
CINÉMA
Le Conte de la Mort
Projeté au cinéma Le Concorde par l’association Accès au Cinéma Invisible, le documentaire Into The Abyss, de Werner Herzog, est une oeuvre spectaculaire sur le traitement de la peine de mort aux États-Unis.
Les traits sont tirés sur les visages après la projection ce soir-là. Les mines sont graves. Bien que le générique de fin soit terminé depuis quelques minutes, bon nombre de spectateurs restent encore assis dans leur siège. Sonnés, abasourdis, les yeux embués, on devine des chuchotements, de longs soupirs. De Werner Herzog, réalisateur allemand, on connaît de réputation sa relation tumultueuse avec l’acteur colérique Klaus Kinski sur de nombreux tournages. Pour Into The Abyss, Herzog s’est intéressé au sort de deux jeunes détenus condamnés pour un triple meurtre aux États-Unis. Le résultat est un éblouissant déroulé d’interviews bouleversantes des proches des victimes aux deux condamnés en passant par ceux qui côtoient les couloirs de la mort au quotidien.
Rappel des faits
En 2001, Michael Perry et Jason Burkett abattent chez elle, Sandra Stotler, une jeune mère de famille aisée dans un quartier résidentiel de Conroe dans l’État du Texas pour s’emparer de sa voiture de sport. Werner Herzog intègre dans son documentaire des scènes du crime filmées par la police une fois arrivée sur les lieux. On découvre alors une grande demeure bien aménagée et fleurie, mais lorsque la caméra s’arrête sur un coin de mur et se met à zoomer... On comprend avec horreur qu’il s’agit des gouttes de sang de la victime. La caméra plonge aussitôt sur une douille de gros calibre tombée au sol. La caméra s’arrête également sur une plaque de cuisson où elle préparait des cookies. Ce plan figé montre à lui seul que la vie s’est brutalement arrêtée ce jour-là. Interrogé pour l’occasion, un policier raconte comment en observant la scène du crime et par déduction, ils ont pu remonter le fil des derniers moments de Sandra Stotler.
Pour Into The Abyss, Herzog s'est intéressé au sort de deux jeunes détenus condamnés pour un triple meurtre aux États-Unis
Un dénouement effarant
Lisa Stotler-Balloun raconte avec effroi comment, après l’annonce du meurtre de sa mère, la police lui apprend que la voiture a été retrouvée accidentée et son conducteur hospitalisé. Croyant qu’il s’agissait de son frère qui avait dû faire une embardée avec la voiture de sa mère, la description que lui en font les urgences de l’hôpital ne correspond pas. Il s’avèrera en réalité que le conducteur n’était autre que Jason Burkett ayant subtilisé l’identité du frère de Lisa Stotler-Balloun après l’avoir assassiné, lui et un de ses amis.
Le corps de Sandra Stotler a été retrouvé dans un lac à proximité de la maison. Le corps de son fils gisait quant à lui dans un sous-bois, et il semblerait que son ami ait été abattu alors qu’il tentait de s’enfuir. La police a indiqué avoir retrouvé les corps sur indications de Michael Perry et de Jason Burkett avec des détails que seuls les assassins pouvaient connaître.
Le mardi est le jour de la mort
Werner Herzog a pu aller à la rencontre des deux meurtriers. Lorsque l’on découvre Michael Perry, l’entretien qui a lieu pour le documentaire se déroule huit jours avant son exécution. C’est un garçon souriant qui apparaît à l’écran, prêt à affronter la mort. Werner Herzog commence par lui présenter ses condoléances, car son père vient de décéder. Il lui répond avec un grand sourire qu’il va bientôt aller le rejoindre. Le jour de son exécution, la fille de Sandra Stotler était présente. Elle expliquera plus tard avoir ressenti un certain soulagement. Michael Perry est entré dans la salle d’exécution un mardi à 18 h 01. Sanglé à 18 h 02. Déclaré mort à 18 h 17. Il avait 28 ans.
Au terme de deux procès distincts, Jason Burkett a été condamné de son côté à la perpétuité avec une période de sûreté de quarante ans. Dans le meilleur des cas, il devrait retrouver sa liberté en 2041. Il aura alors 59 ans. Jason Burkett, plutôt beau gosse, apparaît comme le leader qui aura entraîné dans sa chute folle un Michael Perry paumé et sans repère qui nie pourtant avoir tiré sur Sandra Stotler, son fils et son ami. Pour tenter de comprendre un tel drame, Werner Herzog est allé interroger le père de Jason Burkett, lui aussi actuellement en détention. Delbert Burkett, 57 ans, condamné à quarante années de prison notamment pour trafic de drogue, s’avère être un homme au final sensible et émotif lorsqu’il parle de son fils. Il explique qu’au moment du procès, il s’est adressé au jury lui demandant de ne pas ôter la vie de Jason en le condamnant à mort. « J’étais prêt à leur donner la mienne pour l’épargner », dira-t-il. Au moment du verdict, c’est grâce à deux voix contre huit que Jason a pu échapper à la peine capitale. Pour Delbert Burkett, cette victoire est le plus beau cadeau qu’il pouvait faire à son fils. Une façon aussi de réparer cette éducation manquée et l’image peu flatteuse d’un père absent.
Le Conte de la Vie
Into The Abyss se termine avec le témoignage de Fred Allen, capitaine dans le personnel pénitentiaire chargé des condamnations à mort. Son rôle consiste à accompagner les détenus jusqu’au terme de leur exécution. « Combien d’exécutions avez-vous effectuées jusqu’à maintenant ? », l’interroge Werner Herzog. « 125 », répond-il. « Jusqu’à deux par semaine », précise-t-il. De l’abattage. Chiffre effrayant qui montre l’ampleur du phénomène dans l’État du Texas. Fred Allen a démissionné depuis. Perdant dans le même coup ses droits à la retraite. Traumatisé par l’exécution d’une jeune femme qui l’avait remercié juste avant de mourir. Fred Allen est aujourd’hui convaincu que la peine de mort n’est en rien une réponse au crime et que la vie est trop précieuse.
La vie d'un être humain vaudrait-elle moins que celle d'un écureuil ?
La force incroyable du documentaire est de ne jamais se présenter comme un simple postulat contre la peine de mort. Malgré l’atrocité de cette affaire, Werner Herzog, compatissant avec la douleur des proches des victimes, cherche également à comprendre les motivations des deux assassins en tentant de déceler chez eux une lueur d’espoir qui nous les rend moins détestables.
Les premières images du documentaire s’ouvrent avec Richard Lopez, un aumônier qui soutient les condamnés jusqu’à leur exécution. Il explique qu’il lui arrive d’aller jouer au golf pour se détendre. Il aime y apercevoir des écureuils courir sur le terrain. Et puis son visage souriant se fige. Ému aux larmes, il explique que ces écureuils qui fuient vers la liberté lui font penser à ces condamnés à mort. Laissant le spectateur avec cette question qui le poursuivra durant toute la longueur du film, la vie d’un être humain vaudrait-elle moins que celle d’un écureuil ?
Jérôme Romain
Bloc-Notes
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