
FESTIVAL
Carnet de voyage [SONOR] #8
Retour sur le festival dédié à la création radiophonique
Curieux et plein de gourmandises, le Festival [SONOR] est à l’image de la radio qui le porte, Jet FM, libre et indépendante comme un papillon volant au gré de ses humeurs.
La curiosité est sans conteste ce qui caractérise le mieux le Festival [SONOR]. Curieuse idée en effet que d’avoir imaginé ce festival entièrement dédié au son et à la création radiophonique, aux antipodes des festivals ou salons de la radio qui se gargarisent en pensant ce formidable média comme une industrie et non plus comme un lieu de création. Curieux, ce festival en porte aussi les gênes dans son ADN, il en use et abuse pour se permettre d’offrir un programme original et varié, de débats aux émissions en public, en passant par des expositions sonores, de la musique bien sûr, mais aussi du cinéma.
[Expo sonor] #8
Au gré des studios de répétition de l’espace Trempolino où le festival avait pris ses quartiers, il nous était donné d’écouter, mais aussi de voir s’animer des œuvres sonores. Agathe Pamart, étudiante aux beaux-arts de Quimper, a ainsi conçu un programme intitulé « Breach The Peace », littéralement « trouble à l’ordre public ». Autrement dit, l’ambition d’influencer les corps par l’utilisation du son et de certaines fréquences comme moyen de « briser la paix ». Un hommage revendiqué de l’artiste au mouvement techno anglais de la free party, Spiral Tribe, au début des années 90. Au studio 4.2, « Minimal Spaces » voyait se dresser tel un champ de marguerites une multitude de pupitres où fleurissaient plusieurs haut-parleurs. Dans un ballet sans cesse renouvelé, ces derniers entamaient un flot continu de percussions sonores. Même étage, autre lieu, « Les Trois Yeux » où comment trois octogones en 3D vous observent, soufflant un son diffus à peine audible, intriguant et fascinant. Au 5e étage, on faisait la connaissance avec « Hermetica ». Un son de basse donne vie à cet étrange octogone de haut-parleurs présents sur chaque face dont on observe avec émotion les membranes vibrer en rythme.
[Profession journaliste]
Pascale Pascariello est journaliste pour différents médias (France Culture, Arte radio, Mediapart). Le festival lui a laissé cette année une carte blanche durant toute une soirée, et l’a aussi invitée à venir s’exprimer dans les émissions de la radio Jet FM et sur le débat « Le Journalisme radio à l’heure du numérique ». Connue pour avoir été violemment prise à partie par des sympathisants de Serge Dassault lors d’une réunion publique à Corbeil-Essonne en 2008, l’extrait extrêmement choquant qu’a rediffusé Jet FM démontre bien toute la teneur du travail de cette journaliste poil à gratter. Ses reportages, la plupart du temps engagés, sont de véritables électrochocs. Comme celui réalisé dans les quartiers nord de Marseille où elle recueille les confidences d’un dealer de coke. Retour plateau, la journaliste explique les difficultés d’infiltration pour réaliser un tel documentaire, où le dealer doit même aller jusqu’à demander l’autorisation de s’absenter à un responsable de l’organisation clandestine pour répondre au reportage ! Où l’on apprend encore que ces mêmes dealers ont pu travailler à un moment donné pour des hommes politiques… La journaliste reconnaît avoir déjà reçu des pressions et des menaces pour tenter d’empêcher la diffusion de ses reportages, mais heureusement à chaque fois soutenue par une direction farouchement attachée à son indépendance et à rappeler la liberté de la presse.
On touche bien là au journalisme dans sa définition la plus noble et la plus respectueuse. Celui de l’investigation, de la recherche et de la défense de l’information. Un sujet qui nous amène tout naturellement à la causerie consacrée au « Journalisme radio à l’heure du numérique ». En présence de Christophe Deleu, producteur à France Culture et responsable d’enseignement radio à l’école de journalisme de Strasbourg, de Martin Pierre, directeur de la radio nantaise Prun’, et de Pascale Pascariello, le débat revient surtout longuement sur les nombreuses avancées et mutations qu’a connu la radio grâce au numérique. Média de l’immédiat et de l’instantané par excellence, la radio continue d’être accessible n’importe où grâce aux téléphones mobiles, et son écoute à la carte fait que certaines émissions se retrouvent podcastées plus d’un million de fois !
Les intervenants au débat dénoncent « une curiosité malsaine » de l’auditeur qui veut mettre un visage sur ceux qu’il entend
Le numérique a aussi permis aux radios associatives qui étaient condamnées jusque-là à diffuser uniquement en direct d’accéder aux méthodes d’enregistrement rendues beaucoup plus accessibles financièrement. Cela a aussi révolutionné le travail journalistique avec la relance d’une participation citoyenne. Face à ce qui pourrait s’apparenter comme une menace à cette corporation fière de ses 37.000 membres détenteurs d’une carte de presse, Pascale Pascariello vient temporiser cet emballement. Elle rappelle que le traitement de l’information demandera toujours du temps et des moyens que les citoyens ne peuvent y consacrer. La radio numérique terrestre est pour sa part déjà morte née. Si la RNT est expérimentée depuis 2010 à Nantes, le lobby des radios privées commerciales, qui n’arrivent finalement pas si mal que ça à s’entendre en dehors de la concurrence, a clairement bloqué ce projet. Elles redoutent ce qui s’est passé en télévision, où une nouvelle offre pourrait venir ébranler le spectre sclérosé installé depuis plusieurs années, et devoir ainsi découper de nouvelles parts du gâteau publicitaire. La radio reste donc le seul média terrestre analogique, et s’obstinant à ne pas vouloir comprendre les vraies raisons qui poussent les auditeurs à la fuir vers des offres musicales ou d’information alternative. Le débat se termine avec les données associées que permet le numérique. La radio se plaît aujourd’hui à montrer l’envers du décor en se filmant de l’intérieur, rompant avec ce qui faisait son charme, laisser le champ de l’imaginaire à l’auditeur. L’absence d’image était sa force, il en devient désormais un handicap. Les intervenants au débat dénoncent « une curiosité malsaine » de l’auditeur qui veut mettre un visage sur ceux qu’il entend. Pour autant la radio ne montre pas tout, on s’en tient souvent aux invités en studio pour faire le buzz, mais on ne filme pas encore tout le travail en amont comme les conférences de rédaction ou comment la radio se crée.
[Architecture sonore]
Le son des villes d’aujourd’hui est-il plus bruyant qu’il y a cinq siècles ? Ainsi s’ouvre la passionnante causerie consacrée à l’architecture sonore dans nos villes contemporaines. Quels sons peuvent bien faire la ville sans le bruit des véhicules à moteur ? À titre d’exemple, ce débat, également diffusé sur Jet FM depuis Trempolino, propose un intermède sonore baptisé « The noise and the city » enregistré à Portland. Les invités du débat, Thomas Leduc et Pascal Joanne du Centre de Recherche Méthodologique d’Architecture (CERMA), Alexis Colin et Vincent Roussarie, ingénieurs chercheurs, et la journaliste Juliette Volcler, posent la question de l’espace sonore qui reste à conquérir au même titre que l’a été l’espace visuel aujourd’hui surchargé par la publicité…
La voiture a fini par cristalliser le son urbain, c’est d’ailleurs le son et l’image des taxis que l’on utilise pour identifier les plus grandes métropoles comme New York City, Londres ou Paris que ce soit au cinéma ou dans la publicité. Les intervenants y consacrent tout logiquement la majorité de leurs réflexions en citant de nombreuses expériences pour le moins originales. C’est ainsi qu’on apprend qu’à Amsterdam, un pizzaiolo a sonorisé ses scooters électriques à son nom afin d’attirer l’attention des passants ! C’est tout l’enjeu des véhicules électriques, silencieux par définition, qui veulent pallier le vide sonore laissé par les véhicules à moteur. Les intervenants au débat évoquent le problème de la sécurité des véhicules électriques dans les villes où l’absence de repères sonores risque de perturber les piétons. « L’oreille est un sens de l’alerte », expliquent-ils. Les recherches sonores actuelles veulent ainsi combler ce manque, et c’est là où le marketing sonore entre en scène. Des pistes sont actuellement étudiées comme la création de logos sonores pour chaque type de véhicule qui les rendrait du coup identifiable à l’oreille. On rappelle aussi que l’intérieur de l’habitacle automobile renferme déjà tout un arsenal sonore de différentes alertes pour le conducteur. Des jauges d’essence et d’huile aux clignotants en passant par le bouclage des ceintures de sécurité ou l’allumage des feux, ces sons ne sont d’ailleurs pas universels d’un véhicule à l’autre. Un constructeur propose même différents environnements sonores pour l’habitacle en fonction des humeurs ou du type de conducteur.
à Amsterdam, un pizzaiolo a sonorisé ses scooters électriques à son nom afin d’attirer l’attention des passants
La carte au son et le paysage sonore urbain vont se retrouver fortement modifiés par ce changement du parc automobile, et l’intérêt des collectivités locales pour créer un nouvel environnement sonore va aller crescendo. À titre d’exemple, « le tramway représente aujourd’hui le fleuron d’une ville « propre » et écolo », insistent les intervenants. « Ce n’est pas un hasard si ces transports en commun sont sonorisés. » Rodolphe Burger a ainsi sonorisé le tramway de Paris et celui de Strasbourg. À Nantes, la voix de Yolande Brun, animatrice sur Fip, est utilisée depuis bientôt quinze ans pour annoncer les noms des différentes stations du tram. En avril dernier, elle s’est fait chiper la place pour quelques jours seulement par une bande de garnements venus égrener les annonces à sa place. Une idée originale signée Enlil Albanna qui n’a pas manqué de faire réagir les utilisateurs nantais. La causerie se termine sur un constat plus que perplexe, s’interrogeant sur la nécessité de vouloir à tout prix envahir l’environnement sonore avec le risque que les zones de calme deviennent un jour des lieux rares et protégés en voie (voix ?) d’extinction.
[La radio cousue main]
Programme original d’une quinzaine de minutes diffusé en direct sur Radio Campus à Paris tous les derniers mercredis du mois, « La radio cousue main » se définit comme une « performance labo-radiophonique collective ». L’idée est de revenir au principe fondateur de la radio à l’époque où elle se faisait uniquement en direct et avec un seul micro mono cardio. Cette capsule sonore propose donc une expérimentation improvisée collective et qui peut réunir en moyenne de 6 jusqu’à 30 personnes ! Pour le Festival [SONOR], Chloé et Anaïs ont donc proposé une expérience en public baptisée « Rebonds » en hommage à Trempolino et se déroulant à Monolux (clin d’œil à Stereolux).
[La radio pour enfants]
Chloé Sanchez de Radio Campus Paris (lire ci-dessus) a vécu cinq ans à Auroville en Inde. Ville expérimentale située près de Pondichéry, elle fut créée en 1968 par la Française Mirra Alfassa, appelée la Mère, et qui voulait en faire un lieu de vie communautaire de paix et d’harmonie. Conçue pour pouvoir accueillir jusqu’à 50.000 habitants, la ville n’en compte aujourd’hui qu’environ 2.300. C’est sur cette base que le conte « Sita et la forêt chantée » raconte la vie d’une petite fille qui découvre la nature et les animaux d’Auroville. Un conte poétique pour enfants diffusé le 1er janvier dernier sur France Culture et qui fut l’occasion pour le Festival [SONOR] de le proposer à son tour lors d’un goûter concert.
Mêlé d’innombrables rencontres, d’écoutes et de participations collectives, le Festival [SONOR] permet de découvrir ce que la radio, média préféré des Français, fait de mieux. Une richesse ouvrant tous les champs du possible à la création. Un voyage d’exploration qui met tous les sens en éveil et qui s’adresse à tous les publics. Un festival qui sait donner du sens au son pourvu qu’on veuille bien y tendre l’oreille.
Jérôme Romain
Crédits photo : Sonor, JR
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