour corriger les contre-vérités véhiculées par certains médias de masse comme la chaîne BFMTV qui prétend que 89% du public serait contre ce mouvement, ou encore l’abus de langage qui parle à outrance de « prise d’otage ». Les intermittents ont simplement rappelé qu’ils n’étaient pas une lutte armée et qu’ils ne réclamaient aucune rançon, mais uniquement le droit au respect et le maintien de leur système d’indemnisation.
L’entrée du festival affichait un tweet de John reprenant la phrase du journaliste Edwy Plenel : « les intermittents luttent pour notre bien commun »
Le festival Beauregard, autofinancé à hauteur de 96%, emploie 150 salariés intermittents. Si on prend l’exemple d’un technicien durant une journée de festival, il est présent durant 16 heures sur le site (en raison des temps de préparation technique, démontage et remontage), mais il ne touchera en réalité qu’un cachet équivalent à 8 heures de travail.
Le secteur culturel emploie en France 670.000 personnes et représente le second contributeur au PIB national avec près de 58 milliards d’euros. Le déficit de l’assurance chômage des intermittents tant décrié par le patronat ne représente en réalité qu’1/30ème du régime général de l’Unédic. C’est le secteur audiovisuel qui a plombé l’assurance chômage des intermittents, ont-ils dénoncé. Et en particulier les sociétés de production comme Endemol qui emploient du personnel relevant du régime général, mais le déclarent en intermittence, faisant ainsi peser à l’assurance chômage une part non négligeable de son indemnisation. Le Pôle Emploi, ayant connaissance des abus, est chargé d’établir des contrôles dans ce domaine, mais reconnaît à demi-mot ne pas avoir les moyens de s’attaquer aux chaînes ou aux sociétés audiovisuelles aidées d’une armée d’avocats, toujours selon les intervenants.
L’incroyable émotion palpable durant cette conférence de presse s’est terminée avec cette phrase hautement représentative de ce mouvement : « nous travaillons pour l’être humain, nous ne travaillons pas pour faire de l’économie ou pour le Medef, ça ne nous intéresse pas. »
Fauve qui peut !
Cette édition 2014 affichait aussi plusieurs artistes qui squattent les festivals de l’été comme Fauve, Breton, Shaka Ponk, Stromae ou encore London Grammar. Le groupe Fauve que Fragil a pu rencontrer tenait à être présent sur Beauregard, plusieurs membres du collectif étant originaires de la région. L’occasion rêvée de pouvoir enfin comprendre ce qui peut bien expliquer un tel engouement auprès du public. « On ne se pose pas trop de questions, on est là pour vivre un truc et on y va. » D’accord les gars, mais ça tient à quoi alors ? A vos textes ? « Il y a un propos, mais pas de message à faire passer. On se parle juste à nous-mêmes. » Le groupe rejette toute idée de discours militant ou de se sentir concerné par la société qui l’entoure. « On ne dit pas que le système est mauvais, mais on n’est juste pas fait pour ça. » Étonnant pour un groupe qui se prénomme Fauve et qui finalement n’en aurait pas la rage ? À ce propos d’ailleurs, Nicolas Julliard s’est fendu d’une tribune sur les réseaux sociaux pour dénoncer comment vous lui aviez honteusement volé son nom.
Si on veut que cette aventure Fauve nous profite au maximum, il ne faut pas que cela dure cinq ans, on n'est pas là pour faire carrière
« Tout ce que l’on peut répondre c’est qu’on est hyper heureux d’être ici. On n’a pas le temps d’être touchés par ce genre de réactions vu tout ce que l’on vit à côté. On a fait ça avec le plus d’honnêteté possible, mais on ne comprend pas ce qui se passe autour du groupe, c’est peut-être de la jalousie. » Soit, mais alors ce nom vous vient d’où ? « On a choisi notre nom avant de voir le film (Les Nuits Fauves de Cyril Collard sorti en 1992, ndlr). C’est uniquement l’aura et l’affiche auxquels on fait référence, mais pas le film en lui-même. » Reste aussi le symbole du groupe, le signe ≠ signifierait-il un parti pris pour le droit à la différence ? « Notre logo est un mantra pour nous-mêmes. Il explique juste d’être unique et de rester soi-même ». Le groupe, un peu replié sur lui-même visiblement, sortira son troisième album pour la fin de l’année, et annonce déjà qu’il se sabordera. « Si on veut que cette aventure Fauve nous profite au maximum, il ne faut pas que cela dure cinq ans, on n’est pas là pour faire carrière », expliquent-ils. Fauve ne serait-il au final qu’un pur produit marketing éphémère ? Après tout, c’est encore eux qui se définissent le mieux : « On était juste une bande de clampins qui faisaient des choses qui ne nous plaisaient pas ».
Breton en Normandie
Changement d’ambiance avec les britanniques de Breton et son leader Roman Rappak au physique d’acteur pour Twilight. Ce dernier revendique pour sa part la référence du groupe à l’écrivain normand André Breton, et en particulier au surréalisme dont il était l’un des précurseurs. « L’idée de jouer dans un autre contexte fait partie de ce que l’on aime », explique-t-il. Sur sa page Facebook, Breton a d’ailleurs proposé à ses fans de trouver un endroit surréaliste afin de pouvoir enregistrer leur troisième album. « La musique est un processus créatif assez sérieux, et nous préférons quelque chose de convulsif à exprimer. Quelqu’un nous a trouvé une ville abandonnée en Chine où on peut louer un immeuble de trente étages pour presque rien. Cela aura de quoi nous inspirer ! » Pour autant, leur second album, War Room Stories, a reçu un accueil beaucoup plus commercial que le précédent. « On essaie de ne pas trop y penser. Pour nous, un album c’est avant tout créer des espaces et des sonorités qui n’existent pas dans la réalité ». Le surréalisme de Breton existe désormais en musique.
Un délice nommé Yodelice
Arrivé en provenance du Main Square Festival, le chanteur Yodelice est venu partager un bout de transat avec Fragil, profitant ainsi du soleil arrosant le bocage normand. Maxim Nucci aka Yodelice a su rester humble malgré le succès, de quoi lui permettre de porter un large chapeau sans se prendre la tête surtout quand on lui sort les poncifs de la presse musicale. « L’album de la maturité c’est un truc de maison de disques quand on n’a rien à raconter. J’espère ne jamais faire d’album très mature. Même s’il y a une très grande différence entre Yodelice dont je l’aborde aujourd’hui et dans la façon dont je l’abordais au début. J’ai inventé un avatar qui est en évolution constante et fait de ce qui m’inspire », raconte-t-il. Ce personnage est le fruit de multiples inspirations. À la fois musicales, « j’aime beaucoup la musique des années 70 du rock au funk, la liberté d’expression de cette époque-là car le format musical a ensuite été imposé par les radios », mais aussi cinématographiques, « j’étais marqué par les films de Fritz Lang, les films qui traitent de la différence et de l’image », et plus personnelles, « ce personnage m’a permis de vaincre ma timidité, on ne fait plus qu’un désormais avec lui ». Et malgré son parcours atypique, il est entré très jeune dans une major en tant que musicien avant de signer le premier album des L5, ce girls band monté de toutes pièces par M6, Yodelice a su se préserver de la facilité commerciale. « Cela m’a formé d’une certaine manière », reconnaît-il. Pour autant, loin de lui l’envie d’être catalogué, « je suis contre tout ce qui est sectaire ou communautariste, je rejette les généralités, chacun ses goûts, on évolue, c’est ton environnement et ton éducation qui te forge. »
L'album de la maturité c'est un truc de maison de disques quand on n'a rien à raconter. Même s’il y a une très grande différence entre Yodelice dont je l'aborde aujourd'hui et dans la façon dont je l'abordais au début
Avec encore toute la candeur d’un enfant, Yodelice n’en revient toujours pas du succès qu’il rencontre au quotidien, « voir mon nom à l’affiche entre MGMT et les Black Keys au Main Square Festival, ça me paraît juste hallucinant ! » Pas peu fier également de nous faire partager sa joie d’écrire pour Johnny en ce moment, « je suis hyper fier de cela, alors qu’on oublie malheureusement l’artiste qu’il est vraiment et son immense parcours ». Yodelice, touchant de sincérité en évoquant la souffrance des intermittents, prend le temps de la réflexion et pèse ses mots, « je suis extrêmement sensible à cette cause, mais je ne suis pas sûr malheureusement que beaucoup de gens sachent ce qu’est vraiment un intermittent du spectacle ». Sur la scène de Beauregard, il aura une fois de plus emmené le public dans un conte musical à la Tim Burton, « j’aime le rêve et les mondes imaginaires ». Chapeau l’artiste.
Au terme de quatre jours de festival, dont une soirée réservée au comique troupier Stromae, Beauregard s’enorgueillit d’afficher 80.000 festivaliers au compteur. Parmi les temps forts de la programmation 2014, on retiendra la performance scénique de Portishead, et l’exceptionnelle voix de Beth Gibbons. Littéralement médusés, les milliers de spectateurs présents ce soir-là en sont restés pétrifiés dans un assourdissant silence couvrant tout le festival. Phénomène rare, le groupe a bénéficié d’un rappel, provoquant chez Beth Gibbons le besoin subit d’aller serrer les mains et embrasser ce public qui le lui rendait bien. Beauregard n’avait jamais aussi bien porté son nom.
Photos & texte : Jérôme Romain
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