
Rencontre
La galaxie sonore de Florent Marchet
Passé par Nantes en février dernier, puis plus récemment au VIP à Saint-Nazaire, Fragil en a profité pour rencontrer Florent Marchet. Un artiste qui donne encore du sens à la chanson française.
Découvert en 2002 par Les Inrockuptibles, Florent Marchet a su très rapidement faire la différence. À la fois par sa musique qui allait puiser du côté de certains instruments un peu oubliés. Mais aussi par ses textes qui, dans son tout premier album Gargilesse, racontaient les histoires et les souvenirs d’un jeune garçon qui allait bientôt avoir 30 ans, et devoir construire et supporter la vie qui va avec. « J’avais 27 ans à l’époque, mais plutôt 22 dans ma tête. Je n’étais pas quelqu’un de très mature. J’ai toujours eu 5-7 ans de décalage », raconte t-il avec le besoin de se justifier. « J’ai mis beaucoup de temps à m’installer dans cette vie, je me suis laissé complètement porter, j’ai eu cette chance aussi que l’argent ne m’a jamais trop manqué. Je n’avais pas d’ambition si ce n’est de faire des chansons. » Aujourd’hui, Florent Marchet se dit plutôt heureux d’avoir pu réaliser depuis dix ans les projets qu’il aimait. « En cette période de déclin culturel et musical, c’est pas si mal », précise t-il.
Humanité en danger
De retour depuis janvier avec son quatrième album, Bambi Galaxy, Florent Marchet qui reconnaît donc avoir mûri, nous entraîne cette fois-ci dans ce que l’on croyait être un univers parallèle, mais qui n’est autre que notre propre existence bien réelle. « C’est plutôt parti d’un travail existentiel, introspectif et hyper intime, c’est ce qui est amusant dans cet album qui est à la fois plus engagé que les autres et en même temps très intimiste. » Bambi Galaxy nous fait ainsi voyager dans un futur qui n’est pas si lointain comme dans un film de science fiction, et dont la subite prise de conscience nous fait redescendre les pieds sur terre. L’album a cette capacité incroyable de taquiner nos émotions. Et si les paroles font parfois l’effet d’un électrochoc, les arrangements mélodiques viennent ralentir notre chute. Florent Marchet s’interroge sur la place de l’homme sur la planète et dans l’univers, le sens de notre existence et ce que nous sommes en train d’en faire. « Aujourd’hui, on ne pense absolument pas aux générations futures », explique-t-il. « Et j’ai l’impression que c’est très nouveau dans l’histoire de l’humanité, alors qu’il y a encore quelques siècles, on s’en souciait. Je prends juste l’exemple des luthiers qui faisaient vieillir leur bois durant un siècle. Ce qui fait qu’ils ne travaillaient jamais le bois qu’ils avaient vieilli ou acheté. »
Bamby Galaxy est avant tout un album qui raconte notre histoire, ce monde que les hommes se sont construit et qui devrait causer leur perte. Loin des poncifs alarmistes ou d’un énième scénario fin du monde, Florent Marchet est tout simplement un chanteur conscient, préoccupé des réalités qui l’entourent. « Je ne dis pas que c’était mieux avant. Mais depuis la révolution industrielle, il n’y a pas de crise environnementale comme on peut parfois le dire, on est en réalité dans une révolution géologique. L’homme de par son action modifie totalement l’éco-système et surtout l’environnement qui lui permet de vivre. Et il sera la première espèce capable de s’auto-exterminer alors que c’est jusqu’à présent la plus intelligente qui a pu exister. C’était ce paradoxe-là qui m’intéressait. »
Construit comme une bande dessinée ou un film de science-fiction, Bambi Galaxy rejoint ce cinéma d’anticipation des années 70 tel que Soleil Vert ou l’extraordinaire épopée de La Planète des Singes. « Quand on dit qu’il faut protéger la planète, j’ai plutôt tendance à vouloir dire qu’il faut protéger l’homme. C’est beaucoup plus large du coup que la question de l’environnement », ajoute t-il. « Ce qui est étrange c’est que cette menace d’extinction était très présente et bien réelle dans ce cinéma là. Et avec la guerre froide, on a vu dans les films de science-fiction que la menace n’était plus jamais l’homme, mais les aliens ou des extraterrestres, et que pour nous tout allait bien. »
Quand on réalise qu'en 2030, en Chine, il n'y aura plus d'eau potable et que les terres seront difficilement cultivables. On peut se poser la question de ce qu'il va se passer, mais on ne se la pose pas vraiment. On s'en fiche un peu
Un chanteur citoyen
Avant de faire remarquer que tous ces scénarios se déroulent dans un futur finalement pas si lointain... « Quand on réalise qu’en 2030, en Chine, il n’y aura plus d’eau potable et que les terres seront difficilement cultivables, on peut se poser la question de ce qu’il va se passer, mais on ne se la pose pas vraiment. On s’en fiche un peu. Ces scénarios catastrophes n’ont finalement jamais été aussi proches de nous. » De la bouche d’un chanteur français, on avait rarement entendu de tels discours. Autant dire que Florent Marchet passe pour le coup pour un extraterrestre ou un dangereux sectaire dans le paysage musical français actuel. Bien qu’il soit sans conteste ce qui lui soit arrivé de mieux depuis dix ans. « Le personnage de cet album n’est pas heureux dans cette société. Il cherche d’autres choses car ce mode de vie ne lui correspond pas », explique t-il. « Il y a eu beaucoup de recul en arrière quand on pense que dans les années 70 l’épanouissement devait être au cœur du travail, et qu’aujourd’hui on en est très très loin. De nombreux gens souffrent au travail. Il y a une nouvelle pénibilité qui est revenue. On est tout de même en 2014 et on continue de voir des comportements moyenâgeux aux quatre coins de la planète. Lorsque les gens me trouvent pessimiste, je ne sais pas dans quel monde ils vivent. »
Ressources déshumanisées
Le social, le monde du travail, les ressources humaines, autres thèmes d’écriture de Florent Marchet. En 2008, il co-écrit avec Arnaud Cathrine un livre musical, Frère Animal, une sorte de comédie dramatique musicale qui fustige le monde du travail, et cette crise perpétuelle qui telle la boîte de Pandore libère tous les abus. « C’est fou comme on a tous gobé cette histoire de crise ! », s’insurge t-il. « Elle est réelle à partir du moment où elle crée des pauvres de plus en plus pauvres et des riches de plus en plus riches. Mais il n’y a jamais eu autant de richesses qu’à l’heure actuelle. On a augmenté les richesses en un siècle par quarante, et on continue de nous parler de crise. Or, c’est l’ascenseur social qui ne fonctionne plus. Et c’était bien avant qu’on entende cette fameuse phrase de “ travailler plus pour gagner plus ”. » L’entretien prend alors une tournure politique éclatante. « “ Travailler plus pour gagner plus ”, c’est un sens assez curieux de l’existence et de la vie. Je pensais que pour être heureux et épanoui il y avait un peu autre chose qu’une société basée essentiellement sur l’argent et le fait de posséder. Or, on ne sait pas s’épanouir dans autre chose que l’argent et le sexe. Même s’il nous reste au moins ce truc là. » Avant de reconnaître pour conclure sur le sujet : « J’ai conscience d’être un privilégié dans le sens où je fais un métier qui m’épanouit et que j’aime ce que je fais, mais on ne vit pas seul, on est entouré de gens qui ne sont pas forcément dans la même situation. »
« Travailler plus pour gagner plus », c'est un sens assez curieux de l'existence et de la vie. Je pensais que pour être heureux et épanoui il y avait un peu autre chose qu'une société basée essentiellement sur l'argent et le fait de posséder
Exploration musicale
Florent Marchet est aussi un formidable musicien. L’album Bambi Galaxy en est une nouvelle preuve avec ses explorations sonores. « On a fait le tour à la fin du XIXème siècle de la musique harmonique tonale », raconte t-il. « À l’époque aussi on se posait la question de savoir si on pouvait inventer de nouvelles harmonies. On a beau les habiller différemment, les appeler pop ou hip-hop aujourd’hui, on peut retrouver les mêmes harmonies d’à l’époque de Chopin. » La musique atonale considérée comme révolutionnaire et futuriste ouvre l’album qui prend furieusement les allures de 2001, l’Odyssée de l’espace. « J’ai une vraie passion pour les instruments en général », explique Florent Marchet. « Je ne sais pas forcément bien en jouer, mais depuis tout petit je me passionne pour découvrir de nouveaux instruments, apprendre comment ils fonctionnent. Si on n’a plus la possibilité de révolutionner la musique ou d’inventer de nouvelles harmonies, on peut au moins travailler ses propres textures », précise t-il. Sur scène aussi le spectateur est plongé dans une impressionnante atmosphère futuriste. « Le décor est une idée de Guillaume Cousin qui s’occupe des lumières et de la scénographie. L’idée c’était d’avoir quelque chose qui donne un focus sur l’étrange, un clin d’oeil à la science-fiction qui a beaucoup nourri l’album. »
Les deux précédents albums ont connu pour leur part un succès plus mitigé. L’échec de Rio Baril a failli mettre carrément un terme à sa carrière de chanteur. Et pour Courchevel, Florent Marchet avoue que ce n’est pas le genre d’album qu’il referait. « Ce qui explique les raisons d’un nouvel album c’est aussi parce qu’on n’est pas satisfait du précédent (rires) ou bien que l’on a des désirs différents », ironise t-il.
Avec Bambi Galaxy, Florent Marchet s’intéresse aussi au phénomène des sectes qui séduisent de plus en plus d’âmes en peine d’échappatoire. « Ce qui me plaisait c’était de relier la science-fiction au Temple Solaire et à Raël, mais je ne suivrai pas les pieds de mon personnage ! (rires) » C’est heureusement tout ce qu’on lui souhaite.
Interview et crédit photos : Jérôme Romain
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