CINÉMA
Rencontre avec Frédéric Schoendoerffer
Interview du réalisateur du récent long-métrage « 96 heures  »
Rencontre avec Frédéric Schoendoerffer pour la sortie de son dernier film, « 96 heures  ». Encore un fils de me direz-vous, dans un milieu qui n’en manque pas, mais ici nous avons affaire à un véritable passionné et cinéaste revendiqué, un vrai artiste à l’univers fictionnel fort. Frédéric Schoendoerffer, dont la marque de fabrique depuis son premier film « Scènes de crimes  » (2000) se définit par des thrillers véristes et ultra-réalistes, à l’image des films américains des années 1970 qu’il adore. Un cinéaste qui n’hésite pas aussi à prendre des risques ou des chemins de traverse dans un genre bien balisé, les films noirs ou policiers avec des acteurs ou des gueules chevronnés, ici Niels Arestrup et Gérard Lanvin. Un cinéaste qui a donc des choses à dire sur notre présent et notre société par l’intermédiaire de films de genre.
Fragil : Il ressort de vos films que, par exemple, Scènes de crimes expose la violence perverse d’un serial killer. Agents Secrets montre la violence étatique et Truands reflète les mœurs barbares de mafieux sans foi ni loi. Finalement, par vos films, vous êtes face à des structures institutionnelles, à leurs failles. Ne montrez-vous pas comment des machines bien huilées sont grippées par des réalités qui leur échappent ?
Frédéric Schoendoerffer : Si, absolument. Je considère qu’il y a ainsi un fil directeur entre ces trois films avec cette idée de violence dans la société.
Fragil : Généralement, vous décrivez des structures institutionnelles dans vos films comme la SRPJ dans Scènes de crimes ou le monde de l’espionnage dans Agents secrets et on se rend compte que souvent, ces gens sont très seuls dans leur travail. Que leur hiérarchie ne les couvre pas s’il y a des problèmes.
Frédéric Schoendoerffer : C’est ça qui m’intéressait. Pour Scènes de crimes, je considérais que lorsqu’on traque un serial killer ou lorsqu’on a affaire à une réalité très sordide, il y a toujours des conséquences sur l’homme et la vie privée.
Fragil : Vous dépeignez et décrivez des gens dans leur travail au quotidien, avez-vous des retours justement de ces structures institutionnelles ?
Frédéric Schoendoerffer : Je sais que Scènes de crimes a été très apprécié par les policiers. C’est un film parfois projeté à l’école des commissaires. Agents secrets a été apprécié aussi par les espions professionnels et cette idée que l’État les laisse tomber s’il y a un problème, c’est leur lot quotidien. L’affaire du Rainbow Warrior, ce fut cela par exemple. Ces gens-là le savent qu’ils risquent d’être lâchés si cela part en vrille, il y a donc quelque chose de tragique dans leurs vies qui m’intéressait.
Fragil : L’hyperréalisme dans vos films et le travail d’investigation, de recherche dans ceux-ci, qu’en pensez-vous ?
Frédéric Schoendoerffer : Je pars du principe que plus je crois à ce que je vois, plus ce que je vois m’impacte. Il n’y a pas vraiment de calcul dans tout cela.
Fragil : Peut-on dire que vous êtes dans la lignée des films réalistes d’Olivier Marchal ou de Jacques Audiard ?
Frédéric Schoendoerffer : Jacques Audiard, je ne le connais pas - personnellement - mais comme tout le monde, j’aime beaucoup ses films. Olivier Marchal, quant à lui, est un ami.
Fragil : Comme pour Un Prophète d’Audiard justement, vous décrivez des populations immigrées, maghrébines notamment, de la seconde ou troisième génération.
Frédéric Schoendoerffer : Oui, la société française telle qu’elle est à l’heure actuelle.
Je pars du principe que plus je crois à ce que je vois, plus ce que je vois m'impacte
Fragil : Vous savez très bien mettre en scène des moments de violence dans vos films. On pense notamment à la fameuse scène de parking dans Truands. Est-ce intéressant à filmer ?
Frédéric Schoendoerffer : Ah oui, tout à fait. C’est passionnant. Je voulais montrer, par ces scènes, la sauvagerie des mafieux et montrer qu’ils étaient à l’image de notre société : de plus en plus violente et sauvage. Je voulais montrer comment ces mafieux étaient de plus en plus méchants et sans pitié.
Fragil : Il y a une scène où ceux-ci canardent une boîte de nuit. Certains penseront que c’est exagéré, mais finalement, début septembre, un fait-divers similaire a eu lieu à Marseille. Qu’en pensez-vous ?
Frédéric Schoendoerffer : De toute manière, je n’ai rien inventé. Lorsque Truands est sorti, on a dit ce n’était pas plausible, cela ne se passe pas comme cela en vrai. Moi, j’ai juste compilé un certain nombre d’histoires. Cette violence et ces mafieux, on les voit tous les jours à Marseille. Moi, je ne voulais pas faire l’apologie de tout cela, je voulais montrer ce monde sans artifices.Voilà comment est ce monde-là.
Fragil : Vous avez participé à Braquo sur Canal Plus : une série novatrice et moderne, modelée sur certains téléfilms américains. Vos films, dans leurs mises en scène, sont-ils calqués sur ce genre d’œuvres ?
Frédéric Schoendoerffer : En ce qui me concerne, il n’y a pas cette idée-là. Il s’agit surtout de faire du bon travail. J’adore le cinéma américain des années 1970, mais chez moi, il y a cette idée de faire surtout du bon travail et de bons films. Je ne travaille pas en me disant je vais faire comme les Américains. Dans Truands, il y a un côté très français par exemple.
Fragil : Vos films sont tirés de scénarios originaux : avez-vous été approché par les Américains pour des remakes de vos films ?
Frédéric Schoendoerffer : Oui, j’avais eu des contacts avec les frères Weinstein. Moi, personnellement, je n’ai pas le rêve américain. Pour l’instant en tous les cas. J’ai eu des propositions pour tourner aux États-Unis, mais cela ne s’est pas fait.
Fragil : Vos films ont-ils eu du succès à l’étranger ?
Frédéric Schoendoerffer : Oui, ils s’y vendent bien. J’ai été souvent au Japon par exemple, et c’est toujours très intéressant de voir comment les Japonais - une autre culture - appréhendent votre travail. C’est assez fascinant.
J'estime que j'ai de la chance, car je fais le métier que je voulais faire depuis mon enfance, il y a des métiers plus durs que cela, il faut aussi accepter la critique
Fragil : Vous êtes producteur de vos deux derniers films : avez-vous l’ambition comme Luc Besson de continuer dans cette voie ?
Frédéric Schoendoerffer : Non, moi je ne suis pas un homme d’affaires comme Luc Besson. Tant qu’à faire des films, autant être près de leur fabrication. Moi, je ne suis pas prêt de faire ça : créer un studio à la manière d’EuropaCorp, comme Luc Besson. J’en suis là pour l’instant.
Fragil : Vous avez donné un master class à Beaune pour le Festival du film policier. Et vous y avez dit quelque chose d’assez intéressant : « si vous ne voulez pas être vraiment critiqué ou jugé, ne faites pas le métier de cinéaste. »
Frédéric Schoendoerffer : Ah ça c’est sûr ! Si vous faites des films, vous êtes exposé à la critique, à des gens qui les ne les aiment pas ou moyennement.
Fragil : Êtes-vous surpris par les critiques sur vos films ?
Frédéric Schoendoerffer : Oui, pour Truands par exemple, j’ai eu une presse déchaînée. Quand on a des critiques assassines, je ne peux pas dire que cela soit plaisant, mais bon, c’est un peu la règle du jeu. Il faut apprendre à vivre avec tout cela.
le cinéma demeure une industrie. Même un film au budget modeste, les sommes qui y sont consacrées sont colossales
Fragil : Cela ne vous a-t-il pas bloqué ?
Frédéric Schoendoerffer : Non, ça ne m’a pas fait plaisir, mais cela ne m’a pas bloqué. J’ai eu de bonnes critiques sur certains films, des mauvaises sur d’autres et parfois, avec le temps, ces mauvais avis changent, on comprend mieux le film, petit à petit. L’avis des gens change. Pour Truands, j’ai eu des critiques extrêmement violentes et, à l’heure actuelle, c’est plutôt un film que les gens aiment bien. Pour un metteur en scène, ce qui est important c’est de pouvoir continuer à faire des films. J’estime que j’ai de la chance, car je fais le métier que je voulais faire depuis mon enfance, il y a des métiers plus durs que cela, il faut aussi accepter la critique pour vos films. Truands était un film au sujet « gratiné » et il ne laissait pas les gens insensibles. Finalement que les gens ne soient pas indifférents à votre travail, ce n’est pas si mal.
Fragil : Et donc votre nouveau film c’est 96 heures avec Gérard Lanvin, sorti le 23 avril dernier et Niel Arestrup.
Frédéric Schoendoerffer : Oui, c’est un peu "Garde à vue" à l’envers. L’histoire d’un voyou qui séquestre un flic pour lui soutirer des informations. Le film est tiré d’un scénario original signé par Simon Mickael, l’auteur des Ripoux.
Fragil : Roman Polanski déclarait « On est le garant de son dernier film. »
Frédéric Schoendoerffer : Ça c’est sûr, le cinéma demeure une industrie. Même un film au budget modeste, les sommes qui y sont consacrées sont colossales et vous ne continuez à faire des films que lorsque les bailleurs de fonds s’y retrouvent. Ce n’est pas du mécénat. C’est la règle du jeu. De manière générale, je continue à faire des films, car je n’ai pas eu d’immenses échecs, mais pas d’immenses succès aussi. Bon an mal an, tous mes films ont été bénéficiaires, vous voyez et donc les bailleurs de fonds continuent à me faire confiance. Si votre dernier film ne rembourse pas les sommes investies, et bien vous êtes dans une position délicate. Les films sont faits pour être vus et s’ils sont vus, vous pouvez continuer à en faire. Mais je n’invente rien, tout cela existe depuis la création du cinéma. En 1920, il y avait les mêmes enjeux.
Interview réalisée par Dominique Vergnes
Crédit photo : Julian Morvan (Wikimedia Commons)
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