Dominique Trottein : « je fais avant tout du théâtre  »
Saint-Céré 2013 : Entretien avec Dominique Trottein, chef d’orchestre
Habitué du festival de Saint-Céré depuis 1997, le chef d’orchestre Dominique Trottein revendique le mélange des genres comme une nécessité. Il le prouve cette année encore en y dirigeant quatre spectacles dont le réjouissant éclectisme témoigne de son désir de sortir des sentiers battus.
Fragil : Vous êtes un fidèle collaborateur du festival de Saint- Céré et vous y dirigez quatre spectacles durant l’édition 2013. Que représente pour vous ce festival ?
Dominique Trottein : Il est extrêmement important pour moi. J’y suis venu pour la première fois en 1997 et depuis, je n’ai dû être absent que pour deux ou trois éditions. Cette fidélité que m’apporte son directeur, Olivier Desbordes, m’a permis de fonder une vraie famille de musiciens, réunis dans un orchestre dont je suis très fier. Nous parvenons à fidéliser de jeunes chanteurs, véritables sociétaires de la troupe, tout en découvrant de nouvelles voix. C’est le cas cette année pour Don Giovanni où l’on retrouve des artistes pour la deuxième fois au festival. Ce que j’aime ici, c’est la proximité avec les interprètes, très agréable pour le public, dans une ambiance familiale.
Fragil : Vous serez notamment à la tête de l’orchestre de Lost in the stars de Kurt Weill, rebaptisé Un train pour Johannesburg, au château de Castelnau. Comment présenteriez- vous cette œuvre ?
Ce que j'aime ici, c'est la proximité avec les interprètes, très agréable pour le public, dans une ambiance familiale
D-T : Il y a vraiment deux périodes dans l’itinéraire de Kurt Weill, la période allemande tout d’abord, avec des ouvrages osés pour l’époque, sur le plan harmonique, et la période américaine ensuite, après l’exil, avec des comédies musicales plus « politiquement correctes ». Pour son ultime composition, il mélange, dans Lost in the stars des aspects de ses deux périodes, en osant renouer avec ses anciennes amours harmoniques. Ce mélange de deux couleurs, et de deux influences, est passionnant. C’est, de plus, un sujet qui, à l’époque de sa création, en 1949, est d’actualité, puisqu’il traite de la ségrégation en Afrique du sud. On ne sort pas indemne d’un spectacle aussi fort.
Fragil : Vous allez assurer aussi la direction musicale du Don Juan de Mozart, dans une nouvelle mise en scène de Eric Perez. Que ressent-on lorsque l’on dirige une telle œuvre ?
D-T : J’ai dirigé les trois ouvrages de la trilogie Da Ponte. Don Giovanni est certainement le plus lourd et le plus pesant. Il traite d’une séduction maladive qui mène à la mort, avec plus de gravité que dans Les noces de Figaro ou Cosi fan tutte puisque, dès l’ouverture, les premières mesures annoncent l’arrivée du commandeur. On trouve beaucoup plus d’ensembles, très aboutis, que d’airs, ce qui, pour un chef, est passionnant. L’utilisation de la clarinette est primordiale. C’est un instrument que Mozart vénérait, et l’utilisation qu’il en fait me fascine. L’œuvre possède, enfin, un sens dramatique incroyable. Il n’y a pas plus théâtral, comme écriture.
Fragil : Vous avez effectué les arrangements musicaux d’un hommage à Edith Piaf que l’on pourra voir le 11 Août au château de Montal. Quels ont été vos choix ?
D-T : Ce sont des choix collectifs que nous avons faits avec les trois chanteurs, Sarah Laulan, Eric Perez et Eric Vignau. On n’a pas pu éviter de mettre quelques tubes comme La foule, Padam ou Mon dieu mais on a insisté aussi sur la première période de Piaf, avec l’héritage des années 20. Il y a donc des chansons inconnues, où la priorité est donnée au texte, et que le public va découvrir. Certaines d’entre elles ont des paroles de Jacques Prévert. J’en ai fait l’orchestration, après avoir écouté des enregistrements, dont j’ai essayé de m’évader ensuite. Je n’ai pas cherché à imiter, mais à colorer différemment. Elle chantait avec 40 musiciens, le spectacle sera accompagné par huit instrumentistes, avec un accordéon, des cuivres pour les moments grinçants et des percussions pour leur aspect dérangeant. Je serai au piano. L’une des chansons, qui s’appelle Carmen, tourne autour de l’opéra...
Fragil : On vous retrouvera également à la halle des sports de Saint Céré pour une reprise de La belle de Cadix. En quoi le mélange des genres est-il une nécessité pour vous ?
D-T : Cet éclectisme est pour moi complètement indispensable. Le 30 juin dernier, j’ai dirigé un concert de jazz avec l’orchestre de l’opéra de Marseille, Dee Dee Bridgewater et sa fille China Moses, devant 20000 personnes, sur le vieux port. C’est typiquement ce que j’aime faire. Il m’est nécessaire de faire des choses différentes et j’assume tout. La belle de Cadix , c’est du divertissement pur, et efficace et ce que j’admire le plus chez Francis Lopez, c’est son don de mélodiste. On sort forcément du spectacle avec quelques airs dans la tête. Cette opérette a été composée en 1945. Elle est facile d’écoute et le succès a été énorme, car ça a été une vraie respiration positive pour les gens, juste après la guerre.
Fragil : Comment envisagez- vous le travail avec le metteur en scène ?
D-T : J’ai parfois souffert d’une non-collaboration. Je fais avant tout du théâtre et j’ai besoin d’un échange avec le metteur en scène. Le spectacle se ressent d’une telle entente. J’assiste à toutes les répétitions scéniques au piano, pour aider les chanteurs. J’interviens lorsque quelque chose va contre la musique. Il est complètement vital de collaborer longtemps avec le metteur en scène. La musique doit coller au théâtre.
Fragil : Vous aimez explorer des œuvres rarement représentées et vous avez notamment dirigé Des souris et des hommes de Carliste Floyd, d’après le roman de Steinbeck, à l’opéra de Nantes en 1999. Quel souvenir gardez-vous de ce spectacle ?
D-T : J’en garde un souvenir très précis. En arrivant au pupitre à la pré-générale, Philippe Godefroid, alors directeur du théâtre, m’a présenté le compositeur sans m’avoir prévenu de sa présence ce soir là. J’étais dans un état de colère, de trac et d’excitation à la fois et Carliste Floyd s’est montré d’une gentillesse extrême. Il m’a laissé une liberté totale. Un compositeur ne doit-il pas laisser vivre sa partition ? C’était la première fois que je dirigeais une œuvre dont l’auteur était près de moi ! J’ai le souvenir d’une très bonne équipe, et d’une musique généreuse, avec du souffle, une tension due au sujet, et l’intensité dramatique des grands espaces américains. Ce spectacle était une création européenne et a rencontré un grand succès. J’en aurais aimé une reprise.
Au cours d'une représentation, je me suis senti submergé par l'émotion, dans une sorte d'état de grâce et j'ai dû m'arrêter de diriger quelques secondes
Fragil : Plus récemment, vous avez dirigé L’héritière de Jean- Michel Damase, inspirée du roman de Henry James, Washington Square, à l’opéra de Marseille. Quelles traces vous a laissées cette œuvre ?
D-T : C’était la seconde fois que je dirigeais devant un compositeur vivant. Jean-Michel Damase vient de disparaître, en avril dernier. Renée Auphan, qui mettait en scène, maîtrisait complètement le sujet puisqu’elle avait créé le rôle de l’héritière, composé pour elle. Ça a été un bonheur de travailler avec cette artiste, à l’époque directrice de l’opéra de Marseille. C’est une musique post-Poulenc, dont Damase était le disciple. Le rôle principal allait comme un gant à Anne-Catherine Gillet, d’une étrangeté, d’une pureté vocale et d’une légèreté incroyables, une figure très proche de Blanche de la Force des Dialogues des carmélites, qu’elle interprétera à Nantes à l’automne.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
D-T : L’an prochain, je vais diriger une nouvelle production du Voyage dans la lune de Jacques Offenbach, une opérette dans la veine du Roi Carotte. Ce sera une coproduction entre les opéras de Fribourg, Lausanne, Clermont-Ferrand et le festival de Saint-Céré. Pour les fêtes de fin d’année, je serai à Avignon pour une reprise de la comédie musicale My fair lady et à Massy en mars 2014 pour Don Giovanni. L’un des projets qui me tient particulièrement à cœur est le concert des 30 ans du CNIPAL (Centre national pour l’insertion professionnelle des artistes lyriques) que je dirigerai à l’opéra de Marseille en octobre prochain. Il y aura des chanteurs qui sont passés par ce centre de formation et qui font aujourd’hui une carrière importante.
Fragil : Quel est votre plus beau souvenir dans votre itinéraire d’artiste ?
D-T : J’espère que mon prochain projet sera mon plus beau souvenir. Je garde cependant en mémoire une production de Candide de Bernstein à Tours, où il y avait une formidable communion musicale et scénique. Au cours d’une représentation, je me suis senti submergé par l’émotion, dans une sorte d’état de grâce et j’ai dû m’arrêter de diriger quelques secondes. Cela a dû être imperceptible mais c’est un souvenir extrêmement puissant. Plus récemment, le concert que j’ai déjà évoqué devant 20000 personnes sur le vieux port de Marseille, où il y avait une communion étonnante avec un public très motivé, a également été un moment magique, que je ne suis pas prêt d’oublier.
Propos recueillis par Christophe Gervot
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