
FESTIVAL
Une Folle Journée de musiques avec un grand aime
Retour sur les 20 ans des Folles Journées de Nantes, consacrées cette année aux musiques américaines.
Vulgariser la musique dite classique. La sortir de ces préjugés où certains ont aimé l’enfermer. La rendre moins élitiste, plus ouverte, voire populaire ! Voilà le pari qui depuis 20 ans anime la Folle Journée de Nantes. Celle-ci se déroule désormais sur cinq jours ainsi que dans plusieurs autres villes des Pays de la Loire, et réussit même à s’exporter au Japon. Prenant surtout le risque de briser les codes conventionnels (pour ne pas dire conservateurs), le concept de la Folle Journée permet de profiter de plus de 300 concerts dont la durée de chacun ne dépasse pas 45 minutes, avec un prix d’entrée relativement faible. L’immense hall de la Cité des congrès de Nantes, renommé Central Park pour l’occasion, permet également de découvrir gratuitement et en continu de nombreux extraits de concerts. Le tout offre ainsi aux mélomanes et aux néophytes un lieu unique de découvertes.
Inoubliable diva du blues
Des canyons aux étoiles. C’est le thème de cette édition consacrée à la musique de son pays natal qui justifie la venue de Barbara Hendricks aux Folles Journées comme elle le confie au public venu assister à sa première représentation. Pour l’occasion, elle a choisi un programme original autour du blues. « Le blues raconte la vie des anciens esclaves, l’oppression, la violence, l’injustice des lois ségrégationnistes », raconte-t-elle. Mais pas seulement. Entourée de ses musiciens suédois : Mathias Algotsson au piano, Max Schultz à la guitare, Clas Lassbo à la contrebasse et Chris Montgomery aux percussions. Sur scène, Barbara Hendricks ne cache pas son plaisir de swinguer au son du blues.
Il faut marcher pour la liberté, la liberté ça n'est pas donné, il faut la gagner. J'ai beaucoup marché pour gagner ma liberté. Il faut marcher pour la tolérance. Il faut marcher contre la connerie.
Malgré ses douloureuses origines, ses mélodies moelleuses et chaleureuses enveloppent le public, conscient de vivre ainsi un moment privilégié avec la star. Suspendu d’admiration comme en apesanteur à chaque fois que la soprano s’envole dans les gammes. Au terme de son répertoire, Barbara Hendricks s’exprime face au public. Infatigable ambassadrice du Haut Commissariat aux Réfugiés, elle rappelle le combat qu’il faut mener pour gagner sa liberté. « Il faut marcher pour la liberté, la liberté ça n’est pas donné, il faut la gagner. J’ai beaucoup marché pour gagner ma liberté. Il faut marcher pour la tolérance. Il faut marcher contre la connerie. » Un message de tolérance qu’on se plaît à imaginer à l’attention des groupuscules extrémistes de la Manif Pour Tous, dont la manifestation avait lieu le week-end suivant.
La voix des anges
Contrairement aux années précédentes, cette vingtième édition consacrée aux musiques américaines laisse une large place au chant et à la voix. The American Spiritual Ensemble, aussi appelé Negro Spiritual, était tout logiquement très attendu. Cette chorale créée par Everett McCorvey en 1995 s’est déjà produite de nombreuses fois dans de prestigieux endroits à l’étranger, tout comme la vingtaine de membres qui la composent, avec un répertoire qui s’étend des comédies de Broadway à l’opéra en passant par le jazz. Ce qui en fait une impressionnante maîtrise sur scène au charisme et au charme fou. Une harmonie parfaite entre les sopranos, les ténors, les altos et les basses qui reprennent aussi bien des références de la musique gospel qu’un extrait du Roi Lion ou de la comédie musicale Show Boat qui raconte la lutte des travailleurs afro-américains par le prisme du flot continu du fleuve Mississippi. Tedrin Blair Lindsay au piano et Ali Barr au Djembe ne font qu’accompagner ces voix qui vous transpercent d’émotions. Même l’immense auditorium de la Cité des congrès résonne encore de ces chants sublimés par ce qui reste à ce jour le plus bel instrument qui soit : la voix. Le public ne s’y trompe pas, pourtant plus habitué aux codes parfois rigides de la musique dite classique, et réclame deux rappels aux Negro Spiritual lors de la soirée d’ouverture. Auxquels ces derniers se plient bien volontiers en accomplissant un dernier tour de chant dans les allées du grand auditorium (rebaptisé salle Faulkner pour l’occasion). Une façon avant tout de communier avec le public un même esprit de partage de valeurs universelles.
Le tourbillon des plaisirs
Créé en 1936 et dirigé depuis 1995 par Dmitri Liss, l’Orchestre Philharmonique de l’Oural est mondialement reconnu pour être l’un des meilleurs de Russie. Un orchestre qui a accompagné les plus grands solistes comme Rostropovich, Berezovsky, Lugansky, Bashmet, ou encore Alexandre Kniazev. Lors de ces Folles Journées, l’Orchestre Philharmonique s’affiche aux côtés d’artistes de renom, comme le violoniste Olivier Charlier, les pianistes Anne Queffélec et Frank Braley. Au programme : les œuvres de Samuel Barber, de Béla Bartók, de George Gershwin, de John Adams. Des styles différents où l’Orchestre Philharmonique se met au service d’une œuvre et entame un jeu de rôle avec un soliste. Dans le Concerto pour violon de Samuel Barber, l’œuvre profondément mélancolique commence entre le violoniste Olivier Charlier, fort de sa discrétion légendaire, et les violons de l’Orchestre qui lui répondent comme dans un jeu de séduction. Une sorte d’étreinte dont le charme délicat qui amorce le second mouvement semble nous entraîner dans une romance que le grand public reconnaîtra à l’oreille. Le troisième mouvement, beaucoup plus vivace, ressemble à une course folle entre le soliste et l’orchestre durant laquelle le public retient son souffle avant d’exploser sa joie d’applaudissements.
L'Orchestre Philharmonique de l'Oural est mondialement reconnu pour être l'un des meilleurs de Russie. Un orchestre qui a accompagné les plus grands solistes comme Rostropovich, Berezovsky, Lugansky, Bashmet, ou encore Alexandre Kniazev.
Dans la continuité somme toute logique de ces sentiments, le 3ème Concerto pour piano et orchestre de Béla Bartók s’inscrit quant à lui dans la pure tradition du style élégiaque. Un genre poétique qui traduit souvent la souffrance de l’absence après une rupture amoureuse. On l’emprunte également pour évoquer la mort. Voilà qui prend tout son sens lorsque l’on sait que ce concerto fût le dernier du compositeur hongrois Béla Bartók, mort en exil aux États-Unis en 1945. La pianiste Anne Queffélec y apporte une formidable interprétation sans partition dans un flot continu avec l’Orchestre. Un mélange assez vif d’échanges où les percussions viennent prolonger l’émotion suscitée par la pianiste.
Un style bien différent pour le Concerto pour piano et orchestre en fa majeur de l’américain George Gershwin. On retrouve ici une œuvre des plus connues du Maître, créée juste après sa Rhapsody in Blue en 1924. À l’écoute, on pense évidemment à Hollywood et à toute une époque où la musique venait consacrer le cinéma et non l’inverse. On pense également à Broadway et à l’époque faste des comédies musicales, à l’insouciance pétillante des années folles. Avec son physique d’acteur hollywoodien, le pianiste Frank Braley est donc tout trouvé pour l’interprétation de cette œuvre magistrale aux Folles Journées.
Un succès pas démenti une nouvelle fois avec près de 150 000 spectateurs venus souffler les vingt bougies de ces Folles Journées consacrées aux musiques américaines. Un rendez-vous devenu incontournable, presque institutionnel pour la ville de Nantes. Si les Folles Journées ont l’immense mérite de chercher à provoquer de la curiosité, elles pourraient tout aussi bien voir naître de nouvelles vocations ou inspirer de futurs événements ou manifestations à l’avenir. Affaire à suivre...
Jérôme Romain
Crédit photo : Folles Journées
Crédit vidéo : Marie Guéné
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