
MUSIQUE
Les musiques américaines au point des luttes du vingtième siècle
Dans le cadre des Folles Journées
Du 29 janvier au 2 février et pour la vingtième année consécutive, Nantes accueillait le plus grand festival de musique classique de France : les Folles Journées. À l’honneur cette année, jazz, blues et autres spécificités américaines. En prenant pour thème la musique américaine du XXe siècle, René Martin - directeur artistique de l’événement - tient le pari audacieux de faire découvrir une période musicale peu ou mal connue du grand public. Pour mieux comprendre un siècle, chronologie historique de la musique d’Outre-Atlantique.
Blues, jazz, negro spiritual, ou gospel, difficile de ne pas connaître ces classiques américains, et pour cause ! Plus que des classiques, ces genres musicaux sont devenus des monuments incontournables de la musique américaine et forment aujourd’hui les piliers de la musique contemporaine. Pourtant, que sait-on vraiment de ces genres, si ce n’est quelques notes de musiques fredonnées à tue-tête ? Derrière les grands noms et les clichés se cache souvent une réalité peu connue. Fortement imprégnées de l’histoire du continent qui les a fait naître, les musiques américaines cristallisent un siècle de mutation et de lutte idéologique.
Une double émancipation
Si aujourd’hui le rayonnement culturel des États-Unis n’est plus à prouver, il n’en est pas de même durant le premier tiers du XXe siècle. Loin du processus d’américanisation actuel, les États-Unis souffrent longtemps de l’hégémonie culturelle européenne et de ses canons musicaux. Jusqu’aux années trente, tout ce qui est nouveau et a de la valeur vient d’Europe. La coutume veut que les compositeurs en herbe finissent leurs études dans des conservatoires allemands pour y recueillir les techniques, formes et idéaux de l’Europe centrale. Ce fût le cas pour beaucoup d’entre eux, notamment Daniel Gregory Mason ou Edouard Macdowell.
Fortement imprégnées de l'histoire du continent qui les a fait naître, les musiques américaines cristallisent un siècle de mutation et de lutte idéologique
Après la Première Guerre mondiale, la plupart des compositeurs américains suivent ainsi l’enseignement de Nadia Boulanger (présente sur l’affiche de la Folle Journée) à Paris, ce qui les oriente vers un néo-classicisme inspiré de Stravinski. La crise économique de 1929 va avoir un impact majeur sur la musique américaine, puisque rapidement le nationalisme va se substituer à l’internationalisme, provoquant un détachement face à la domination européenne. Drossée par la dépression, la musique américaine puise dorénavant son inspiration dans ses strates populaires et vernaculaires, renouant ainsi avec tout un pan de son histoire. Sous la plume de Virgil Thomson Four Saints in Three Acts ou Gertrude Stein The Mother of US All, les États-Unis s’affirment et la musique classique américaine est reconnue sur la scène internationale.
Parallèlement à cette émancipation, une seconde se dessine, celle des artistes noirs américains. Puisant leurs sources dans le continent africain, déjà les grands traits de la musique noire américaine y existent en germe : l’étroite association entre la musique et la danse, l’omniprésence de la musique à chaque instant de la vie, les pulsations obstinées... Tous ces traits se retrouvent dans la musique des esclaves qui savent créer des formes nouvelles, inspirée d’abord de leurs racines premières, mais aussi des hymnes des églises protestantes : les « negro spiritual ». À leur tour, ces formes évolueront dans de nombreuses directions, dont le jazz et le blues marqueront l’apogée. Les musiques noires trouveront alors un nouvel élan économique en se reconvertissant en musique de divertissement et de danse, trouvant par là même une nouvelle raison d’être. Le style « swing » de Duke Ellington se fait une place et les orchestres noirs se multiplient (Orchestre Henderson, Orchestre de Les Hite…).
Ainsi, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, artistes noirs et blancs s’affranchissent de leurs prédécesseurs et la musique américaine devient voix indépendante et plurielle.
La musique devient prise de position idéologique, notamment dans la lutte contre la ségrégation
Quand la musique devient histoire
Pourtant, si jusqu’à la moitié du siècle la musique américaine s’affirme, elle n’en reste pas moins morcelée et la fissure entre artistes blancs et noirs devient palpable. Au cours de la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, on voit apparaître aux États-Unis une prise de conscience nouvelle chez les artistes noirs : la démocratie pour laquelle ils s’étaient battus en Europe leur était refusée dans leur pays. En outre, ils expriment cette prise de conscience, aussi bien en paroles qu’en actes. La musique devient prise de position idéologique, notamment dans la lutte contre la ségrégation. De nombreuses chansons attestent le lien fort entre musique et engagement politique, comme les célèbres Oh !, Freedom ou encore We Shall Overcome. 1957 est non seulement marquée par le vote d’une loi rendant illégale la ségrégation - le Civil Right Act -, mais aussi par un regain d’intérêt du public blanc pour la musique noire américaine, qu’ils trouvent piquante, émouvante et drôle. L’avant-garde musicale impulsée par Ornette Colema dans les années soixante marque l’apogée de la musique noire américaine et le succès immuable de ses artistes. Parmi les plus connus, Oscar Brown, Ray Charles, Nina Simone, Aretha Franklin, tous fortement imprégnés du jazz, gospel ou negro spiritual de leurs ancêtres. Sortie renforcée de ses combats idéologiques, la musique noire américaine s’instaure et se développe, monopolisant toute une strate de la culture musicale internationale. Le compositeur Dvorak déclare à ce sujet « Je trouve dans les mélodies noires de l’Amérique tout ce qu’il faut pour fonder une grande et noble école. »
Des apports à double sens
Si pendant les trois premiers tiers du XXe siècle la musique américaine se caractérise par une scission entre musique noire et blanche, le dernier tiers, lui, sera marqué par des apports mutuels. Une culture commune se dessine alors. L’ébullition de la musique noire américaine a un impact sur les compositeurs blancs et inversement. Qu’ils soient américains ou européens, beaucoup de compositeurs (dont Paul Whiteman, Fred Norman ou encore Maurice Ravel) découvrent ainsi les possibilités prometteuses de la vitalité du jazz, et ils introduisent dans leurs œuvres certains aspects de son style. De la même manière, les artistes noirs excellent dans des genres musicaux a priori réservés aux artistes blancs comme la comédie musique ou l’opéra. Le théâtre de la 63e rue accueille ainsi la première comédie musicale exclusivement noire, le Shuffle Along, tandis que l’Opéra de Chicago invite le National Negro Opera Company à réinterpréter des œuvres de Verdi (comme Traviata ou Aida).
L'ébullition de la musique noire américaine va avoir un impact sur les compositeurs blancs et inversement
Ainsi, la fin du siècle marque la réconciliation de deux courants artistiques majeurs. La réunion de ces genres permet la naissance de styles musicaux très variés qui composent la scène musicale contemporaine.
Nivine Potros
Crédits photo : Paul Stein (CC), The Library of Congress (CC) et Young Preservationists (CC)
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