
SOCIÉTÉ
Conscient et citoyen : le collectif Y’en a marre !
Au Sénégal, un mouvement populaire, alternatif et citoyen
En janvier 2011, dans une chambrette sénégalaise éclairée à la bougie, quatre hommes décident de mettre sur pied le mouvement Y’en A Marre. La semaine dernière, la ville de Nantes a eu l’honneur d’accueillir l’un de ses co-fondateurs, le journaliste Aliou Sané, dans le cadre des Semaines de la Solidarité Internationale. Entre interventions sur la dynamique citoyenne et débats sur les médias alternatifs, ce fut l’occasion idéale pour comprendre le fonctionnement de ce mouvement populaire, pacifique et citoyen.
Après 12 ans au pouvoir de la République du Sénégal - teintés de corruption, d’injustice et de mégalomanie - , Abdoulaye Wade perd les élections du 25 mars 2012 au second tour face au candidat Macky Sall, qui récolte 65,80% des voix. C’est le résultat d’une course au pouvoir sous tension (arrestations, émeutes violentes et mortelles).
Le peuple sénégalais remporte un important bras de fer face à un président sortant qui ira jusqu’à vouloir réformer la Constitution (projet finalement avorté) pour être réélu avec une majorité de seulement 25% au premier tour... La campagne de sensibilisation au vote des jeunes - mise en place par le mouvement Y’en A Marre - porte ses fruits et fait éclore les fleurs du Printemps Sénégalais.
véritable cri de la jeunesse faisant écho aux souhaits de la population
Ce changement, véritable cri de la jeunesse faisant écho aux souhaits de la population, est donc notamment propulsé par le mouvement Y’en A Marre. Créé en janvier 2011 par les rappeurs du groupe Keur Gui et les journalistes Cheikh Fadel Barro et Aliou Sané, ce groupe de contestation prend rapidement une très grande ampleur. Entre manifestations pacifiques et campagnes d’appel au vote, Y’en A Marre est l’instigateur d’un véritable mouvement alternatif et citoyen : du sang froid face à l’urgence, prônant la liberté d’expression, l’entraide et l’idéal démocratique. Les critiques (on pense notamment au rappeur Pacotille) ne sont pas un problème mais une composante essentielle du dialogue.
Lors de la fameuse manifestation du 23 juin, où la réforme constitutionnelle de Wade est avortée par un soubresaut populaire, les membres de Y’en A Marre se mettent en travers des manifestants qui souhaitent le destituer par la force. Plus récemment, le mouvement s’engage, pour résoudre le problème de la pénurie d’eau qui frappe la capitale de Dakar. L’action est concrète et s’exerce de manière horizontale à travers les communautés, au contraire du fonctionnement verticale du pouvoir politique.
La République des citoyens
Y’en A Marre s’appuie sur une véritable dynamique citoyenne : le mouvement milite pour un « nouveau type de sénégalais » qui vient contrer l’effritement de la citoyenneté, et lutter contre l’indiscipline, l’injustice, l’égoïsme et le désordre. Ses sentinelles de la démocratie mettent le citoyen au cœur de leur action ; on pense notamment au slogan "Daas Fanalal" ("Ma carte d’électeur, mon arme").
« Après l’accession du président Macky Sall au pouvoir (...) quoi qu’on puisse dire, à un moment le défi baisse d’intensité parce que les enjeux ne sont plus là » déclare Aliou Sané.
Mais alors, où en est le mouvement aujourd’hui ?
Après une certaine retombée médiatique, Y’en A Marre, définie comme association non-lucrative, n’a pas souhaité gouverner malgré le souhait d’une récupération par le pouvoir en place, mais a préféré assurer sa pérennité. Au diable les promotions ministérielles, gloire aux valeurs républicaines ! Le mouvement étend désormais son influence, connecte et organise des communautés.
Les groupements yenamarristes, que l’on appelle « esprits » sont nombreux et naissent même au-delà des frontières. Ils regroupent au minimum 20 personnes (dont 10 femmes) et contribuent à faire vivre une véritable citoyenneté locale. Il n’y a pas de hiérarchie au sein du mouvement, mais un noyau dur non-décisionnaire et une charte à respecter pour en conserver les valeurs. « Le pouvoir c’est le peuple, il faut que nos dirigeants arrêtent d’ériger nos priorités en futilités et fassent l’inverse » exprime le co-fondateur.
Au diable les promotions ministérielles, gloire aux valeurs républicaines !
Les bases de la construction d’une société sénégalaise de droit, de paix et de progrès sont donc posées. Les révolutions silencieuses sont souvent les plus importantes...
Une impulsion alternative et populaire
De la même manière que son action se développe, la médiatisation du mouvement se fait avec la population, hors des circuits habituels sclérosés. Las des unes sensationnelles et superficielles des médias de masse, Y’en A Marre a créé son propre journal (un seul numéro disponible pour le moment, faute de financement). Malgré le faible taux de sénégalais connectés - 10% en métropole, 5% en province : la comparaison avec le Printemps Arabe n’est donc pas forcément pertinente - le mouvement développe son activité à travers le net, les réseaux sociaux mais surtout les plates-formes téléphoniques. Grâce au morcellement des frontières, le mouvement communique, s’exporte et inspire d’autres pays, comme au Burkina Faso.
Et pourquoi pas la France ?
La venue d’Aliou Sané la semaine dernière fut l’occasion pour les lycéens de Nicolas Appert et du Sacré-Coeur de découvrir l’univers médiatique sous un autre angle, à la croisée des mondes.
Médias alternatifs : une information engagée ? Retrouvez le podcast de l’émission de Jet FM dans la colonne de droite de l’article. Cette conférence, dans le cadre des Semaines de la Solidarité Internationale a réuni le co-fondateur de Y’en A Marre, David Eloy rédacteur en chef Altermondes, Jet FM et Fragil lors d’une conférence à l’espace Cosmopolis.
Julien Marsault
Bloc-Notes
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