Soy : pays des merveilles
Soy est mystique. Depuis la maison de quartier de Doulon, l’inquiétante étrangeté de Julia Holter et du band Orval Carlos Sibelius déroutent avec joie Sandrine Lesage. Live report d’envolées lyriques et de freak folk.
La morale de l’histoire serait qu’on peut encore faire danser le public au rythme de morceaux punk après 40 ans de carrière, comme l’a montrée la performance de The Fall qui clôturait cette veillée. Mais le conte commence à l’orée du bois, par l’arrivée discrète de la princesse, j’ai nommé Julia Holter.
Colette et Los Angeles
L’américaine annonce qu’elle est contente d’être là, même s’il y a peu de chances que les gens la connaissent. Et pourtant…Elle est la camarade de quelques-uns des artistes les plus prometteurs de la scène lo-fi californienne - Ariel Pink ou Nite Jewel -, et vient présenter ce qui est déjà son troisième album, Loud city song. Mais la musique de la demoiselle n’emprunte en rien les codes de ses contemporains versés exclusivement dans la pop sous influence eighties : elle revêt des contours impalpables, elle fascine par les méandres qu’elle emprunte. Une question s’impose rapidement à notre esprit : mais que peuvent donc bien raconter ces pièces qui s’élancent tour à tour dans des rythmes enlevés ou des tempos lancinants ? Son dernier album est inspiré par sa ville, Los Angeles, et le prisme au travers duquel Gigi, l’héroïne du roman de Colette, pourrait la percevoir, tandis qu’Ekstasis, son précédent opus, explorait le concept antique de l’extase, le fait d’être au-dehors de soi. Une œuvre certes référencée, mais en rien cérébrale.
elle revêt des contours impalpables, elle fascine par les méandres qu’elle emprunte
S’accompagnant aux claviers, elle donne vie à ses expérimentations oniriques grâce à une troupe de quatre musiciens : le violoncelle aux cordes pincées, espiègle, se fait plus révérencieux par moments ; la batterie, toujours inventive, frémit lentement pour ensuite monter en frénésie ; la saxophone apporte tantôt la chaleur, tantôt le côté emphatique, tandis que le violon participe également au déluge sonore qui termine le set. Et parmi les ingrédients de ce collage musical, la voix de Julia Holter est indiscutablement un élément essentiel, un instrument bien accordé. La belle, de noir vêtue, alterne voix parlée, solennelle, et harmonies vocales, ou encore chuchotements et paroles scandées, quand elle ne commence pas de manière impromptue un morceau en lançant quelques notes aiguës qui déchirent l’air. Julia au pays des merveilles semble avoir découvert, de l’autre côté du miroir, un monde renversant, alliant la composition classique, les cymbales jazz, la légende celtique, la pop synthétique, les enchaînements baroques et la polyphonie médiévale, et tout cela sans fausse note. Et cet étonnant patchwork a assurément envoûté le public de Soy.
Après avoir exploré l’au-delà du miroir, il semble qu’il ne nous reste plus qu’à obéir à l’injonction inscrite sur le petit flacon du groupe Orval Carlos Sibelius : « BOIS-MOI ! », est-il écrit en lettres capitales. Ce petit flacon laisse échapper les effluves labyrinthiques d’une musique bien barrée (correspondant à son patronyme exubérant et grandiloquent), mais promet également un voyage dans le temps, grâce à des références efficaces au pop-rock psychédélique des sixties.
Freak and Folk
Le collectif freak folk parisien, seul groupe hexagonal programmé, est également le seul à faire rimer 31 octobre avec Halloween ; les 5 camarades entrent sur scène affublés de masque, chapeau de derviche tourneur et autre perruque blonde, accessoires qui nous aident à faire le grand saut dans leur univers parallèle défendu dans leur dernier album Super Forma.
Les bruits de l’espace sortis du synthé, les nombreuses parties instrumentales et la chemise bariolée du leader Axel Monneau font croire souvent que ces allumés sont des descendants de Pink Floyd période Syd Barrett, surtout quand le trombone amène ses sonorités cuivrées. Mais dès le deuxième titre, l’enlevé Desintegraçao, on comprend que les magiciens expérimenteront bien quelques détours, sans que leur musique ne se départît de refrains mélodiques à reprendre tous en chœur. Good remake, qui voit le quintet se débarrasser de ses déguisements, en est un bon exemple : ses ponts aux motifs de guitare entêtants et à la batterie tribale rappelant l’urgence de Vampire Weekend, s’entremêlent à des envolées de chœurs aigus soutenus par la claviériste.
ses ponts aux motifs de guitare entêtants et à la batterie tribale rappelant l’urgence de Vampire Weekend
La voix douce d’Axel, qui rappelle celle d’un Jonathan Donahue, peut parfois paraître fade pour son style flamboyant, et son air halluciné de (petit) lutin une barrière pour communiquer avec le public. Mais il est plus bavard en fin de set, faisant même de l’humour en introduisant un morceau dans lequel il enchaîne rapidement les paroles « comme une ode à l’hyperventilation » ! La fin du concert voit le retour de la perruque blonde sur la tête d’Axel, une tête pleine d’obsessions oniriques qui ont peuplé nos rêves éveillés le temps d’une soirée Soy.
Sandrine Lesage
Photos : Christian Chauvet, DR.
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