
FOCUS
Cimade m’était contée 2/2
Regards croisés sur les migrations. Les chroniques du reportage l’Étranger en soi continuent sur Fragil. Cette fois-ci, retour en 2011 pour une rencontre avec la CIMADE, en 2 parties. Une permanence de la Cimade, c’est la rencontre entre un public de migrants et une équipe de bénévoles. Les relations y prennent une certaine intensité, malgré une longue attente avant chaque entretien (suite de la partie 1).
Après l’échange avec Liliane, on vient me voir. Oui, car un type qui interroge et prend des notes pendant la permanence, c’est forcément un bénévole ou un un stagiaire. « Excusez-moi… Voilà, je suis en recours, il me reste six jours avant la fin. Vous savez ce qu’il faudrait que je fasse ? », m’interpelle un maghrébin dans la vingtaine, look et coupe de cheveux impeccables lui donnant un air de titi parisien. Sa gouaille enjôleuse finit par me remercier poliment après que je lui avoue la raison de ma présence.
Un aveu, on en entend un autre à ce moment, derrière son blouson de cuir. Il est d’impuissance. « On est à la fin du recours, madame, on a envoyé deux courriers, la réponse a été négative », résume sans espoir Maxime. La dame retire doucement sa main, qu’elle venait à peine de poser sur le poignet du bénévole.
Du droit et de l’humain
Une phrase entre mille parmi celles que l’on entend deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, durant deux heures de permanence. Deux heures qui en deviennent facilement trois. D’ordinaire, ce n’est pas dans cette salle d’attente que se posent les constats comme celui fait par Maxime, pressé par son interlocutrice.
Il est d’usage de recevoir dans une autre pièce, accessible en traversant un rideau largement entrouvert. C’est par un binôme de bénévoles qu’est reçu le migrant. L’objectif, l’accompagner sur un plan juridique et administratif. Du coup, le profil des bénévoles et stagiaires s’en ressent : élèves-avocats, étudiants en droit, magistrat en retraite… « Cet accompagnement très juridique, ça peut parfois décourager des gens venus à la Cimade avec la très bonne intention d’aider les gens », livre plus tard dans la soirée un bénévole.
A l’entretien, ce dernier écoute. Jauge. Fait préciser des choses. Cela peut être douloureux, parfois. Christine, qui ne se cantonne pas uniquement à l’accueil, nous l’a précisé plus tôt. « Dans le cas des recours pour les demandes d’asile, le mois qui reste pour traiter à nouveau la demande est très court. On essaye de comprendre ce qui n’a pas été crédible dans leur récit. On travaille avec eux là-dessus, même si de cette façon on a parfois l’impression de creuser là où ça fait mal. »
Une demi-heure avec Moussa
Moussa se tient face à Maïa, stagiaire à la Cimade, et Rémy, bénévole. Autour d’une toute petite table, le tutoiement est spontané entre lui et ses interlocuteurs. Il faut dire que le Malien a la conversation agréable, son français sans accent qu’il parsème de quelques blagues ne laisse pas transparaître la gravité de sa situation – il quittera cette permanence une heure plus tard, pour rejoindre la rue. Passée une introduction très informelle, Maïa rentre dans le concret : « c’est une situation particulière dans laquelle tu es ».
Rémy concède qu’un refus signifie un départ imminent. Lequel peut être assorti par la préfecture d’une mesure singulière et radicale : l’obligation de quitter le territoire français
Après avoir passé quelques années en Libye, Moussa arrive en France. Mineur. Il passe le bac avec succès, s’inscrit en fac. Nanti d’un titre de séjour étudiant, une relative tranquillité s’établit durant quelques années. Jusqu’en 2008, année où s’échoue la validité du sésame. Depuis, son séjour est illégal. Il pense avoir des arguments pour cette régularisation qu’il espère, sa famille étant très largement installée en France.
Moussa n’a pas encore commencé la procédure, lui qui craint de se révéler ainsi aux autorités. « Là où ta demande de séjour peut poser problème, c’est le logement et le travail. L’idéal, c’est un CDI à temps plein, avec une promesse d’embauche. Pour le logement, il faut justifier qu’une personne t’héberge, avec une facture EDF par exemple », explique Maïa. Moussa lève un sourcil inquiet : « mais à quoi je m’expose si je fais ça ? ».
Rémy concède qu’un refus signifie un départ imminent. Lequel peut être assorti par la préfecture d’une mesure singulière et radicale : l’obligation de quitter le territoire français. Il modère en parlant délai. « A partir du moment où tu fais ta demande, tu as quatre mois pour une réponse. Puis deux mois pour un recours gracieux, et après tu peux encore aller vers un recours contentieux ».
L’entretien prend fin en promettant de se revoir. Entre-temps, Moussa s’est vu recommander de produire « tous les documents qui justifient de ses années d’existence en France ». Avant de devenir le dernier des usagers à quitter la permanence, il confie son sentiment sur l’accueil de la Cimade. « Ce n’est pas un moment stressant, du moins pas plus que d’habitude : avec la vie que je mène ! Ici je suis complètement à l’aise, on est très bien accueilli. Franchement, je leur suis reconnaissant. Si je peux, plus tard j’aimerais pouvoir aider la Cimade, par exemple en traduction. »
Une aide qui ne serait pas de trop. A la Cimade, en plus des compétences juridiques, on recrute avec plaisir – et besoin – des polyglottes. Par exemple, Mickaël Garreau, le responsable régional, parle le russe, et met cela à profit en faisant l’interprète lors d’entretiens. Les linguistes manquent tout de même. On a ainsi vu une migrante provenant des anciennes républiques soviétiques être interpellée par les bénévoles. Et accepter d’aider un compatriote, grâce à sa bonne maîtrise de notre langue.
Espoirs et désespoirs
Moussa n’en est pas là. Il remet sa veste qui n’a pas l’air très chaude, enfile les bretelles de son sac à dos, et repart. Il est le dernier. Les lumières ne s’éteignent pas pour autant. Ce soir, comme une fois par mois, c’est debriefing. Une réunion où les bénévoles échangent ensemble. Pendant plus d’une heure, ils parlent, s’écoutent.
Il s’agit moins d’un débat que d’une occasion pour chacun de raconter sans ambages son propre vécu, ses émotions. Ce moment de retour sur soi a été créé « sur demande des bénévoles », comme nous le précise Judith Labarthe, psychologue dont la voix mesurée et douce invite à la verbalisation.
La parole vient facilement. Le groupe a su s’approprier ce debriefing, depuis ce mois d’avril 2011 où ils ont étrenné le concept. Un mot revient plusieurs fois, comme une obsession en filigrane : l’espoir. Ce en quoi il vient à manquer, parfois. Gilles se lance avec sincérité. « J’ai du mal à me lancer dans des procédures dont je connais le caractère vain. On entretient l’espoir, on repousse de trois mois une possible entrée en centre de rétention », explique le jeune retraité sur un ton étonnamment serein.
Judith Labarthe saisit au vol ce mot, espoir, et y fait réagir l’assistance. De la multitude d’interventions qui s’ensuit, on comprend que l’espoir est le matériau unique dans lequel bénévoles et migrants ont tissé leur relation. Mais même mis à mal par des courriers de refus, on retrouve chez les cimadiens ce besoin de confiance en des lendemains plus accueillants pour les étrangers. Un moteur presque spirituel, que Judith Labarthe propose d’alléger. « Il faut accepter de dire qu’on est impuissant, qu’on a peu d’espoir ».
Texte et photos : Benjamin Belliot-Niget
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