
CINÉMA
Festival du cinéma espagnol : aux frontières du réel
De cette 23ème édition du Festival du cinéma espagnol de Nantes, Fragil a retenu quatre films où le réel se confond avec le rêve et l’imaginaire.
C’est le spectateur qui sort grand vainqueur de ce Festival. Libre de choisir par exemple les raisons du mystère qui entoure The End dans une atmosphère de science-fiction qui rend Insensibles tout aussi énigmatique. Un imaginaire malgré tout mis à l’épreuve de celui d’un ado qui peut déborder de poésie dans Animals, ou virer à la tragédie à la croisée du chemin des Enfants Sauvages. Dans tous les cas, on ne reste pas indifférent d’avoir été ainsi baladé.
The End
Rendons hommage à cette belle idée d’afficher le mot fin dès l’ouverture d’un film. Avec The End, le réalisateur, Jorge Torregrossa, fait le choix de laisser libre cours à l’interprétation du spectateur. Au risque que certains restent sur leur faim sur la fin non aboutie de cette intrigante et frissonnante histoire. Un groupe d’amis se retrouvent à la campagne. Tous attendent sans trop y croire la venue de l’un des leurs, Angel. Redouté par beaucoup, Angel devient l’objet de violentes disputes au sein du groupe. C’est lorsqu’une forte déflagration retentit dans le ciel que le temps semble s’arrêter. Plus aucun appareil électronique ne fonctionne. Plus moyen de se déplacer sauf à vélo. A la façon d’un compte à rebours, ces amis vont subitement disparaître les uns après les autres. Sans explication. Sans heurt. Sans coulée de sang. Sans temps mort. Avec un suspense haletant. A mi-parcours, les rescapés retrouveront Angel, mort dans sa voiture tombée dans un ravin. Pour tout testament, il leur a légué un livre de croquis prémonitoires sur les disparitions à venir. Que savait-il exactement ? Qui était-il réellement ? La scène d’un crash d’avion n’est pas sans faire référence à la série Lost dont le film reprend les codes de façon épurée. Si la série s’est un peu embourbée sur sa fin, The End a ce savoureux paradoxe de se terminer en restant suspendu comme en apesanteur, Jorge Torregrossa passant les commandes au spectateur qui se retrouve à devoir assumer une issue finale.
Animals
« Ne cherchez pas à comprendre », nous conseillait alors son réalisateur, Marçal Forés, présent dans la salle pour la projection d’Animals. À juste titre. On peut juste résumer son film au rêve éveillé d’un adolescent qui n’arrive pas à se séparer de son ours en peluche. N’y voyez surtout aucun lien avec le film Ted. Cet ours en peluche là a plus les traits de Flat Eric et joue de la batterie avec son ami Pol. Ce qui nous vaut une très bonne bande son rock et pimentée. Pol a 16 ans. Une petite amie qu’il n’aime pas vraiment. Sans parents, il vit avec son grand frère. Joue de la musique. Se balade dans des expos de Goya et dévore les BD de Charles Burns. Cette référence est bien la clé de voûte de tout le film. On navigue sans cesse entre l’imaginaire de Pol et la réalité. Cette confusion déstabilisante au premier regard, marque de fabrique de l’auteur Charles Burns dans ses oeuvres Black Hole ou Toxic, se retrouve dans une mise en scène à l’écran oscillant entre la comédie et le drame. En point d’orgue, la rencontre de Pol avec un jeune et mystérieux élève de son lycée. De cette première fougue amoureuse entre les deux garçons qui partagent le même univers aboutira un final poétique laissé là également à l’appréciation de chacun. A la sortie de la projo, comme après la lecture d’une BD de Charles Burns, on en ressort avec l’envie de replonger dans l’imaginaire qui emporte nos héros et de ne jamais se réveiller.
Les enfants sauvages
Quand l’adolescence tourmentée vire au drame tragique, c’est le fait réel dont s’est inspirée la réalisatrice, Patricia Ferreira. Frustrée de n’avoir jamais pu (ou voulu ?) donner d’explications à ce qui avait poussé une adolescente à commettre un parricide. Avec ce film, elle explique avoir tenté de comprendre comment on a pu en arriver là. Le résultat ne tombe jamais dans l’excès ce qui rend sa thèse autant probante que désarmante. Car le film ne sombre pas non plus dans les travers d’une éducation parentale castratrice comme on a pu le voir dans Virgin Suicides. Il montre aussi toute la difficulté du système éducatif, trituré par la volonté de certains enseignants de ne pas laisser tomber des jeunes en difficultés quand d’autres ne croient plus en eux. On touche bien là toute la complexité des causes de ce drame.
à la sortie de la projo, comme après la lecture d'une BD de Charles Burns, on en ressort avec l'envie de replonger dans l'imaginaire qui emporte nos héros et de ne jamais se réveiller
Alex, Gabi et Laura sont des ados insouciants parmi tant d’autres avec la volonté insolente de vivre selon leur humeur de chaque instant. La difficile relation parents-ado n’est pas un sujet nouveau au cinéma. Dans Les enfants sauvages, on retrouve la même scène filmée à travers le regard de ces trois ados, méthode souvent utilisée par le réalisateur Gus Van Sant, devenu maître du genre dans l’art de filmer des drames adolescents. Ici, Alex rêve de partir aux Pays-Bas où il pourra développer son art graphique de rue. Pendant que Gabi, lui, évolue dans le milieu du kick-boxing poussé par un père homophobe et infidèle. Laura, reste quant à elle fascinée par ces deux garçons allant jusqu’à accomplir une exécution sommaire et méthodique. Comme une sorte de fugue vers la liberté qu’on leur refusait.
Insensibles
À première vue, on se serait cru plongé dans Le Village des Damnés, version originale. Nous sommes en réalité à la veille de la guerre civile espagnole de 1936 dans un village qui découvre que ses enfants ne ressentent pas la douleur et se livrent à des mutilations en tout genre, cannibalisme, immolation et des meilleures. Fichtre ! Serions-nous tombés dans une Absurde Séance qui n’ose pas dire son nom ? Ces enfants se retrouvent enfermés en cellule dans une sorte d’hôpital psychiatrique tenu par des religieuses. En parallèle, de nos jours, un homme atteint d’une leucémie qu’on lui découvre après un accident de voiture doit faire appel à ses parents, seuls compatibles pour une greffe qui pourra le sauver. Le hic, ces derniers ne sont pas ceux que l’on croit. Tout le film va alors alterner entre l’évolution de ces enfants pas comme les autres durant la seconde guerre mondiale et la quête de cet homme à la recherche de ses parents biologiques. Jusqu’à un rapprochement final un peu prévisible. Au delà du choix discutable du contexte historique qui de fait nous interpelle. Comment vivre en supportant d’être un enfant de salaud ? On découvre aussi non sans étonnement que l’apparence adulte d’un enfant insensible est à s’y méprendre avec un Ingénieur échappé de Prometheus. Dans les deux cas, ils sont à l’origine de la vie. Du moins, c’est ce que l’on croit...
L’adolescence plus ou moins tourmentée a été source d’inspiration pour ces longs-métrages. Du sombre fait divers au doux rêve éveillé en passant par le genre fantastique, le retour à la réalité est à chaque fois bien cruel. Complice, le spectateur navigue d’un univers à l’autre souvent bousculé par le réalisateur qui cherche à lui extorquer une vérité loin d’être évidente voire un compromis qui permet à ces films de ne jamais s’éteindre définitivement après le générique de fin, mais qui continuent de vivre dans notre inconscient. Comme la flamme d’une bougie qui fascine et hypnotise, et que personne ne veut éteindre.
Le palmarès
Au terme de cette quinzaine, le Prix du jury Jules Verne a été décerné à Un pistolet dans chaque main de Cesc Gay, avec une mention spéciale pour Le mort et être heureux de Javier Rebollo qui a obtenu pour sa part le Prix du Jury Jeune. Le Prix du public est revenu à Miel d’oranges de Imanol Uribe. Enfin, le Prix du premier film est allé à Carmina marche ou crève de Paco Leòn, et le Prix Erasmus du court-métrage à Mon oeil droit de Josecho de Linares.
Jérôme Romain
Bloc-Notes
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