Entretien avec Nicolas Courjal
Le bonheur d’explorer et de défendre l’opéra français
Les spectateurs d’Angers Nantes Opéra ont pu entendre la basse Nicolas Courjal en 2006 dans Roméo et Juliette, de Hector Berlioz, et en 2007 dans Le comte Ory de Rossini. Il vient de participer à la résurrection d’une rareté, à l’Opéra comique. Il s’agit de Mârouf, savetier du Caire de Henri Rabaud, inspiré d’un conte des mille et une nuits et dans une mise en scène de Jérôme Deschamps. Il nous a accordé un entretien début mai 2013, alors qu’il était encore en répétition du spectacle. Le public d’Angers Nantes Opéra retrouvera ce bel artiste, à la voix profonde, en février prochain pour Les pêcheurs de perles de Georges Bizet. À ne pas manquer !
Fragil : vous avez été, à partir du 25 mai 2013, à l’affiche de l’Opéra comique dans Mârouf, savetier du Caire, une œuvre de Henri Rabaud créée en 1914 dans ce même théâtre. Comment présenteriez-vous cette rareté ?
Nicolas Courjal : c’est une très belle musique, impressionniste et assez proche de celle de Claude Debussy. Dans le cas d’une œuvre aussi peu jouée, c’est comme si l’on participait à une création. Les dernières représentations de « Mârouf » ont en effet eu lieu à l’opéra de Nantes, en 1976. Cet opéra trouve sa source dans un conte des mille et une nuits, et est teinté d’un peu d’orientalisme, avec de beaux personnages, souvent amusants.
Fragil : de quelle manière s’est déroulé le travail avec Jérôme Deschamps, le metteur en scène ?
Nicolas Courjal : nous avons eu beaucoup de temps et Jérôme Deschamps nous a permis de créer et de proposer des choses, avec nos personnalités. Il respecte le conte des mille et une nuits, avec des figures hautes en couleur, mais que nous avons construites dans un échange permanent, où l’on pouvait apporter beaucoup de soi. Il n’avait donc pas de vision arrêtée sur l’œuvre. De plus, les personnages sont des rôles de composition, qui évoluent dans un univers irréel. J’incarne un sultan et Franck Leguérinel, avec qui c’est un bonheur de jouer, est un vizir. Les costumes, signés Vanessa Sannino, sont extrêmement recherchés et approfondis, et ils nous ont aidés à construire le jeu. Nous étions tous complètement transformés. Ainsi, j’avais un faux ventre, une moustache et un grand chapeau, et je ne me reconnaissais pas moi-même. J’ai été vraiment très heureux d’être à nouveau à l’Opéra comique, la salle de mes débuts. Ce qui est drôle, c’est que j’ai retrouvé le faux ventre que l’on m’avait fait pour mes deux premières productions d’opéras, en 1997 : il s’agissait de La cantatrice chauve de Luciano Chailly, d’après Eugène Ionesco, et du Mariage secret de Cimarosa.
Fragil : d’une manière générale, qu’attendez-vous d’un metteur en scène ?
À partir du moment où il témoigne d'un vrai respect de cette musique, je suis prêt à aller loin dans la voie où il veut nous conduire
Nicolas Courjal : j’attends qu’il ait bien travaillé la partition qu’il va mettre en scène, qu’il en soit imprégné, car l’opéra, c’est avant tout de la musique, qui véhicule beaucoup de sens. J’attends aussi du metteur en scène une vision construite de la direction où il veut aller avec cette œuvre, qu’elle soit classique ou contemporaine. À partir du moment où il témoigne d’un vrai respect de cette musique, je suis prêt à aller loin dans la voie où il veut nous conduire. Ce n’est pas parce que l’on vient du théâtre que l’on fera de bonnes mises en scène d’opéras. Il y a en effet des contraintes musicales et rythmiques. Ce n’est pas facile, mais c’est passionnant.
Fragil : en dehors de la reprise de l’ouvrage de Henri Rabaud à l’Opéra comique, cette saison 2012-2013 accorde une place importante à l’opéra français puisque vous avez participé à une production de Robert le diable de Meyerbeer en novembre au Covent Garden de Londres et vous ferez partie de la reprise en version de concert des « Troyens » de Hector Berlioz, à Marseille, en juillet. Vous avez par ailleurs été un mémorable Méphistophélès du Faust de Gounod en 2009 à l’opéra de Massy. Que représente pour vous ce répertoire ?
Nicolas Courjal : c’est un répertoire où je me sens bien, et dans lequel les basses sont particulièrement gâtés, avec de beaux rôles comme frère Laurent dans Roméo et Juliette, Arkel de Pelléas et Mélisande, Méphisto et tant d’autres. J’adore toute cette musique française romantique, et j’ai envie de la défendre. C’est pour cette raison que je suis heureux d’avoir fait partie de cette reprise de « Mârouf ». De plus, en tant que Français, je me sens utile dans ce répertoire, pour des raisons linguistiques et de musique de la langue, que je ressens plus facilement puisque c’est ma langue maternelle. Il s’agit davantage d’une manière de dire les choses et d’entendre la musique des mots et des phrases, que de bien les prononcer. Avant d’être chanteur, j’ai été violoniste et je jouais des œuvres de Saint-Säens et de Edouard Lalo, des compositeurs que je suis content de retrouver et de défendre aujourd’hui, en France et à l’étranger. En 2015, je participerai à Londres à une reprise de Guillaume Tell de Rossini, dans sa version originale en français : c’est une musique romantique et sensuelle, qui me touche beaucoup.
Fragil : quels sont les autres compositeurs que vous aimez interpréter ? Y en a-t-il que vous rêveriez d’aborder ?
Nicolas Courjal : j’ai eu la chance d’interpréter à deux reprises le rôle du Prince Grémine, dans Eugène Oneguine de Tchaïkovski. Je ne ressens certainement pas la langue comme les Russes, mais j’aime beaucoup cette musique. J’adorerais aborder des rôles de Wagner, dont j’ai déjà chanté le veilleur de nuit dans Les maîtres chanteurs de Nuremberg en 2003 à l’opéra Bastille, et Reinmar de Tannhäuser au Châtelet en 2004. C’est en écoutant et en adorant ce compositeur que je suis venu au chant. L’un des éléments déclencheurs a certainement été une retransmission d’une « Walkyrie », depuis les Chorégies d’Orange, que j’ai vue à la télévision. Mon rêve est en train de devenir réalité puisqu’en 2016, je vais incarner le roi Marke de Tristan et Isolde à l’opéra national de Bordeaux. C’est Isabelle Masset, directrice artistique, qui me l’a proposé et c’est un magnifique cadeau ! Ce rôle est un formidable défi, et demande des qualités vocales, d’endurance et de jeu. Il n’y a cependant pas de personnages mineurs chez Wagner, et chaque protagoniste est intense, y compris Fasolt de L’or du Rhin ou Hunding de La Walkyrie, qui doivent être passionnants à faire, et qui combleraient aussi mon amour pour ce compositeur.
Fragil : quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
Nicolas Courjal : Je vais rester dans le répertoire français, puisque je vais interpréter le rôle du barde dans Sigurd de Ernest Reyer à Genève en octobre 2013. Cet opéra s’inspire, comme la tétralogie de Wagner, de la chanson des Nibelungen et des mythologies scandinave et germanique, et il comporte de très belles pages à chanter. Je me réjouis de participer à ce projet. En avril 2014, je chanterai le rôle-titre du Roi d’Ys de Edouard Lalo à l’opéra de Marseille, grâce à Maurice Xiberras, son directeur, qui m’a déjà donné plein de beaux rôles et qui fait beaucoup pour les chanteurs français. Cette partition du XIXème siècle trouve sa source dans la légende bretonne de la cité engloutie par les flots. En décembre, je serai Zuniga dans Carmen au Covent Garden de Londres, une maison que j’adore et enfin, je participerai en février prochain aux Pêcheurs de perles de Bizet, en version de concert à Angers Nantes Opéra.
Le fait d'être sur scène, avec la fosse d'orchestre qui sépare le plateau de la salle, me faisait parfois oublier le public que je devinais dans le noir
Fragil : quelles sont les rencontres qui vous ont particulièrement marqué dans votre itinéraire d’artiste ?
Nicolas Courjal : j’ai été très marqué par de grands artistes, impressionnants de métier et d’expérience, avec qui j’ai partagé des moments sur scène, et notamment Renée Fleming, Karita Mattila et Franz Mazura, qui ont chacun énormément de choses à transmettre. Jane Berbié, ma professeur de chant au conservatoire national supérieur de musique de Paris, a été une rencontre déterminante. Elle convenait parfaitement à ma nature vocale, et je ne serai pas devenu ce que je suis aujourd’hui sans elle. C’est avant tout une rencontre humaine, puisque nous sommes devenus amis. Cette grande artiste m’a tout appris, par sa grande expérience de la technique vocale et de la scène, et je lui dois des choses essentielles qu’elle a sues me transmettre pour mon métier.Certains directeurs aussi, qui m’ont donné ma chance, ont beaucoup compté dans mon itinéraire, et en particulier Raymond Duffaut, à l’opéra d’Avignon et aux Chorégies d’Orange, et Pierre Médecin qui, lorsqu’il était à l’opéra comique, m’a offert mes premiers rôles, alors que je n’avais que 23 ans.
Fragil : pourriez-vous citer un souvenir plus fort que les autres sur une scène d’opéra ?
Nicolas Courjal : C’était au début de ma carrière, je jouais l’ermite du Freischütz de Weber à l’opéra de Montpellier, et le metteur en scène me faisait chanter mon air depuis la salle, au milieu du public. J’ai vécu une prise de conscience très forte. En étant aussi proche des spectateurs, je me suis rendu compte d’émotions palpables, dans un moment de partage très intense. Auparavant, je pensais davantage à la technique, et à bien chanter la partition. Le fait d’être sur scène, avec la fosse d’orchestre qui sépare le plateau de la salle, me faisait parfois oublier le public que je devinais dans le noir. Il est très important de chanter juste, mais ce qui est essentiel pour un chanteur d’opéra, c’est le don et le passage d’émotions aux spectateurs, et cela m’est toujours resté depuis ce moment unique. Mais chaque représentation de spectacle est singulière, et merveilleuse...
Propos recueillis par Christophe Gervot
Crédits photos :
Portrait de Nicolas Courjal, par Simon Annand. Tous droits réservés.
Bannière : photo issue de Mârouf, savetier du Caire DR Pierre Grosbois.
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