
Charb : «  Nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court  »
Charlie Hebdo est en rupture de stock lorsque sa Une porte sur l’Islam. Derrière les polémiques de l’hebdomadaire satirique, il y a un modèle économique original, un projet humain et... une protection policière. Charb, le crayon emblématique de la publication, nous en parle. Interview en trois coups de fusain.
Fragil : Vous me disiez dit que Charlie-Hebdo tirait à près de 45 000 exemplaires et que vous en étiez plus ou moins satisfait...
Charb : On vend à 45 000 et on tire à 80 000 exemplaires. On n’a pas d’autres revenus que la vente aux numéros ; il n’y a pas d’investisseur extérieur, ni d’actionnaire extérieur.
Fragil : Ce sont les dessinateurs qui sont actionnaires...
Charb : Oui, il y a une partie des gens qui travaillent à Charlie qui sont actionnaires.
Fragil : Le titre a été relancé en 1992. Avec des gens comme Cabu...
Charb : Oui, en 1992, Cabu était déjà présent dans l’ancienne formule, on a relancé le journal avec les gens de l’ancienne génération plus la nouvelle. J’ai donc fait partie de la nouvelle équipe en 1992.
Fragil : Je me suis penché sur la problématique des journaux satiriques (que ce soit Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné) en France et ce qui se dégage, c’est que c’est difficile pour tout le monde, d’avoir un équilibre financier stable. On peut le voir sur d’autres titres satiriques qui sont apparus il y a deux ou trois ans.
Charb : Oui, oui, je vois très bien. C’est difficile pour tous les journaux. Tous les journaux sont en difficulté, sauf peut-être Le Canard enchaîné.
Fragil : Même L’Équipe vous voyez...
Charb : Oui, oui, tous les titres sont en difficulté et nous on s’en sort moins mal que les autres, car nous ne sommes pas une très grosse structure. De plus, on est un journal un peu à part. On occupe une niche spéciale ; il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d’investisseurs pour mettre de l’argent dans un journal satirique.
Il y a très peu de concurrents à Charlie Hebdo et il y a peu d'investisseurs pour mettre de l'argent dans un journal satirique
Fragil : Mais justement, est-ce que vous ne seriez pas prêt à accueillir des investisseurs, car cela peut engendrer une certaine forme de liberté ?
Charb : Si c’est du mécénat pourquoi pas, mais si c’est un investisseur qui essaie, à un moment ou un autre, d’infléchir la ligne éditoriale du journal, hors de question.
Fragil : À Charlie Hebdo, vous publiez beaucoup de hors série, ils marchent bien ?
Charb : Cela participe de l’équilibre du journal. On s’en sort financièrement aussi grâce à cela.
Fragil : D’une certaine manière, vous êtes dans la même logique que Le Canard enchaîné ou d’autres journaux traditionnels...
Charb : Oui, on en a toujours fait.
Fragil : Quid d’Internet ?
Charb : Cela nous intéresse sauf qu’il n’y a pas vraiment de modèle économique sur Internet pour des journaux comme nous. On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site, ce n’est pas ça qui nous fait vivre.
Fragil : Ce que j’essaie de dire, c’est qu’un modèle comme Mediapart, ça ne vous intéresserait pas ?
Charb : Oui, oui c’est le meilleur modèle qui existe et la meilleure formule sur Internet ; le problème étant que l’on ne peut pas garantir que les articles mis en ligne ne soient pas piratés.
Fragil : Votre journal peut-être viable économiquement, même sur Internet ?
Charb : C’est sûr que si on était directement sur Internet, le titre serait beaucoup plus connu et populaire.
Fragil : Vous avez déjà un site, où l’on peut voir le sommaire de Charlie Hebdo...
Charb : Oui c’est vrai, mais cela joue d’abord sur la notoriété du journal et non pas sur les ventes globales.
On ne vit pas de la publicité et on s’en fout du nombre de clics sur Internet pour notre site
Fragil : Vous êtes distribués partout en France ? Vous n’avez pas de problème de distribution ?
Charb : Non, on n’a pas de problème de distribution ; les seuls moments où l’on a ce type de problème c’est quand certains vendeurs de journaux refusent de vendre le journal quand par exemple, il y a des couvertures sur l’Islam et que cela fait polémique.
Fragil : Vous avez connu aussi des ruptures de stock ?
Charb : Oui, oui bien sûr. On a connu trois fois des ruptures de stock et ces trois fois, cela concernait des unes ayant à voir avec l’Islam.
Fragil : Vous n’en avez pas marre d’être devenu dans les médias le spécialiste de l’Islam et de la religion musulmane ?
Charb : Si, c’est un peu réducteur, en effet. C’est un peu pénible de n’apparaître que pour cela.
On avait, de toute façon, un enquêteur sur l'affaire Cahuzac et qui arrivait aux mêmes conclusions que Mediapart
Fragil : Je sais aussi qu’au sein de votre rédaction, vous avez des enquêteurs et des journalistes ; en tant que journal, vous auriez pu sortir un article polémique sur l’affaire Cahuzac par exemple ?
Charb : Ça aurait été bien, mais on est d’abord un journal satirique et les enquêtes ne sont pas notre vocation première.
Fragil : Et si demain, vous avez connaissance d’un scandale gouvernemental ?
Charb : On le sortira, bien sûr. On avait, de toute façon, un enquêteur sur l’affaire Cahuzac et qui arrivait aux mêmes conclusions que Mediapart.
Fragil : De manière générale, vous et les autres dessinateurs de Charlie Hebdo, vous êtes aussi présents dans d’autres médias...
Charb : Oui je suis présent, moi-même, à « 28 min » sur Arte et sur LCI.
Fragil : Vous subissez déjà des formes de boycott par des groupes extrémistes, mais subissez-vous toujours des attaques sur vos serveurs informatiques ?
Charb : On est effectivement toujours attaqué, régulièrement. On est protégé par un site de sécurité et on est un peu leur laboratoire expérimental, car le site Charlie Hebdo est régulièrement attaqué depuis 2011.
Fragil : Vous avez fait la fête hier ? (NDLR : Interview ayant lieu au lendemain de l’adoption du mariage pour tous à l’Assemblée nationale)
Charb : Non, non, je n’ai pas fait la fête ; je me suis réjoui, oui, mais je n’ai pas fait la fête (rires).
Fragil : Non, je dis cela, car le mariage pour tous, c’est quand même une extension des droits humains.
Charb : Oui, oui, nous on est à fond pour.
Fragil : Et Charlie Hebdo a aussi vocation à développer des droits humains et une certaine forme de liberté.
Charb : Oui bien sûr, même si dans l’ensemble, nous ne sommes pas des défenseurs acharnés du mariage tout court...
Fragil : ...Votre prochaine tête de turc, c’est Frigide Barjot ?
Charb : Elle s’est surtout imposée à nous ; elle est présente partout et donc c’est difficile de l’ignorer. Je ne pense pas qu’elle reste très longtemps sur le devant de la scène.
Fragil : D’ailleurs c’est intéressant l’évolution du personnage ; elle était liée aussi à des mouvements satiriques.
Charb : Oui, oui, c’est pourquoi au début je pensais que c’était une blague et je crois que maintenant elle est complètement investie dans ce mouvement et qu’elle se prend très au sérieux. D’une part, elle n’est plus drôle et d’autre part, elle va se retrouver toute seule.
Fragil : Sur ce plan-là, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous, car on voit la force de ces réseaux catholiques ou d’extrême droite, elle n’est pas toute seule quand même.
Charb : Si, car on constate que les radicaux catholiques ou extrémistes se démarquent d’elle. Pour eux, c’est une traîtresse et elle essaie de se démarquer du FN, car elle voit bien que cela fait polémique.
Fragil : Toujours dans le cadre du mariage pour tous, êtes-vous solidaire avec Caroline Fourest ?
Charb : Oui, tout à fait ; on l’a d’ailleurs écrit dans le journal.
Fragil : C’est violent ce qui lui arrive et d’ailleurs, vous-même au journal, vous recevez des lettres d’insulte ou de mort par rapport à vos positions ?
Charb : Oui, on en a toujours reçu.
Fragil : Et même pour le mariage pour tous ?
Charb : Pas tellement sur le mariage pour tous, mais sur l’élection du nouveau Pape par exemple. Et bien sûr, on en a beaucoup reçu quand on avait fait nos couvertures sur l’Islam.
Fragil : À titre anecdotique, dans votre immeuble, il existe toujours un commissariat de police ?
Charb : Ce n’est pas précisément un commissariat, mais une extension de la Préfecture de police à quelques étages au-dessus de nous, qui s’occupe des amendes principalement.
Fragil : Vous-même, vous avez une protection rapprochée ?
Charb : Oui.
Fragil : Ce n’est pas trop pesant au quotidien ?
Charb : Pour ce qui est vie privée, c’est un peu chiant oui.
Fragil : Votre couverture de Charlie Hebdo du mercredi 24 avril était hilarante ; justement, avez-vous des retours parfois de politiques qui soit trouvent ça drôle ou sont carrément choqués ?
Charb : Pas directement, les seuls vrais retours que j’ai eus c’est quand je faisais mes dessins à la télévision, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel sur M6 (T’empêches tout le monde de dormir) et je me rendais compte que la plupart n’appréciaient pas du tout, j’avais souvent des réflexions peu aimables.
Fragil : Je dis cela, car vous savez bien que certains hommes politiques se targuent de lire les journaux satiriques, souvent des députés d’ailleurs sur les bancs de l’Assemblée nationale. Ils se servent même de ces médias pour faire passer leurs messages politiques.
Charb : Oui et ils se servent parfois de ces journaux pour démontrer qu’ils ont beaucoup d’humour et des fois, certains se forcent un peu, voire beaucoup. D’autres n’apprécient pas du tout, mais pas du tout notre journal à un point parfois étonnant.
Propos recueillis par Dominique Vergnes
Crédits photos :
Une de Charlie, en CC sur Flickr.
Le Canard Enchaîné, en CC sur Flickr.
Page d’accueil du site Charliehebdo.fr
Auto-portrait de Charb, avec l’aimable autorisation de son auteur
Une de Charlie Hebdo du 24 avril
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