FESTIVAL
Scopitone 2013 : Ã l’envers
MUSIQUES ELECTRONIQUES
La déferlante electro se nomme Scopitone. Festival néo-futuriste qui trouve toute sa légitimité dans cette ère numérique. Évolution perpétuelle, révolution sonore, téléportation au coeur d’un univers parallèle à la rencontre de votre propre clone humanoïde. Connexion établie. Bon voyage...
La soirée d’inauguration a offert un savoureux mélange nippon. À commencer par la grâce trip-hop de Pulse, où trois danseuses ont entamé un ballet poétique avec trois bras articulés équipés de faisceaux lumineux. Autant à voir sur la scène que sur l’écran qui réfléchissait leurs corps agiles. S’en est suivi Yosi Horikawa aux platines en adéquation parfaite avec la création sublime de la vidéaste Florence To. Pour finir avec les disjonctés Polysics en combi orange et lunettes opaques, pour un rock survitaminé et hilarant.
Une première soirée électro pop
Ouverture avec le Hong-Kongais Gaybird : Digital Hug (déjà présent lors de la soirée d’ouverture) qui réussit à faire de la musique expérimentale en écrasant des crackers. Et qui a demandé au public d’allumer tous ses smartphones pour y balancer sa propre musique qui résonnait ainsi dans la salle Micro de Stereolux ! Une expérience 5.1 bluffante qui démontre toute la part loufoque du génie de l’artiste. Il a fini sur scène affublé d’une poubelle sur la tête avec une tablette tactile en guise de visage numérique. Il devenait une boîte à rythmes par simples tapotements des doigts... de quoi faire démentir les Sexy Sushi qui déclaraient que « l’électro ça manque de second degré ».
Plus posée, la pop british des Still Corners est venue offrir un retour de new wave 2.0 avec la voix envoûtante de sa chanteuse, Tessa Murray, en pleine réincarnation de Blondie. Planant.
Le très attendu Thomas Azier, protégé de Woodkid, est venu pour sa part balancer une électro pop bien rythmée. Look de bad boy en perfecto de cuir noir, prestance de chanteur rockabilly pour midinettes. Une révélation à suivre.
En clôture de cette première nuit : les bretons de Juveniles, déjà repérés ici même au Festival Beauregard en juillet dernier. Et dont Scopitone a eu pour sa part la primeur de voir jouer sur scène un nouveau titre inédit.
Conférence sur les Hubots
En marge des nuits à Stereolux (et ailleurs), Scopitone proposait également des débats dont celui intitulé : « Mon robot, un homme comme les autres ? » Adaptée de la série Real Humans diffusée sur Arte, cette conférence a permis de confronter plusieurs points de vue sur une réalité qu’on aurait tort de reléguer à de la pure science-fiction. Si les différents intervenants ne croient pas forcément à la robotique humanoïde telle qu’elle est présentée dans la série, ils attirent en revanche l’attention sur plusieurs comportements humains qui deviennent de plus en plus relégués à des machines. L’homme libère ainsi une partie de sa mémoire déléguée à son ordinateur, il peut perdre la carte mentale de son trajet transférée à son GPS, ou d’un point de vue social son remplacement par des machines en usine sur les postes les moins qualifiés. Si l’homme en devient plus désinvolte, la substitution des machines reste somme toute assez limitée. Les intervenants ont rappelé qu’un robot n’a pas de but dans la vie, et qu’il ne sait pas pourquoi il fait les choses, il se contente simplement d’exécuter l’ordre qu’on lui a programmé. Cependant, l’utilisation de robots pour des relations sexuelles ouvre à n’en pas douter un marché considérable. Si l’on s’interroge jusqu’où peut aller notre confiance dans les robots, on peut aussi très bien imaginer des machines répondant à un besoin d’écoute pour certaines personnes. Il a ainsi été rappelé le phénomène des Tamagotchis au milieu des années 90, ces animaux virtuels qui demandaient soin et attention, et qui étaient capables de mourir. A tel point d’ailleurs que des rabbins d’Israël s’étaient réunis pour savoir si ces petites machines étaient vraiment vivantes... On en rit, mais les relations sont parfois passionnelles avec son ordinateur ou son smartphone.
La plus grande discothèque du monde
Les intervenants ont rappelé qu'un robot n'a pas de but dans la vie, et qu'il ne sait pas pourquoi il fait les choses, il se contente simplement d'exécuter l'ordre qu'on lui a programmé
L’immense espace des nefs s’est transformé pour l’occasion en aérogare pour pouvoir accueillir les nombreux festivaliers venus assister au show du commandant de bord : Vitalic. Un public transporté comme dans un immense vaisseau intersidéral qui finissait par tanguer et dériver dangereusement à force que ses passagers sautillaient de plaisir. Le jeune prodige de l’électro, Superpoze, s’étant déjà chargé pour sa part de l’embarquement en enregistrant tous ceux qui avaient répondu présent. Du coup ce pauvre éléphant des Machines de l’île se sentant à l’étroit, est allé passer la nuit au clair de lune... Chauffé à bloc, le public n’avait plus qu’à basculer du côté de Stereolux pour commencer sa nuit.
Que pouvait bien donner sur scène MR-808 ? La machine exposée à Trempolino dans le cadre des expos d’art numérique du Festival. Moritz Simon Geist s’en est chargé. Avec ses claviers, il mettait en branle cette batterie décapitée, dont les différents éléments placés dans des cases se retrouvaient actionnés mécaniquement. Puis, les choses sérieuses commencèrent.
L’arrivée sur scène des Troumaca en anorak improbable avait de quoi nous laisser songeur... Un peu comme si une tribu (précisons tout de suite qu’ils sont Anglais) s’était mise à un son electro qui vient d’ailleurs. Une impression pour le moins surprenante avec cette forte connotation ethnique d’une contrée lointaine. Un dépaysement total.
On sombre dans l’abîme avec Emptyset & Joanie Lemercier. L’electro peut aussi être hardcore, sombre et noir comme le rock. Hypnotisant et addictif. Âmes sensibles s’abstenir. Une impression suffocante d’être dans l’ascenseur qui descend les différentes strates de l’enfer.
Réjouissance avec Disclosure
Pas besoin de se demander s’ils sont bien british ces frangins là. À eux deux, ils réussissent à faire rejaillir un son house tel qu’on l’entendait dans les meilleurs clubs de Londres il y a quelques décennies. Disclosure, les petits chouchous electro du moment, nous ferait presque dire que les boîtes ne sont plus ringardes...
Ils ont un peu ramé sur scène pour nous tenir en haleine après ça les américains de The Stepkids avec leur electro pop un peu foutraque, mais tellement joyeuse. Alors pour la peine ils nous ont balancé une reprise de Get Lucky. Ce qui nous a définitivement convaincu que le sample des Daft Punk était vraiment rouillé.
En immersion au cœur de la fosse durant un concert des Sexy Sushi, on peut ainsi voir passer au dessus de sa tête une immense Croix de Vendée, des brioches, et même un canapé
Retour en club pour terminer cette première nuit avec les deux Dj technoïdes de Pachanga Boys. Un croisement germano-mexicain qui a dû fermer la lumière en partant puisqu’au moment où jouait également le talentueux Jon Hopkins en salle Micro, ils étaient loin d’avoir terminé leur set. Des allers-retours entre les deux salles de Stereolux à nous rendre hystérique de devoir faire un choix.
C’est alors que tout recommence
Deuxième nuit à Scopitone. Et déjà un passage à tabac par Carbon Airways. La seule question qu’on se pose c’est si ce duo (ils sont frère et sœur) est majeur. Avec eux pas besoin de ventilateur, leur son surpuissant s’en est chargé.
Si La Femme, quant à elle, paraît moins agitée, elle cache surtout bien son jeu. Quand La Femme sort ses griffes, c’est après nous avoir séduit pour ainsi mieux se jeter sur sa proie et la dévorer. Et comme on est conquis, on se laisse bien volontiers faire... La Femme est aussi un homme, voire même plusieurs. Il faut dire aussi que La Femme est foutrement sexy. Et ses influences musicales le sont tout autant, de Jacno à Taxi Girl et le tant regretté Daniel Darc.
Et puis ceux que le public attendait est enfin arrivé. À Fragil on a pensé souscrire une assurance-vie pour l’occasion... En immersion au cœur de la fosse durant un concert des Sexy Sushi, on peut ainsi voir passer au dessus de sa tête une immense Croix de Vendée (le blason actuel date tout de même du gouvernement de Vichy), des brioches, et même un canapé. Avant que le public ne se précipite vers la scène à l’invitation de Rebeka Warrior pour un joyeux bordel. Celle-là même qui a pris soin de bénir ses fidèles au nom de Christine Boutin. Une réponse pas si absurde aux violents discours décomplexés et conservateurs de l’arrière-garde.
Après ce tsunami electro bien de chez nous, les deux Dj allemands de Diamond Version mitonnaient en salle Maxi de Stereolux un son plus expérimental perché sur leurs immenses cubes lumineux devant un large écran offrant un spectacle fascinant.
Le public de Scopitone a pris plaisir de découvrir la belle découverte qu’est Chateau Marmont. Un étonnant mix de titres mélodiques bien agités grâce à leur batteur présent sur scène. Où s’immisce ici ou là quelques titres chantés dont le plus abordable : Wind Blows. Les petits frenchies Aufgang ont eux aussi des idées, c’est même à ça qu’on les reconnaît. Leur pari ? Vouloir passer de l’electro avec deux pianos classiques et une batterie. Le résultat fonctionne à merveille. Emballement garanti. Pour rejoindre une salle à l’autre de Stereolux, le festivalier restait connecté sans relâche grâce au son du Dj local, Allie Fox. Une organisation à la perfection où on a même cru voir Woodkid servir au bar sous les néons fluos...
Electro Cardio Gramme
Le chanteur des Juveniles nous avait prévenu : « allez voir Gramme, c’est super ! » Alors on a suivi son conseil et on n’a pas été déçu. Enfin presque. Déçu malgré tout que le concert n’ait pas duré plus longtemps. Un son disco ultra festif, de la bass, des essences de funk, et une chanteuse (Sam Lynham) au look de hippie qui se lance dans de magnifiques chorégraphies sur scène. Le groupe Gramme n’est pas tout jeune (il date des années 80), mais a disparu durant une dizaine d’années. Rageant. De quoi du coup nous donner farouchement envie de rattraper ce temps perdu.
Cette seconde nuit se termine elle aussi par un enchaînement de Djs. Parmi The Juan MacLean et Julian Jeweil, on notera surtout la performance de Jackson & His Computer Band. Un impressionnant set aux commandes de son immense machine futuriste qui démontre (si tant est qu’il était encore besoin de le prouver) que l’on peut faire autrement que de se poser derrière ses machines sur une table couverte d’un drap noir.
L’édition 2013 de Scopitone a battu des records de fréquentation avec ses 40.000 festivaliers venus sur une semaine parcourir les œuvres numériques et découvrir les artistes de musique électronique. Une affluence qui a malgré tout laissé sur le carreau de nombreux frustrés par manque de place disponible sous les nefs et encore plus à l’intérieur de Stéréolux. De quoi s’interroger sur l’opportunité de lancer un Scopit(off). Un festival en marge de l’officiel qui viendrait proposer une offre alternative, mais complémentaire, comme cela existe déjà sur d’autres festivals. L’engouement manifeste pour les musiques électroniques mérite d’y réfléchir. D’autant que rares sont les événements axés sur cette thématique. À bon entendeur…
Texte & photos : Jérôme Romain
photos : Scopitone 2013 - Nantes
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