
Sous les feux de la rampe
Un éclairage sur la fiesta nomade
Les termes de "manouches" ou "gitans" fleurtent avec celui de "forains" dans certaines bouches. Ces expressions vont-elles passer l’épreuve des dialogues entre deux manèges ?
Le train fantôme
Un jour de pluie, la foire se dissimule derrière d’épaisses toiles, blanches ou noires, aucune lumière ne vient les troubler dans leur immobilité. Elle ressemble ainsi à un village mystérieux, conçu pour les fêtes à venir. L’absence de visiteurs semble donner un autre aspect à ce lieu d’animation, cette séreinité révèle alors l’élément que les amateurs de manèges oublient trop souvent : les vies d’hommes et de femmes cachées derrière ces attractions.
Leur secret est bien gardé, seul une personne , au premier abord méfiante, engage un dialogue. Ce veilleur confie que cette communauté, au niveau d’instruction inégal, à première vue fermée, "commence à s’ouvrir". Les générations représentant l’avenir de la foire marquent ainsi un tournant dans l’évolution continue de ce métier. "Nous souhaitons que nos enfants soient bien intégrés dans la société et qu’ils obtiennent au moins le niveau du Bac".
La conversation touche à sa fin : peu d’indices sur les caractéristiques de cette activité hors du commun. Seule la constatation par notre interlocuteur lui même de la possibilité de découvrir d’importantes différences entre régions que nous, "sédentaires", ne soupçonnons pas.
La pêche aux canards
Le soleil ayant décidé de rayonner sur les flambants manèges, l’activité reprend et,avec elle, les motivations du président de l’association de la fête foraine de Nantes. Il nous révèle que cette profession ne consiste pas " à poser un manège pour attirer les foules" mais qu’elle est codifiée. De la tournée établie, posant les dates précises d’appartition de la foire dans nos villes, à l’obligation de s’inscrire au registre du commerce : rien n’est laissé au hasard. Dans toutes les bouches revient cette distinction : "Comment peut on nous qualifier de "gitans" ? Nous sommes plus proches des commerçants ambulants". Le président confirme : "Nous sommes en partie gérés par la mairie. Elle nous donne un temps d’une semaine pour monter nos manèges. Au niveau sécurité, nous devons régulièrement mettre à jour nos certificats de conformité. Nous nous engageons aussi à dynamiser la foire en investissant régulièrement dans de nouveaux manèges qui se trouvent à des emplaçements réservés."
Cette identité de "commerçants" est d’ailleurs visible dans les nombreuses opérations que mènent les forains pour attiser l’attraction de leurs manèges. Le mercredi après-midi était jour des enfants, le jeudi soir sera celui des étudiants. Une campagne de publicité, mûrement réfléchie (quelle soirée une vie trépidante d’étudiant, entre concerts et fêtes, peut-elle consacrer à la foire ?) se met en place pour qu’ils puissent bénéficier d’une réduction de 50%. Les bourses étudiantes n’auront plus besoin du stand des machines à sous pour rembourser leurs tours de manège.
Le palais des glaces
Les a-prioris se brisent en constatant que les forains ne vivent pas "en vase clos". Un homme remarque : "Après tout Disney n’est qu’une fête foraine statique et pourtant les gens ne portent pas le même regard sur eux que sur nous". Cependant la communauté ne nie pas la particularité de la profession.
Leurs connaissances sont celles de traditions perdues:l’habitude de colporter de villes en villes, le pouvoir de divertir. Ils disposent alors d’une connaissance approfondie des visages de la France qui se révèlent dans leurs rires. "Nantes, ville festive,est proche d’une ambiance "celte". Bordeaux, par sa proximité avec l’Espagne, a plus un caractère latin. Partout on s’amuse de la même façon mais l’esprit de la fête dépend des origines." Une autre voix confirme l’agréable réputation des Nantais et des "chaleureuses" régions du midi mais se montre plus réticente sur les villes de Tours et de Bordeaux : "Certaines personnes avant de nous dire bonjour nous demande surtout :" c’est combien ?" et "qu’est ce que l’on gagne ?".
Ces explications nous prouvent que ces témoins ambulants offrent non seulement leur art du divertissement mais également leurs expériences et leur regard priviligié. Cependant, cette attention aux particularités de chacun ne doit pas cacher l’importante frontière qui sépare cette communauté des "sédentaires". Ce patron nous décrit sa vision : " Ici, tout le monde est comme dans un petit village, composé de plusieurs familles. Des rencontres, des mariages se font avec des personnes venues de l’extérieur. La nouvelle génération est plus ouverte mais notre solidarité et notre volonté de rester ensembles demeurent intactes."
La grande roue des générations
L’interrogation se porte donc sur les enfants qui, la plupart du temps reprennent le métier de leurs parents leur assurant une activité pérenne. "Ils sont habitués à la vie, poursuit le président. Dans toutes les villes, des amitiés se créent mais il faut pouvoir rester indépendant,être capable d’attendre plusieurs mois avant de revoir ses connaissances." Les futurs héritiers de la foire ont-ils le sentiment de vivre, malgré cette mobilité, une enfance rêvée, illuminée par les manèges, où ces distractions à plein temps cotoient les appétissantes pommes d’amour ? Le mythe de l’enfant dans un paradis festif est détruit par l’assurance que grandir sous ces lumières leur paraît "tout à fait normal".
Fi de ce bonheur utopique : même les plus distrayantes attractions deviennent des banalités par la force de l’habitude.Pourtant un homme, responsable d’un stand de tir, assure que cette position a des avantages :"Enfant, j’étais souvent la vedette à l’école. Les manèges construisent aux yeux des autres une sorte de notoriété. Je considère que cette vie peut être un avantage". Mais par la suite, un choix de métier s’impose :"Ils font ce qu’ils ont toujours connu même si nous leur laissons la porte ouverte à d’autres choix. Ils n’ont pas des conditions faciles pour étudier car ils doivent changer d’écoles régulièrement. Pas de problème pour le primaire ou le collège, ils ont des "cahiers de suivi" qui accompagnent leur parcours et renseignent leur professeur. Mais les lycées sont plus exigeants, quelques uns refusent parfois de prendre des élèves pour un mois seulement. Mais nos enfants passent, pour la plupart, leur Bac comme tout le monde, certains obtiennent de brillants résultats,font parfois des écoles de commerce mais restent attachés à leurs racines". Un autre point de vue se présente et complète : "les enfants ont la volonté de montrer qu’ils peuvent y arriver, au même titre que leurs camarades. Mais cette fameuse barrière du lycée les oblige parfois à suivre les cours du Cned ou à rejoindre une pension, séparation que nous, parents, admettons difficilement".
Les auto-tamponneuses anti-préjugés
Cette communauté possède t-elle donc des valeurs qui lui forgeraient une identité particulière ? Les réponses sont sujettes à controverse, chaque forain a sa propre définition de cet esprit. Ils emploient parfois des expressions particulières, telles que "sédentaires" ou "pris en passager" (certains manèges ne suivent pas le même trajet que d’autres et sont alors "pris en passager"), qui laisseraient penser à l’existence d’un jargon. Selon le patron de la foire, "il était souvent employé avant mais a eu tendance à disparaître".
Les mentalités même aurait changé selon certains forains :"La mémoire des anciens pourraient prouver cette évolution." "Personnellement, je trouve que les nouvelles générations cherchent à gagner encore plus d’argent pour le réinvestir. Ils oublient les fonctions premières de la foire, le divertissement, le plaisir..." Cependant, même les jeunes ont dans la peau le rythme de vie qui conditionne tout de même un état d’esprit commun a tous. Aux antipodes de nos repères : "Nous nous sommes habitués aux difficultés, aux pannes sur la route, aux frais de déplacement mais un lien plus fort nous rattache à notre activité." "Ce métier ne s’improvise pas, il faut avoir été élevé dans le bain de la foire, ne connaître que cela pour pouvoir s’adapter. Ma famille transmet cet héritage depuis six générations, et, pour certains nous n’avons même pas réussi à retrouver les dates de leurs origines."
Ce patrimoine n’est pas impossible à pénétrer pour nous mais les réactions de peur et de rejet sont fréquentes de part et d’autre de "la barrière de la mobilité". "Quand un(e) sédentaire se marie ici et décide de tenir un manège, il est confronté à une façon de vivre qu’il méconnaît et l’adaptation est extrèmement dure. Il faut s’habituer à tout remetre en question : être prêt à travailler tous les week ends, à quitter son confort..." Ces problèmes évidents ne choquent problablement pas les plus rationnels, il faut toutefois, comme pour un manège en apparence innoffensif, "nager" réellement dans ce milieu pour discerner réellement ces particularités et sentir l’étourdissement de ces vies, reflet inversé des autres.
Le choc frontal se produit plus fortement lorsque les forains définissent une morale depuis longtemps effacée de nos vies immobiles. "La solidarité signifie pour nous l’entraide entre familles mais également au sein de chacune d’elle. Nous apprécions la présence de nos enfants et de nos parents. A nos yeux, il est indispensable de ne les laisser jamais seuls. Nous cèdons aux grands parents nos caravanes les plus confortables. Nous ne connaissons pas les maisons de retraite et sommes particulièrement touchés quand ils ne peuvent plus voyager, que leur périple s’arrête dans une ville." Leur motivation est précisément la volonté, l’envie et le besoin vital de toujours se déplacer : "cela fait un mois que nous sommes à Nantes et j’ai déjà envie de repartir" s’exclame l’une d’eux. En avouant cette nécessaire fuite, ces hommes et femmes prouvent que le mystère qui les entoure ne se brisera jamais totalement et qu’il est peut être à la source de notre attirance pour ces moments ludiques. Un petit tour et puis s’en vont...
Chloé Vigneau
Que serait la foire sans les images éloquentes de manèges toujours plus fous ?
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