Nino Rota à Angers Nantes Opéra
Panique et course folle… à cause d’un chapeau !
Après la création française des Deux veuves de Smetana, l’année 2012 s’est achevée avec éclat sur un autre événement pour Angers Nantes Opéra ; la production d’un opéra de Nino Rota (1911-1979), Il cappello di paglia di Firenze. Peu représenté en France, il s’agit d’une adaptation de la pièce Un chapeau de paille d’Italie de Eugène Labiche et Marc-Michel (1851), récemment reprise à la Comédie Française. L’œuvre abonde en situations cocasses et absurdes. La mise en scène étourdissante de Patrice Caurier et Moshe Leiser épouse, de manière réjouissante, les affres d’une société bourgeoise, qu’un petit rien parvient à dérégler complètement. Une passionnante découverte !
On connaît davantage Nino Rota pour ses musiques de film, et en particulier ses éblouissantes compositions pour les œuvres mythiques de Frederico Fellini (La Dolce Vita) et de Luchino Visconti (Rocco et ses frères et Le guépard). On lui doit aussi quelques opéras, dont ce Chapeau de paille d’Italie, créé au Teatro Massimo de Palerme, le 21 avril 1955. En marge des modes de l’époque, la partition se révèle un bel hommage au bel canto italien, et particulièrement à Bellini et à Rossini.
Un détail qui fait tout basculer
Tout commence par la disparition d’un chapeau de paille, que le cheval de Fatinard a mangé, le matin de ses noces. L’enjeu de la pièce de Eugène Labiche et de son adaptation par Nino Rota est la recherche inlassable et très vite absurde de ce chapeau, pour le restituer à la jeune femme qui l’avait posé par mégarde à une branche, le temps de disparaître un moment dans les buissons avec son amant. Le mari est évidemment jaloux et tout se complique pour le jeune marié jugé responsable de la perte, car ce n’est pas le moment pour lui d’une telle recherche, ce jour-là. Il découle de cette situation de départ une cascade d’évènements comiques et de quiproquos, où rien ni personne ne se trouve à sa place. On songe au « nez » de Chostakovitch, d’après la nouvelle de Nicolaï Gogol, que Patrice Caurier et Moshe Leiser avaient mis en scène en 2004 pour Angers Nantes Opéra. En se réveillant un matin, un homme réalise la perte de son nez, et il part à sa recherche. Le chapeau a ici une même fonction de dérèglement et il induit un dysfonctionnement et une rupture avec l’ordre établi. Caurier et Leiser ont gardé de ce travail sur l’opéra de Chostakovitch l’utilisation de faux nez, auxquels s’ajoutent ici de faux ventres. Il en résulte des personnages factices, aux allures de fantoches, qui ont l’air tous semblables et qui, à force d’être grotesques, en deviennent malgré tout émouvants, par leur capacité à se perdre dans de tout petits détails. Le sommet est certainement la scène de la réception que la baronne de Champigny offre en l’honneur d’un célèbre violoniste. Cette baronne détient un chapeau de paille identique à celui qui a été perdu. Fadinard n’hésite pas à se faire passer pour celui que l’on attend, tandis que la noce, restée dehors, s’invite au banquet dressé dans la pièce voisine. Les méprises et les mensonges s’enchaînent à un rythme frénétique dans une véritable urgence et la mise en scène restitue ce tourbillon. La direction d’acteurs et les magnifiques décors de Christian Fenouillat, très inventifs, évoquent les travaux de l’immense Giorgio Strehler sur les textes de Goldoni. Dans Il Campiello, le metteur en scène mythique avait su caractériser, de manière géniale, toute une société, formidablement incarnée par une troupe. Celle qui est dépeinte dans ce Chapeau de paille d’Italie est la bourgeoisie naissante, dont la représentation des mensonges, de la panique et du vide, donne le vertige. Les interprètes, tous débordants d’énergie, se jettent avec ferveur dans ce joyeux désordre, réglé avec la précision d’un orfèvre.
La disparition du chapeau entraine une cascade d’évènements comiques où rien ni personne ne se trouve à sa place
Une mécanique d’horlogerie
La mise en scène imaginée par Caurier et Leiser est très physique et chacune des figures qui traverse l’action a une nécessité. Le paradoxe est que, pour raconter cet affolement généralisé de personnages qui, sans cesse, se mettent au bord du gouffre, l’enchaînement des péripéties est d’une étonnante précision. Le moindre dérapage dans une relation de cause à effet et l’adoption d’une logique souvent très subjective donnent lieu à un jeu où rien ne peut être laissé au hasard. Le résultat est étourdissant ! Le chef Giuseppe Grazioli amène les musiciens de l’ONPL à te tels sommets, par une direction inspirante et remplie de nuances, aux contours poétiques. La partition, aux réminiscences de Bel Canto, rappelle parfois les œuvres de Rossini et de Bellini. Certains airs sont brillants et la folie s’exprime aussi dans quelques redoutables vocalises, notamment celles offertes par Hendrickje Van Kerckhove, aux aigus radieux, dans le rôle d’Elena, la jeune mariée, entraînée, malgré elle, dans un rôle qu’elle ne maîtrise plus. Philippe Talbot, qui incarnait Almaviva du Barbier de Séville à Angers Nantes Opéra en 2010, est un Fadinard débordant de vie et à l’énergie communicative. C’est par lui que naît le désordre et il s’y engouffre jusqu’à la fin de l’opéra, en maintenant son cap, malgré les variations de l’action, dans une exubérance joyeuse. Sa voix épouse avec bonheur les affres de cette figure juvénile, dans un chant éclatant et raffiné, traversé d’instants de grâce. Elena Zilio, truculente et mémorable Mrs Quickly dans Fastaff de Verdi à Nantes et Angers en 2011, apporte toute sa démesure et l’étendue de sa voix à la figure haute en couleurs de la baronne. Tous contribuent à faire de cette soirée un moment rare, dont on sort heureux. On se réjouit de retrouver, dans le rôle du caporal, Guy Étienne Giot, qui avait été un médecin d’une touchante compassion dans Traviata à Metz en 2006 et un Sciarrone autoritaire et inquiétant dans Tosca à Toulon, Nantes et Angers en 2008. On souhaite retrouver cet artiste, aux graves d’une belle couleur, très vite, dans d’autres rôles. L’opéra de Nino Rota a été suivi au mois de janvier, d’une série de représentations de Vénus et Adonis de John Blow, dans une mise en scène de Louise Moaty, éclairée à la lueur de bougies : un moment de grâce, en attendant à partir du 15 mars la vision de Alfredo Arias de L’enlèvement au sérail, la promesse d’un autre évènement…
Sa voix épouse avec bonheur les affres de cette figure juvénile, dans un chant éclatant et raffiné, traversé d’instants de grâce
Christophe Gervot
Crédits photo : Jef Rabillon
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses