
FESTIVAL ASSIS, DEBOUT, COUCHÉ 3/3
Des règles dictées pour être détournées
Interview de Josephine Foster et du groupe Pillars and Tongues
Les injonctions données ce soir-là par le Lieu Unique afin de profiter dans la meilleure position qui soit des concerts proposés pendant ces trois soirées ont inspiré à Fragil un questionnaire partant dans tous les sens. Il incitait les artistes, par le biais de petits papiers piochés dans un sac noir, à réagir à une expression ou un titre de chanson contenant le mot « assis  », « debout  » ou « couché  ». Retour sur deux interviews riches et insolites.
Josephine Foster est fatiguée ce soir-là mais nous accorde à la dernière minute un entretien tout en humour gracieux, triturant les morceaux de papier autant que son esprit pour coller le plus sincèrement possible au courant de ses pensées. Quant à eux, les membres de Pillars and Tongues réagiront tous à leur manière. Tour à tour avec enthousiasme, amusement, une pointe de dérision ou carrément avec l’envie de réécrire les règles de l’interview…
Dans le palais de Josephine
Dès lors qu’elle voit apparaître un sac noir sur la table basse de la loge du Lieu Unique, la chanteuse folk américaine Josephine Foster s’attend à un entretien quelque peu différent, et nous demande avec amusement : « Allez-vous jouer aussi ? ». « Non », bien sûr. De ses mains graciles, c’est elle qui piochera les phrases une à une. Elle les lira avec un anglais teinté de cet accent hérité de ses longs séjours en Espagne, tout comme la longue jupe et le châle qu’elle maintient sur ses épaules telle une danseuse de flamenco.
« I’m gonna sit right down and write myself a letter » (= Je vais m’assoir à côté et m’écrire une lettre)
Josephine Foster : Ça semble sorti d’une chanson d’Elvis ou quelque chose comme ça ? (ndlr : c’est en fait un standard américain des années 30 repris, entre autres, par Frank Sinatra, Madeleine Peyroux ou Nat King Cole). J’essaie de me chanter la mélodie dans la tête. (elle chantonne) Ça m’est tellement familier. En fait j’étais en train d’écrire une lettre, une setlist (Elle nous montre une grande feuille de papier où sont écrits quelques titres de chansons dans une écriture déliée.) , et je vais essayer de m’y tenir ! Je l’écris à la main, mais en très gros caractères sur une grande feuille de papier, car je n’ai pas une très bonne vue. Je vais m’asseoir pour le concert de ce soir, car je ne suis pas une personne très compliquée : si on me dit « Assieds-toi », je m’assieds ! (rires)
« Stand by me » (= debout près de moi)
Josephine Foster : Ça, c’est une chanson que je connais. Victor (Herrero), mon mari, va être assis à côté de moi, il ne sera pas debout près de moi. Mais j’ai vraiment beaucoup aimé le film quand il est sorti, est-ce que c’était en 1987 ? (ndlr : 1986, bravo Josephine !) J’étais une fan de River Phoenix, c’est la seule idole des jeunes qui m’ait vraiment enthousiasmée, j’avais des posters partout (rires). C’était vraiment un film génial, et la bande originale aussi : il y avait Lollipop dedans… On le regardera à nouveau après quoi ? 25 ans !
Je pense que l'art devrait guérir, c'est ce que j'espère
« To be sitting on a fence » (= être assis le cul entre deux chaises)
Josephine Foster : L’océan Atlantique est comme une barrière entre la France et l’Amérique. J’ai traversé l’océan et n’ai cessé de le traverser dans un sens et dans un autre, et j’aimerais qu’il n’y ait qu’un pont que l’on pourrait emprunter entre les deux ! (rires) C’est sacrément facile de traverser l’Atlantique et d’aller en Espagne : j’y ai vécu ces sept dernières années avec mon mari Victor, même si nous avons voyagé une grande partie de l’année qui vient de s’écouler.
« Standing ovation » (= applaudissements debout)
Josephine Foster : Une standing ovation, c’est beaucoup de pression ! (rires) J’ai donné quelques standing ovations récemment : je suis allée voir un opéra russe au Met, Prince Igor, qui était super. Ensuite c’était au MoMA à l’avant-première du dernier film du réalisateur chilien Jodorowsky, The Dance of reality, c’était extraordinaire. Ça faisait du bien de se lever après être restés assis pendant longtemps, même si ça n’est pas la chose la plus géniale au monde, sauf que là les deux étaient géniales ! (rires) Une standing ovation, c’est un peu comme le torero que l’on porte sur ses épaules autour de l’arène après la corrida.
« I’m gonna sit on the porch and pick on my old guitar » morceau de Johnny Cash
Josephine Foster : Avez-vous des porches en France ? (...) J’imagine que l’équivalent ici serait le balcon. J’aime les porches, et les balcons aussi, ces espaces ont une grande importance en terme d’architecture quand on y pense : si l’on vit dans un immeuble entièrement en verre, sans façade tournée vers l’extérieur, on ne reçoit pas l’énergie de la communauté. Un porche, c’est un peu s’ouvrir sur la rue, s’ouvrir à la communication. Beaucoup de gens, comme Victor et moi, aiment jouer de la musique devant leur maison : cet espace à moitié public et à moitié privé permet de rencontrer des inconnus. J’aime parler à des inconnus : c’est toujours mieux que de parler à des gens que je connais ! (rires)
Une standing-ovation, c'est un peu comme le torero que l'on porte sur ses épaules autour de l'arène après la corrida
« Sit back and relax » (= assis toi et relaxe-toi)
Cette phrase n’inspire rien à Josephine… pour le moment.
« To have an angel sitting on your shoulder » (= avoir une bonne étoile)
Josephine Foster : Que ce soit imaginaire ou pas, je pense que si l’on est ouvert à cette idée, il y a des sortes d’anges, et alors on peut s’asseoir et se détendre (ndlr : retour à l’expression « Sit back and relax »), car ils vous diront quoi faire. Des choses insolites arrivent, ce n’est pas que j’y crois, mais on ne peut pas dire que je n’y crois pas. J’ai l’impression d’avoir communiqué avec des êtres étranges, je ne pense pas que ce soit des événements surnaturels ou de la fiction, mais plus des choses que l’on ne comprend pas encore.
« To take a stand » (= prendre position)
Josephine Foster : Il n’y a eu que des expressions avec « stand » ! Celle-ci est très large, vraiment… J’imagine que défendre une cause, ça pourrait être mélanger art et politique, mais pour ma part, j’ai l’impression de ne pas avoir les compétences pour cela. Je pense que l’art devrait guérir, c’est ce que j’espère, même si ce n’est pas toujours le son le plus simple, le plus agréable, comme lorsqu’on accorde un instrument, avec toutes ses dissonances. C’est peut-être la seule position que je défends.
Sitting on top of the world (= s’asseoir au sommet du monde)
Josephine Foster : Celle-ci est une bonne manière de conclure : où que l’on se trouve, on est au sommet du monde. Ceci est mon royaume, vous êtes dans mon palais, surtout que je n’ai pas de maison en ce moment, et vous êtes mes invités...Et je ne vous ai rien offert à boire ! (rires) Je suis désolée.
Et Josephine de nous emmener boire un verre de champagne au bar du Lieu Unique avec ses comparses parisiens du groupe Arlt.
Pillars and Tongues : de l’existence des anges à la tentation du dernier verre
L’atmosphère sera très différente - à caractère facétieux et décalé - avec les Chicagoans de Pillars and Tongues, qui se sont prêtés à ce jeu qui constituait un pari risqué mais ouvrait à de multiples possibilités. Beth Remis, la violoniste se montre tout excitée tout au long du « jeu » en voulant essayer de deviner quel papier ses camarades ont tiré. Ben Babbitt, à la section rythmique, reformule la consigne comme un écolier bien élevé, et nous livre quelques pensées métaphysiques sur l’existence d’un être supérieur et de forces maléfiques avant de quitter la pièce sans cérémonie : cette sortie signera la fin prochaine de l’entrevue. Mais pour le moment, le chanteur et harmoniumiste Mark Trecka (échappé de Dark Dark Dark) ouvre le bal en annonçant : « les idées se bousculent dans ma tête » !
« To read a book in one sitting » (= lire un livre d’une seule traite)
Ben : J’aime bien ça !
Mark : La première chose qui me vient à l’esprit c’est d’avoir lu La route de Cormac McCarthy dans l’avion entre Albuquerque et New York. C’était en un jour, sept heures de voyage ou quelque chose comme ça, et dans l’aéroport, dans l’avion et dans un autre aéroport, à chaque fois qu’on me posait une question (il mime), je finissais d’abord la phrase du livre et je répondais : oui, je voudrais un verre de vin ! (rires de Beth) Je l’ai lu en plusieurs fois donc, mais en un seul jour.
Beth : (elle s’apprête à tirer un papier) Combien de fois peut-on passer son tour ?
« Standing on the edge of a cliff » (= être au bord du gouffre)
Mark : (elle s’adresse à Beth) Est-ce que tu as déjà fait ça ? Littéralement ?
Beth : Oui, à de nombreuses reprises ! Une fois, pendant une tournée, on est allés au Grand Canyon avec Evan (ndlr : Evan Hydzik), un ancien membre du groupe, il a fermé les yeux et donc il ne pouvait rien voir, et je l’ai guidé jusqu’au bord. Et le Grand Canyon est le trou le plus énorme, le plus vaste qui soit. J’ai trouvé que c’était une manière intéressante de montrer sa confiance. (rires)
« To have an angel sitting on your shoulder » (= avoir une bonne étoile)
Ben : La moralité… Ça a un rapport avec la musique ? (C’est à ce moment-là que les membres du groupe réalisent que les expressions incluent toutes les notions « assis, debout ou couché ») Eh bien, si j’étais allongé, l’ange aurait certainement du mal à être assis sur mon épaule, à moins qu’il ne défie la gravité. Et c’est intéressant, car quand je suis allongé, peut-être suis-je inconscient, peut-être suis-je une personne avec moins de morale ? (Beth éclate de rire) C’est ce que ça suppose, non, l’ange opposé au démon ?
Beth : La première chose à laquelle j’ai pensé c’est quand une personne décédée de ton entourage t’aide à prendre des décisions et à rendre ta vie meilleure.
Mark : Moi j’ai pensé à l’image du dessin animé, le petit ange et le petit diable sur chacune de tes épaules.
quand je suis allongé, peut-être suis-je inconscient, peut-être suis-je une personne avec moins de morale ?
Ben : Je n’aime pas l’idée de l’ange, mais j’aime bien le fait qu’on nous rappelle d’être bon envers les autres. Ce qui est intéressant aussi, c’est que quelque chose est là et veille sur toi : parfois des choses arrivent, et elles sont tellement liées entre elles que ça en serait bizarre si elles étaient juste arrivées par hasard.
Mark : Tu sais je suis en train de lire Genet, et il déteste le mot « ange », alors qu’il est super catholique et obsédé par la décadence des catholiques, genre « tout le monde est un saint, tout le monde ressemble à Jésus », mais il se demande « qui sont donc les anges ? Ont-ils un corps ? Voit-on au travers ? » (...) (s’adressant à moi) OK, est-ce que tu vas en tirer un ?
(Tout le monde se précipite sur le sac.)
Beth : J’aime ce jeu !
(Puis Mark reprend la main)
« Asleep on your feet » (= dormir debout)
Ben : J’aime celui-là !
Mark : Oui, c’est pertinent…
Beth : En tournée, c’est tellement vrai !
(Tout le monde veut participer, mais c’est Ben qui commence à raconter son histoire.)
Mark : Excuse-moi, mais c’est moi qui ai tiré ce papier ! (rires)
Ben : On voyage dans un petit van, et aujourd’hui il était plein parce qu’on a une personne en plus sur la tournée. Vu qu’il y a trois sièges à l’arrière, c’est moi qui ai dû m’asseoir au milieu et je me suis endormi. Donc je n’étais pas debout, j’étais assis, mais je dormais debout.
Mark : Sur la tournée, les gens qui s’occupent de nous me demandent souvent « Es-tu fatigué ? ». Et je leur réponds : « Oui, toujours. Ça fait six ans que je suis fatigué. »
Beth : Ce n’est pas tellement qu’on ne dort pas bien, c’est surtout la route : rester assis pendant des heures - six aujourd’hui par exemple - dans un van, on devient fous ! Et il y a tellement d’occasions où on ne peut pas aller dormir quand on le voudrait : il y a toujours un ami à voir ou ce concept du dernier verre à 3 heures du matin, on l’a entendu des milliers de fois ces derniers temps ; je ne ferais pas ça à la maison si je travaillais le lendemain, je serais dans mon lit en train de lire un livre ! Et techniquement, on est en train de travailler !
Mark : Tous les jours…
Sur la tournée, les gens qui s'occupent de nous me demandent souvent « Es-tu fatigué ? ». Et je leur réponds : « Oui, toujours. Ça fait six ans que je suis fatigué »
« Sit-ups » (= faire des abdominaux)
(rires)
Mark : J’en ai fait quarante aujourd’hui à l’hôtel !
Beth, avec une pointe de regret : J’essaie de faire de l’exercice en tournée, mais je n’y arrive pas souvent… Mais je suis allée courir quand nous étions à Beauregard, le site était tellement beau.
Mark : Oui, nous étions dans une maison là-bas, en fait un presbytère, chez des amis artistes qui habitent là, c’est vraiment cool. Mais c’est vraiment difficile d’avoir des habitudes saines en tournée.
Beth : On arrive dans un lieu, on ne sait pas où on est, et... « Tiens il y a des snacks ! ». On en prend même si on n’a pas faim.
Ben : OK, encore un et je m’en vais.
On ne doit pas s'installer dans un confort, car les choses changent constamment
« Don’t sit down cause I’ve moved your chair » (= Ne t’assieds pas, car j’ai bougé ta chaise)
Ben : Qui est ce « je » ? Encore une fois, je n’aime pas cette idée du « je ». Dans toutes nos représentations religieuses ou mystiques…
Beth : (interrompant Ben) Je crois que c’est juste une blague ! (rires)
Ben : (irrité) Je sais que c’est une blague ! J’y lis ce que je veux y lire, ce sont des libres associations d’idées !
(C’est en fait une d’une chanson des Arctic Monkeys. Un silence, puis des rires.)
Ben : Je n’aime pas ce groupe… Mais ce que ça m’inspire, c’est l’idée d’un être supérieur qui contrôle ou influence ta vie ou quelque chose comme ça. Et j’aime cette idée qu’on ne doit pas s’installer dans un confort, car les choses changent constamment…
Mark :, Mais ce qui est intéressant, c’est que, si c’est cette main, cette voix de la Providence, c’est vraiment lié à ce papier que tu as tiré tout à l’heure, car c’est la voix qui te dit de ne pas t’asseoir sur la chaise.
Ben : Je suis porté à croire que s’il y a des forces bienveillantes, il y a aussi des forces maléfiques. Et j’aime ce côté sombre. Je préfère le « je » à l’ange en tout cas. OK, maintenant je m’en vais ! (Il quitte la pièce)
Mark : Tu disais ne pas vouloir faire une interview traditionnelle, eh bien c’est le cas ! (Rires. Pendant ce temps, Beth s’est amusée à tirer plusieurs papiers du sac pour trouver son « préféré ».) Je n’aime aucun de ceux que tu as tirés… (Il en tire donc un autre)
« I’m Gonna Sit Right Down and Cry Over You » morceau d’Elvis Presley
Mark : C’est une chanson country ? C’est des conneries tout ça ! J’ai écouté cette musique et aimé ce sentiment pendant si longtemps, mais ces derniers temps j’ai mis un point d’honneur à ne plus m’adonner à ce sentiment. C’est juste une perte de temps, parce que… Parce que… (un peu sarcastique) Tu vas t’asseoir pour écrire une chanson et pleurer, et un mec aura bougé ta chaise…
(Mark semble être lassé. S’ensuit alors une discussion entre lui et Beth pour savoir s’ils se sont comportés correctement pendant l’entretien et faire un bilan suite à cette interview expérimentale.)
Beth : (s’adressant à moi) Honnêtement, quoique tu puisses en penser et aussi bizarres qu’on ait pu te paraître, c’est l’interview la plus réussie qu’on ait jamais faite !
Mark : Oui, je me suis beaucoup amusé. Sérieusement ! Est-ce que tu te rends compte à quel point on a parlé ? C’est le but ! Faisons vraiment un truc expérimental : envoie-moi l’enregistrement de l’interview et je te ferai la transcription ! C’était intéressant ce qu’on a fait, mais on pourrait encore aller plus loin : je pense à des trucs comme ça tout le temps, comme des interviews d’artistes, ou qui cherchent toujours plus de transparence ! J’ai étudié le journalisme tu sais, et on a tellement eu d’interviews qui commençaient par la question (voix monotone) : « Quel genre de musique vous jouez ? » ou du genre « Quand jouez-vous à Indianapolis ? » ! Je suis là : « Quoi ? T’es sérieux ? Ne pose pas de questions auxquelles tu peux répondre par oui ou non, ou des questions auxquelles tu peux trouver une putain de réponse sur Internet ! [sic] » Là, imagine qu’on a réussi à parler d’abdos pendant genre un quart d’heure !
Texte & interviews : Sandrine Lesage
Crédit photos : Jérôme Romainet Times Zup Linz (CC)
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