Entretien avec Frédéric Antoun
« Belmonte est le rôle de Mozart que je préfère...  »
Angers Nantes Opéra a proposé, en mars, une nouvelle production de « L’enlèvement au sérail », dans une mise en scène d’Alfredo Arias, coproduite par les opéras de Montpellier et de Liège. Vingt-trois ans après ses iconoclastes « Indes galantes » de Rameau, au festival d’Aix-en-Provence, le metteur en scène argentin propose une vision épurée et plus intériorisée du chef-d’œuvre de Mozart, dans un effacement qu’il justifie par un propos de Marguerite Duras sur la musique du compositeur (Propos publié dans un recueil d’entretiens, « La passion suspendue  », aux éditions du Seuil). Après avoir été un mémorable Ferrando dans « Cosi fan tutte » sur ces mêmes scènes en 2008, Frédéric Antoun y revient pour incarner Belmonte. Il nous accorde un entretien.
Fragil : Comment présenteriez-vous le travail avec Alfredo Arias sur cet « Enlèvement au sérail » ?
Frédéric Antoun : C’est un spectacle évocateur et contenu, qui laisse toute sa place à la musique. Le décor est très épuré pour un résultat plus spirituel que démonstratif, même si on n’a pas pu éviter tout à fait une certaine exubérance dans les scènes d’action, avec Osmin par exemple. Alfredo Arias nous a finalement laissés assez libres, pour nous permettre d’entrer dans notre propre cheminement intérieur.
Fragil : Que représente pour vous cet opéra de Mozart et quelles en sont les difficultés ?
F-A : Belmonte est un rôle qui nécessite beaucoup d’endurance, avec ses quatre airs qui exploitent tout le registre de la voix. Il est très complet, et demande de vrais aigus. C’est certainement celui que je préfère chez Mozart, exceptés Titus et Idoménée, dans des registres différents. Le personnage est très construit et équilibré, contrairement à Tamino de « La flûte enchantée », qui chante tous ses plus beaux moments au premier acte, et beaucoup moins au second. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler sur cet « Enlèvement au sérail » avec le chef Sascha Goetzel, un musicien extraordinaire, qui témoigne d’un profond respect et d’une connaissance intime des opéras de Mozart, dans une direction souple et inspirante.
Je garde le souvenir d’un être très sensible, subtil et à fleur de peau...parfait pour Mozart !
Fragil : Vous avez interprété Ferrando dans le très beau « Cosi fan tutte » proposé par Angers Nantes Opéra en 2008. Quel souvenir gardez-vous de Pierre Constant, le metteur en scène ?
F-A : C’est un souvenir formidable. Pierre Constant, artiste de scène lui-même, était très investi dans son travail. Il a présenté à toute la troupe son interprétation impressionnante du « Funambule » de Jean Genet, sur le plateau du théâtre. Cet homme de 80 ans est d’une grande intensité, il incarnait chaque personnage qu’il nous demandait de jouer, avec une force inspirante. Je garde le souvenir d’un être très sensible, subtil et à fleur de peau...parfait pour Mozart !
Fragil : Vous étiez le chevalier de La Force dans la reprise de la production de Robert Carsen des « Dialogues des carmélites » de Francis Poulenc à l’opéra de Nice en 2010. Quelles traces vous a laissées ce spectacle ?
F-A : Cette production, conçue à l’origine pour l’opéra d’Amsterdam, a été un choc. C’est un spectacle intelligent, très esthétique avec des couleurs monochromes et de magnifiques jeux de lumières, notamment dans la saisissante chorégraphie pour la scène finale. Je me souviens en particulier de cette rangée de religieuses qui symbolisait la grille du couvent et me séparait de Blanche. C’était un moment très intense à jouer. Une nouvelle reprise de ces « Dialogues » est prévue début mai à Toronto, et c’est pour moi un honneur d’en faire à nouveau partie.
Fragil : D’une manière générale, qu’attendez- vous d’un metteur en scène ?
F-A : J’attends avant tout qu’il connaisse bien l’œuvre et qu’il travaille dans le respect des chanteurs. Je suis prêt à faire n’importe quoi (ou presque) à condition que les idées soient bonnes et s’appuient sur la partition et sur chaque mot du texte. C’est essentiel ! Le metteur en scène d’opéra est d’abord un interprète de l’œuvre.
Je suis un ténor lyrique léger et j’aime avant tout chanter Mozart, à l’occasion Rossini, mais surtout l’opéra français
Fragil : Comment définiriez-vous votre voix et quels compositeurs vous procurent le plus de bonheur ?
F-A : Je suis un ténor lyrique léger et j’aime avant tout chanter Mozart, à l’occasion Rossini, mais surtout l’opéra français, Charles Gounod ou Léo Delibes, dont je vais reprendre Gérald dans « Lakmé », l’an prochain à l’opéra comique. J’adore chanter Donizetti, Ernesto dans « Don Pasquale » et serais très heureux d’aborder un jour Edgardo de « Lucia di Lamermoor ». Mais il n’y a pas que l’opéra que j’aime interpréter. L’oratorio, et en particulier Bach et Haendel, me procure aussi beaucoup de plaisir, j’aimerais en faire davantage. On peut se concentrer sur la musique seulement et il y a plus de complicité avec les musiciens, qui ne sont pas dans la fosse, mais avec qui on est sur le même plan.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
F-A : Une belle saison prochaine m’attend et chaque projet auquel je vais participer m’enthousiasme. Je serai à l’affiche de l’opéra d’Amsterdam dans « Armide » de Gluck et chanterai ensuite le Requiem de Mozart à New York avec le New York Philharmonic dirigé par Bernard Labadie, un Québécois comme moi, avec qui j’ai travaillé à plusieurs reprises et qui a fait beaucoup pour la musique dans mon pays. Je serai aussi dans « Lakmé » à l’opéra comique et reviendrai à Angers Nantes Opéra pour une version de concert des « Pêcheurs de perles » de Bizet. Je reprendrai enfin au Covent Garden de Londres le rôle du ténor dans « La fille du régiment », dans la célèbre mise en scène de Laurent Pelly. L’un de ses airs comporte neuf contre-ut mais c’est vraiment le personnage dans sa totalité que je suis heureux d’aborder, dans cette production prestigieuse. J’ai donc beaucoup de nouveaux rôles à préparer et je m’en réjouis.
Fragil : Quel est votre souvenir le plus fort dans votre itinéraire d’artiste ?
F-A : Il s’agissait de mon premier contrat de soliste professionnel. Je chantais l’évangéliste dans « La passion selon Saint-Jean » de Bach. En interprétant cette partition immense, j’ai découvert le plaisir de me livrer sur scène, de me sentir vulnérable et de partager la musique. J’ai compris que c’était là ma voie...
Propos recueillis par Christophe Gervot
Crédits photos spectacle : Jef Rabillon
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