
MUSIQUE
Les ateliers d’écriture rap de Mokless
Rencontre avec un artiste aux pulsions textuelles
Lors du festival Hip OPsession étaient présents Mokless, rappeur du collectif Scred Connexion Paris, Barbes, accompagné du rappeur Guizmo, de la rappeuse Cayene, et du manageur/producteur Y&W Willy L’Barge. Tous étaient invités à donner des ateliers d’écritures rap au Centre socioculturel (CSC) de la Boissière, dans le quartier nord de Nantes, du 5 au 7 mars dernier. Les artistes aux multiples univers ont pu partager leurs visions de l’écriture. C’est Abou Bader, responsable du secteur jeunesse Nantes Nord (Accoord) qui a facilité la rencontre avec des jeunes du quartier amoureux de l’écriture et du rap.
Retour sur les ateliers d’écriture du rappeur Mokless, l’une des figures du rap français qui n’en est pas à ses premiers au quartier nord de Nantes. Dans toute la France, aussi bien dans les prisons que dans les centres culturels, il nous relate son expérience à travers ces moments d’expression et son goût de l’écriture.
Première fois, premières rencontres
Dès le début de l’apparition du rap dans les années 90 en France, les plus grandes figures de la culture hip-hop ont commencé à donner des ateliers d’écriture tels que Les Sages Poètes de la Rue, MC Solaar ou encore Oxmo Puccino. Chacun avec leur univers vont tailler un uniforme sur-mesure à leurs ateliers. Sachant aussi que autant dans les quartiers qu’ailleurs, l’envie d’écrire devient vitale : une rage, une passion, l’envie de transmettre. Ils sont pris d’assaut par tous et à tout âge.
Dès l’âge de 13 ans, Mokless a commencé sur les bancs de l’école en intégrant son premier groupe de rap. De fil en aiguille, il fait des rencontres majeures qui détermineront la suite de son parcours en intégrant le mythique collectif Parisien de Barbès, la Scred Connexion au célèbre slogan « jamais dans la tendance, mais toujours dans la bonne direction. » Une formation aux valeurs humanistes et dénonciatrices d’un système qui ne tourne pas rond, et ce depuis bien longtemps. Il y côtoie des rappeurs tels que Fabe, Koma, Haroun, Morad. Tombé dans l’âge d’or du hip-hop, c’est en quelque sorte un enfant de la balle du rap français. Mais, très rapidement, il sait que son évolution passera par la maîtrise de l’écriture. Mokless déclare à ce sujet avoir « eu la chance de me retrouver dans des projets de collaboration qui m’ont apporté de la visibilité et une plus grande audience ». Il se considère comme un reporter dénonçant les injustices, le summum de l’inacceptable dans un monde complexe. Auteur de son album solo, Le Poids des Mots, il a su transmettre ses valeurs et son goût pour l’écriture, en alliant un phrasé subtile, explicite et direct. Les mots ont un poids, l’écriture a un sens et les rencontres une raison.
L’atelier écriture rap : aucun style imposé
Le temps d’un tour de table, les participants commencent à se présenter. Les jeunes sont intimidés. Mais, la confiance s’installe très rapidement pour laisser place à l’expression de chacun. Mokless raconte : « j’ai rencontré des gens qui ont pris le stylo pour la première fois pour écrire un rap. C’est freestyle, je m’adapte à la situation selon le nombre, qui peut aller de 2 à 40 personnes, et l’âge qui varie de 7 à 77 ans. Je suis parfaitement conscient que chacun a besoin de temps pour donner le meilleur de soi, car j’ai peut-être été un peu réservé étant jeune. Je suis passé par là. » Ces rencontres permettent des échanges aussi bien avec des novices que des expérimentés de l’écriture.
Je ne sous-estime personne, ils détiennent leur propre vérité
L’objectif est de mettre en valeur les mots tout le long de l’atelier d’écriture et de répondre aux zones d’ombre. Mokless veille à ce que chacun garde son style, et selon lui : « le rap, c’est l’une des rares musiques dont l’interprète est l’auteur. Les participants savent qu’ils vont raconter leur propre histoire. Mais dans mes ateliers aucun style d’écriture n’est imposé. Mon rôle n’est pas de les ramener obligatoirement au rap, ils ont déjà les bases et la volonté en arrivant aux ateliers. Tu peux venir écrire des poèmes, des articles ou autres choses. » Et de déclarer humblement : « ils ont de super bons thèmes. Je ne sous-estime personne, ils détiennent leur propre vérité. L’utilité est de donner juste une vision du rap en encourageant les jeux de mots. Après savoir si le texte est bon, c’est un autre débat. Ensuite, je vais chercher à savoir s’ils savent poser leur texte sur l’instru ou pas. » Il est accompagné d’un autre rappeur, reconnu dans le milieu. « Guizmo contribue aux ateliers, il est pertinent pour les jeunes » souligne Mokless.
Quand on entre dans le rap, on se responsabilise et se cultive
L’atelier sollicite la créativité. Mokless observe : « le rap a cette force de permettre au jeune de prendre son stylo sans qu’on lui impose. Ce ne sont pas des leçons à apprendre par cœur. » « Les règles ne sont pas les mêmes, ne sont pas prédéfinies. Mais paradoxalement, un jeune a besoin de s’instruire pour savoir rapper. Et, n’oublions pas que les rappeurs comme Booba, Rohff ont été à l’école. » ajoute-t-il. Bien qu’il soit conscient que son âge d’or et ses classiques ne sont forcément les mêmes que ceux de la nouvelle génération, il aspire à l’idée que : « par mon expérience et mon parcours, je souhaite casser les fausses idées et les tirer vers le haut. J’essaie de faire comprendre que le rap fait partie de la vie et qu’il est accessible aussi par tous. » En tant que véritable levier d’émancipation, le rap est une culture qui permet de s’affirmer. Les thèmes sont approfondis par des recherches personnelles en consultant des livres, le web, etc. Il explique : « Quand on entre dans le rap, on se responsabilise et se cultive pour traiter des thèmes qui nous intéressent. »
L’écriture rap, une manière de penser
« L’écriture rap a construit ma pensée et forgé mon état d’esprit tout le long de ma vie. Avoir une passion et sentir qu’on peut réussir est un moyen de sauver des gens en les accompagnant à se réaliser. Aussi, c’est dans les ateliers que j’ai beaucoup appris des autres. » raconte Mokless. « Dis-moi comment tu rappes je te dirais qui tu es. »
Le vrai talent est partout, il n'y a pas d'âges, pas de couleurs
Alors que l’opinion générale se focalise seulement sur le rap qui passe à Skyrock, les grands concerts des rappeurs au Zénith, il nous fait comprendre que « la pratique du rap se trouve aussi dans les ateliers écritures. Le vrai talent est partout, il n’y a pas d’âge, pas de couleur. » Le rap ne change pas les consciences, mais peut contribuer à guider aussi bien vers le bien que vers le mal.
C’est par un phrasé maîtrisé, relatant un quotidien où l’image prime, que Mokless déclare : « Je suis comme un envoyé spécial. Je filme les gens. Je suis parfois le commentateur ou le conteur d’une histoire. Tous les chemins mènent à la rime. » Face à la critique, il admet : « On est tous sensibles à la critique, mais je fais ce que je veux et ce ne sont pas les gens qui vont me dire ce que j’ai à faire ». Pour ce qui est de l’inspiration, selon lui : « l’inspiration est innée, je pense qu’il faut un minimum de talent. Mais cela ne se commande pas ». Et, quant au « trou de mémoire », il explique : « Je me suis rendu compte avec le temps, j’ai un mal-être qui s’installe et je fais tout pour y remédier en m’occupant l’esprit. » Enfin, face aux mots qui nous transpercent, qui nous habitent et qui nous hantent, il se souvient : « Je suis nostalgique et je pense à des rappeurs et à leurs phrasés qui ont fait ma jeunesse, tel qu’Akhenaton d’Iam, Ne fait pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. »
L’écriture rap est comme un exutoire, une thérapie. « L’envie d’écrire comme une pulsion textuelle, comme une guérison. Le rap, c’est un texte, une musique accompagnée d’une formulation artistique qui se traduit par un jeu de mots, une tournure, un rythme pour passer des messages que je ne serai exprimer autrement. Les mots posés sur un texte à cet endroit ne se font pas par hasard. » Et, à l’heure où les injustices, la discrimination s’accroissent au quotidien, il réagit : « On veut nous faire croire que cela n’existe pas. Mais, oui, le racisme existe. Il y a des gens qui ne peuvent pas te pifrer dans le quotidien et te le font savoir part des signes d’incivilités. Il y a trop de choses qui me dégoutent par exemple les gens qui essayent de monter les uns contre les autres. Je pense aussi à ce rap bling-bling sur-médiatisé qui tire vers le bas. »
La pratique de l’écriture rap est un chemin sans fin. Mokless s’est fait une raison. « Je suis toujours en constante recherche de thèmes, de couplets, de refrains, et cela jusqu’à mon dernier souffle. »
Nina Dia
Crédits photos : Pierre Pigeault et Abou Bader (Scred Connexion)
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