Création de « Hänsel et Gretel  » de Humperdinck au Palais Garnier
L’étoffe des songes
Inspiré du célèbre conte des frères Grimm, Hänsel et Gretel , l’opéra de Engelbert Humperdinck a été créé à Weimar le 23 décembre 1893, 10 ans après la mort de Wagner, sous la direction musicale de Richard Strauss. On comprend les affinités que ce dernier a pu avoir avec la partition, dont certains accords annoncent ses opéras à venir. L’œuvre a été jouée pour la première fois à Paris en 1900, à l’opéra comique, sous la baguette d’un autre compositeur, André Messager, mais elle n’avait jamais été représentée à l’opéra de Paris. Elle vient d’y faire son entrée au répertoire, le 14 avril, dans une brillante mise en scène de Mariame Clément.
Les spectateurs de Angers Nantes Opéra gardent en mémoire les très touchantes miniatures orientales dont Mariame Clément s’était nourrie pour construire sa vision de Pirame et Thisbé , tragédie lyrique de Rebel et Francœur, en mai 2007. Cette artiste sait créer des images marquantes, tout en réglant des directions d’acteurs pleines de sensibilité. Le décor de Hänsel et Gretel , conçu par Julia Hansen, est très ingénieux, et d’une troublante beauté. Il permet de multiples surprises, pour une lecture qui glisse avec beaucoup d’habileté et de nuances entre le conte et le récit fantastique. L’interprétation musicale de l’œuvre, aux échos wagnériens, se fond avec bonheur, dans un véritable art total, à ce beau travail.
Troublantes peurs de l’enfance…
Le décor représente un intérieur bourgeois, sur deux étages : en bas, la chambre des enfants et en haut, une salle de séjour. Au centre, un petit couloir qu’emprunte le père en arrivant au premier acte, où a lieu aussi quelques apartés. Cet intérieur, plutôt rassurant, se répète de l’autre côté du couloir, en un effet de symétrie. Le jeu de miroir est accentué par les gestes simultanés des chanteurs et de figurants qui tiennent les mêmes rôles. Parfois, la symétrie vacille. Ce peut être un coup de vent, une ombre ou l’apparition d’une créature inquiétante. L’un des côtés est celui des angoisses de la nuit, ou de l’appel de l’interdit, tandis que l’autre représente l’ordre établi, que les enfants ont du mal à se représenter. Ces ruptures, parfois infimes, font songer au tour d’écrou de Henry James, où un frère et une sœur ont également une perception déformée et angoissante du monde des adultes. Ainsi, Hänsel et Gretel, une fois endormis, inventent leur réalité. Les très beaux éclairages de Philippe Berthomé accentuent l’impression d’inquiétante étrangeté, de ce rêve aux contours irréels et incertains, où tout dérape et se fissure dans la conscience troublée des enfants : une sorte de forêt intérieure. On retrouve avec plaisir ici cet éclairagiste, fidèle collaborateur des spectacles de Jean-François Sivadier, notamment pour la mémorable Traviata du festival d’Aix-en-Provence (2011), et pour Le misanthrope, qui vient de triompher au théâtre de l’Odéon.
L’impression d’inquiétante étrangeté, de ce rêve aux contours irréels et incertains, où tout dérape et se fissure dans la conscience troublée des enfants : une sorte de forêt intérieure
La maison de pain d’épices prolonge cette logique du rêve puisque, une fois les frontières entre songe et réalité abolies, elle prend la forme d’un gigantesque gâteau débordant de crème, qui tourne et d’où sort la sorcière. Celle-ci serait-elle l’image fantasmée et perturbante des débordements et des menaces que l’on pressent chez ces adultes qui marchent au-dessus de la chambre, alors que l’on n’arrive pas à trouver le sommeil ? Anne-Catherine Gillet prête sa voix d’une éclatante pureté, aux couleurs claires, à la figure de Gretel, dans un jeu sincère et nuancé, où l’on sent les émotions contrastées de la jeune fille qui chemine dans la nuit. Elle devrait être une émouvante Blanche de la Force dans les Dialogues des carmélites programmés par Angers Nantes Opéra à l’automne prochain. Elle y sera aussi Leïla des Pêcheurs de perles de Bizet en février. Daniela Sindram interprète le rôle travesti de Hänsel avec ferveur et authenticité, et quelques beaux graves. On songe parfois à Chérubin des Noces de Figaro de Mozart. Ils offrent tous deux, dans leurs ensembles, quelques instants de grâce. La partition annonce certaines pages parmi les plus belles des opéras de Richard Strauss, et en particulier le Chevalier à la rose, mais elle contient aussi de nombreux échos de l’œuvre de Richard Wagner, dont Humperdinck était un grand admirateur.
L’ombre de Richard Wagner
C’est à Naples, en 1880, que le compositeur de « Hänsel et Gretel » rencontre Wagner, qui l’invite ensuite à travailler avec lui à Bayreuth sur la création de Parsifal , son ultime opéra. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans l’opéra de Humperdinck des réminiscences et parfois même des citations d’œuvres du maître, disparu en 1883, pour qui il éprouvait une profonde admiration. On reconnaît par instants des fragments de L’or du rhin et de La Walkyrie et le son du cor rappelle celui de la forêt de Siegfried. À la fin du deuxième acte, l’air du marchand de sable, aux sonorités cristallines, intervient comme le calme après la tempête. Il succède à l’expression de détresse des enfants, complètement égarés, et leur apporte un peu de paix. Le procédé et l’effet produit évoquent l’air, d’une grande beauté, du veilleur de nuit dans Les maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner, également placé à la fin du deuxième acte, après un moment de désordre et de panique. Les voix sollicitées sont également un hommage à Wagner, et Irmgard Vilsmaier, soprano dramatique qui incarne la mère, a la puissance vocale et l’énergie d’une Brünnhilde, qu’elle chante par ailleurs.
Jochen Schmeckenbecher s’empare de la figure du père avec des sonorités d’une belle profondeur. Claus Peter Flor met en valeur les résonances que contient la partition, et enveloppe sa direction sensible et inspirée, de poésie et de mystère. Mariame Clément a su refléter, dans sa mise en scène, l’hommage à Wagner, dans une scène réjouissante de parodie. Les incantations de la sorcière, avec un jeu amusant sur la répétition de sonorités, « Hokuspokus, Holderbusch ! » suggèrent, de manière déformée et dérisoire, les « Hojotoho » de la chevauchée des Walkyries. Le ballet des sorcières, véritable numéro de music-hall, réglé par le chorégraphe Mathieu Guilhaumon, en est un désopilant miroir déformant. La mythique soprano Anja Silja, sorcière de grand luxe, s’y investit avec une joie débordante et communicative. L’interprète a incarné les plus grandes héroïnes d’opéra, sur les scènes du monde entier. Elle est fascinante de charisme et d’énergie et sa voix est toujours d’une belle puissance. Les retrouvailles avec les enfants et le lever du jour sont un beau moment de retour à l’harmonie et à la confiance. La distribution, dans son ensemble, est d’une belle homogénéité et s’investit de manière totale dans un spectacle troublant, mouvant et aux images marquantes, dont on sort avec les yeux qui brillent. On en souhaite de nombreuses reprises.
Texte : Christophe Gervot
Photographie : Photos : opéra de Paris Monika Rittershaus
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