Le cinéaste japonais Yasujiro Ozu
Cadrage de vie
« Fleur d’équinoxe  » : ce titre d’un film de Yasujiro Ozu évoque la fleur d’une saison qui naît, alors qu’une autre meurt. La nostalgie du temps qui passe et sa vision poétique émanent de l’ensemble de l’oeuvre du réalisateur japonais. Il livre une vision contemplative, émouvante et teintée d’humour, de la vie quotidienne et de la famille. Lors de la rétrospective qui lui était consacrée au mois d’octobre, le Cinématographe invitait Nicolas Thévenin, spécialiste d’Ozu et du cinéma japonais, pour une « leçon de cinéma ».
"Le cinéma d’Ozu a été découvert assez tardivement en Occident. L’une des tendances de la critique fut à l’époque de chercher à prouver en quoi Ozu était un cinéaste typiquement japonais", explique Nicolas Thévenin. Il semble qu’on a tôt fait d’assimiler l’ambiance particulière des films d’Ozu à certaines caractéristiques supposées de la culture japonaise, et de s’enthousiasmer devant tant d’exotisme et de dépaysement. Mais cela tient surtout à nos propres stéréotypes : dans son pays, il est au contraire perçu comme "le moins japonais des cinéastes japonais". Pour Nicolas Thévenin, le danger de cette approche culturaliste est de ne pas prendre en compte ce qui fait sa spécificité en tant qu’auteur, à l’univers artistique propre : « Ce qui me plaît dans les films d’Ozu, c’est que le monde y apparaît ordonné, lisible. »
Cette volonté de clarté et d’efficacité est en effet primordiale pour le réalisateur. Cela transparaît dans sa manière de filmer, extrêmement dépouillée, et de plus en plus minimaliste avec le temps. La caméra est très fixe, basse, et les angles de prises de vue peu variés. Cela tend à donner à l’ensemble un aspect parfois répétitif et une impression de rigidité. Le montage est sobre. "L’intrigue est sommaire, voire redondante. Elle intéresse finalement assez peu Ozu", note Nicolas Thévenin, "tout est mis au service du cadrage, très sophistiqué, et de l’efficacité. Il ne s’attache pas particulièrement à respecter une grammaire cinématographique classique."
Ainsi, nous fait-il remarquer, les usages de rigueur, pour filmer une scène de dialogue par exemple, ne se retrouvent pas ici, et de ce fait les directions des regards apparaissent inhabituelles. Etrangeté également dans la façon de filmer un personnage qui se lève : au lieu d’un panoramique vertical, auquel on pourrait s’attendre, celui-ci sort du cadre lors d’un premier plan fixe, et un deuxième plan, un mètre plus haut, le retrouve debout. Ozu porte ainsi une attention extrême à certains éléments, mais ne semble pas se laisser troubler par une vraisemblance parfois approximative : cela lui a valu le surnom de "maître du faux-raccord", à cause de certains plans dans lesquels des objets sont soudainement déplacés, quand ils ne disparaissent pas purement et simplement...
Nicolas Thévenin insiste néanmoins sur le danger de se constituer une grille d’analyse systématique à partir de ces éléments, et de ne plus voir les films d’Ozu qu’à travers celle-ci, occultant la dimension particulière de chaque film et enfermant le réalisateur dans son propre univers artistique.
Des thèmes universels
L’univers de ses films est pourtant volontairement très délimité. On y retrouve souvent les mêmes acteurs jouant des rôles similaires dans quelques décors fixes : entre la maison, le bureau, le restaurant et le bar, se nouent les petits drames du quotidien. La permanence de ces éléments pointe le caractère universel de destins ordinaires. Le départ des enfants qui vont se marier est un thème récurrent, autour duquel se greffent des variations sur la résignation, la vieillesse, la solitude, et la difficulté à appréhender les évolutions de la société japonaise.
Il semble qu’Ozu lui-même ait eu une certaine répugnance à passer du muet au parlant, puis du noir et blanc à la couleur. Cela, ajouté à cette immobilité dans le dispositif de filmage et à ses thèmes de prédilection, a fait que certains ont pu considérer Ozu comme un cinéaste réactionnaire, hostile à la modernité.
Mais ses films laissent transparaître plutôt une attitude de contemplation et d’acceptation de ce qui est, éléments que l’on retrouve dans la philosophie zen. Certains personnages de ses derniers films l’expriment bien : face à l’angoisse de vieillir et de mourir seuls, alors que l’amertume nous brouille la vue, ils répètent qu’ils ont eu une belle vie et qu’"il faut se contenter de ce que l’on a." Le regard du réalisateur est ainsi plus contemplatif que deséspéré, et sa sensibilité sait également capter les moments de légèreté, d’humour, et de grâce de la vie.
Jessica Wallace
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