
CINÉMA
Midnight Globe ou l’histoire d’un film équitable à Nantes
Rencontre avec Jonathan Musset, jeune réalisateur d’un premier long-métrage nantais, Midnight Globe, et l’acteur Anthony Bertaud, premier rôle du film.
On fabrique également des films à Nantes qu’on se le dise ! Et ce n’est pourtant pas chose aisée. Du financement à sa distribution en salles, du tournage au choix des acteurs, même un film nantais réalisé par un Nantais avec des acteurs nantais n’est pas nanti dans la ville de Nantes. Pas de régime de faveur. L’industrie culturelle (antagonisme ?) du cinéma serait-elle un univers impitoyable qui glorifie la loi du plus fort comme une mauvaise série télé en somme ? Décryptage.
Une passion pour le cinéma depuis l’enfance
Adolescent, Jonathan Musset, passionné depuis toujours par le cinéma, se console en faisant des petits films dans son coin à défaut de pouvoir rejoindre une école spécialisée dans le septième art. « Je faisais des films pour des copains qui au fil des années sont devenus semi-professionnels. Et l’apparition des caméras Canon en 2008 a permis de faire des films plus facilement sans passer par le circuit traditionnel. » Ce sera donc l’élément déclencheur. Pour autant, le scénario qu’il avait écrit à l’époque n’est pas celui de Midnight Globe. « Lorsque je suis allé chercher des producteurs pour mon premier film, je me suis rendu compte que le budget était trop conséquent pour être réalisé. Du coup, suite à cette première expérience, je me suis demandé comment écrire un film qui puisse être fait dans ces conditions là. » Est donc né le projet de scénario de Midnight Globe, raconter les préjugés qu’on a souvent sur la vie des gens sans vraiment s’en rendre compte. « J’ai entendu un reportage à la radio sur une personnalité américaine qui est morte depuis et dont je ne peux pas révéler l’identité ici sans nuire au film. Je me suis alors rendu compte qu’à mon tour je portais un jugement très négatif sur cette fille qui pourtant avait eu une vie magnifique. J’ai envie que les gens ressortent de la salle en allant se renseigner sur cette femme que la plupart je pense ne connaissent pas et qui vu les choses qu’elle a fait dans sa vie mérite vraiment qu’on s’intéresse à elle. » L’autre idée développée par le scénario concerne les problèmes de communication des individus dans la société. « Je voulais également parler des gens qui ont des problèmes à communiquer. Parfois lors de soirées entre copains, on se retrouve avec des gens qui parlent beaucoup et d’autres assez peu. Et là encore on a tendance à les juger assez rapidement et négativement. »
Les problèmes de financement du scénario
Pour financer ainsi son scénario, Jonathan Musset aurait pu avoir recours à l’aide du CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée). Mais son manque d’expérience lui ferme de nombreuses portes et l’oblige à se tourner vers internet et en particulier vers le site Ulule, site de financement participatif, qui lui a permis de faire une première levée de fonds. Une garantie qui peut conforter les financements traditionnels à accompagner un projet. « Aller voir une banque pour boucler un budget déjà financé en partie avec Ulule, c’est une preuve suffisante pour la banque que des gens se sont intéressés au projet. » précise t-il. En contrepartie, la société de production s’engage à reverser à des associations en lien avec l’histoire du film jusqu’à la moitié des bénéfices qui pourraient être dégagés par son exploitation. Le concept de cinéma équitable est donc là.
Étrangement, on aurait pu croire également que de tourner ce film à la fois en français et anglais aurait pu faciliter sa distribution. « Le fait de mélanger les deux langues c’était un symbole des difficultés de communication », ajoute Jonathan Musset. En réalité il n’en est rien, pour son financement cela l’a même desservi.
Une volonté affichée d’engager des acteurs locaux
Si l’affiche du film laisse entrevoir un des symboles de Nantes, la grue Titan jaune, ce n’est pas non plus un hasard. « Un film qui va être produit à Paris, mais tourné en région Pays de la Loire va venir avec des camions de techniciens mais n’offrir que des rôles secondaires ou de figurants aux acteurs locaux. Or, j’avais une vraie volonté d’avoir des acteurs de la région. Environ 80% des acteurs du films sont Nantais ou venant des Pays de la Loire. J’avais envie de travailler avec des gens que j’avais repérés sur Facebook (rires), les temps changent ! Mais j’avais également envie de tourner avec Bruno Henry qui est un comédien qui vit sur Paris et qui joue dans pas mal de séries télé. J’avais vraiment réécrit un personnage pour lui. »
J’insiste sur le fait que ce n’est pas un thriller traditionnel, mais un thriller poétique malgré qu’il y ait quand même une histoire de meurtre.
Anthony Bertaud sera quant à lui le premier rôle du film. Ce jeune acteur nantais de 23 ans formé au théâtre a déjà trois longs métrages au compteur dont Midnight Globe et pas mal de courts métrages à son actif. « J’ai vu une annonce sur Facebook à laquelle j’ai répondu, et à la suite de cela on s’est rencontrés dans un bar autour d’une bière ! (rires) Jonathan m’a présenté son projet et m’a demandé d’en faire une vidéo. » Et Jonathan Musset d’ajouter : « Mais ce qu’il ne sait pas c’est que pour ce rôle ils n’étaient que deux ! J’étais tellement persuadé que le rôle de Teddy lui irait. »
« J’aime les univers des films de Chéreau et de Leos Carax. » ajoute Anthony Bertaud. « J’aime beaucoup Xavier Dolan même si son travail est très controversé. Il a une esthétique de l’image qui est intéressante. Il aborde des sujets qui posent des questions. Et je trouve ça bien que de se questionner sur le monde actuel. » Pour autant, difficile de se contenter de ne faire que du cinéma à Nantes. « Tu te retrouves du coup obligé d’en passer par le théâtre. » Explique t-il. « Mais que ce soit au cinéma ou au théâtre je ne tiens pas à m’enfermer dans une case, mais à jouer dans des rôles très différents. »
Intègre et indépendant jusque dans la bande son
Des acteurs aux lieux de tournage, du financement à sa bande son, tout l’ADN de Midnight Globe s’est voulu indépendant et respectueux de certaines valeurs. Même pour la musique, Jonathan Musset a respecté ce choix « Il y a un artiste qui fait des musiques en creative commons et qui avait été clairement identifié au moment du scénario, il s’agit d’Enoz. J’avais repéré quelques unes de ses musiques existantes et je lui avais proposé de les reprendre pour le film et d’en créer une spéciale pour le générique final. »
Un scénario original aux multiples facettes
Le film raconte le retour d’une jeune fille à Nantes dans un centre où l’on aide les enfants à communiquer grâce au jeu du Wiphala. Sur fond d’un meurtre non élucidé commence alors un voyage qui emmènera le spectateur de Nantes jusqu’à Venise. « J’insiste sur le fait que ce n’est pas un thriller traditionnel, mais un thriller poétique malgré qu’il y ait quand même une histoire de meurtre » s’empresse d’ajouter Jonathan Musset.
« Je trouve qu’il y a un rapport à l’autre très fort dans ce film », ajoute pour sa part Anthony Bertaud. « Ma génération est celle des réseaux sociaux. Nous sommes dans une société hyper connectée et pourtant la communication des gens s’appauvrit, et je trouvais qu’il y avait toute cette richesse là dans le scénario de Jonathan. » Le thème abordé par Midnight Globe n’est pas sans rappeler justement le jeu qu’interprètent les acteurs de théâtre. « Il y a un parallèle très fort avec le théâtre car tout comme dans ce film on joue avec son image, on joue avec ce que l’on renvoie à l’autre, on joue avec les apparences. Mais moi au contraire pour ce rôle j’ai voulu me détacher de cela » précise t-il.
Quant à l’écriture du scénario, Jonathan Musset indique que « si c’était à refaire j’irais d’ailleurs encore plus loin dans l’écriture du scénario. On dit toujours qu’un film est écrit trois fois. Une première fois à l’écriture du scénario, une seconde fois lors du tournage, et il arrive même à être réécrit au montage. Et ça tu le retrouveras dans n ’importe quel film même les plus grands. Le tournage fait que l’on réadapte le scénario en fonction du tournage des scènes, des ratés, etc... » A tel point que parfois, le tournage chamboule ce qui était prévu au départ. « J’ai en mémoire le tournage à Stéréolux où il était prévu de tourner plusieurs scènes avec un ensemble d’accessoires. Et je me suis rendu compte qu’une scène qui devait normalement être tournée sur une voie de chemin de fer a pu être tournée à Stéréolux et donne ainsi un volume énorme au personnage d’Anthony. »
Je ne sais pas pourquoi, mais je voulais absolument tourner dans les toilettes du Lieu Unique !
26 jours de tournage
Ce film est une incitation au voyage. De par notamment ce globe terrestre qui devient le fil rouge du film et du scénario. « On avait une volonté de tourner dans des lieux insolites de Nantes sans que cela fasse carte postale » explique Jonathan Musset. On ne serait donc pas dans le Voyage à Nantes ? « Dès les débuts du scénario, on avait choisi par exemple de tourner au Jardin des Fonderies (lieu où s’est déroulé cet entretien, ndlr). Tous ces repérages se sont faits avant le Voyage à Nantes. Mais au moment du tournage, j’ai malgré tout dû faire appel à eux pour avoir certaines autorisations comme au Château du Pé. On a également une scène qui se déroule dans un stade. Donc là encore c’était soit La Beaujoire, soit Marcel Saupin, mais cinématographiquement parlant ce dernier le faisait mieux. On a également tourné dans un endroit magnifique qu’est le Dojo Nantais. On a aussi tourné à l’Île de Versailles. Là aussi ça aurait pu faire carte postale mais étant donné que l’on a tourné de nuit, le lieu n’est pratiquement pas reconnaissable sauf éventuellement pour les Nantais... En intérieurs, on a tourné à Stéréolux et au Lieu Unique. Je ne sais pas pourquoi, mais je voulais absolument tourner dans les toilettes du Lieu Unique ! (Entièrement repeints malheureusement depuis, ndlr) La seule contrainte que l’on avait c’est que l’on ne pouvait pas bloquer l’endroit et que l’on était que tous les deux avec Anthony pour tourner la scène ! (rires) Mais cela reste du coup un très bon souvenir. »
Déjà un style dans la réalisation
Les réalisateurs ont souvent des styles bien reconnaissables à l’écran ou à la lecture de leurs scénarios. C’est le cas par exemple de Tim Burton qu’affectionne particulièrement Jonathan Musset. Pour sa part, il aime avoir beaucoup de plans pour un film. « Non pas par sécurité, mais c’est ma façon de travailler, et j’aime que dans le film final il y ait beaucoup de plans. On tournait également pas mal de masters en plan large, ce qui nous permettait de finaliser les scènes et d’avoir la sécurité de tourner une scène du début à la fin. Cela nous a notamment servi lors du tournage au Mont Saint-Michel où ils nous ont éteint la lumière à minuit ! (rires) Donc on a dû terminer en tournant les plans de près. »
Le film sortira le jour de la sortie du dernier Klapisch, réalisateur qu’affectionne également Jonathan Musset car tout comme lui il pense que « faire des films c’est avant tout pour faire passer des messages même si tout le monde ne le perçoit pas de la même manière. Il y a des dialogues que je tenais absolument à mettre peut-être pour faire passer des messages aux gens qui m’entourent ! (rires) »
Les difficultés de la distribution
Un film réalisé à Nantes avec un réalisateur et des acteurs nantais n’est donc pas le gage d’avoir une distribution dans les salles de la ville. « La plupart des distributeurs de films et les programmateurs de salles des multiplexes se trouvent sur Paris » nous explique Jonathan Musset. Rien ne se décide donc d’un point de vue local. « Et même pour les petites salles, ils ont tendance à se regrouper pour avoir un même programmateur. » Le fait de proposer un long métrage a aussi pu effrayer certains programmateurs. « Ils donnent un accord de principe, mais ils ne se décident qu’une semaine avant la sortie officielle du film au regard de la fréquentation des films déjà présents à l’affiche. On est encore trop petit pour avoir l’exigence de quoi que ce soit. Mais je nous souhaite que l’on reste au moins quinze jours à l’affiche à Nantes ! (rires) » Midnight Globe sortira officiellement le 4 décembre prochain. Une avant-première est d’ores et déjà prévue le 2 décembre au cinéma Le Concorde à 20h45 qui a décidé de soutenir le film. Le cinéma Saint-Joseph de Pornic le programmera pour sa part le 30 novembre prochain à 18h00.
Au delà d’être un film farouchement nantais, Midnight Globe revendique également certaines valeurs de liberté et d’indépendance dans le respect des règles et de droits que beaucoup partagent désormais sur internet comme le crowdfunding ou les creative commons. Un cinéma nouvelle génération à l’état d’esprit qui bouscule les codes traditionnels d’un système sclérosé et conservateur bien en place qui, s’il continue de se recentrer sur lui-même, risque bien un jour de disparaître.
Entretien de Jérôme Romain & Hugo Philippon
Photos : Hugo Philippon
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