
FESTIVAL UNIVERCINE
Les sept œuvres de miséricorde, une invitation à la rencontre de l’AutreÂ
En marge des films diffusés au Katorza, le festival Univerciné italien organisait cette année, en collaboration avec l’université de Nantes et le CRINI (Centre de Recherche sur les Identités Nationales et l’Interculturalité) une journée d’étude sur la thématique «  filmare l’Altro  » (filmer l’Autre).
Comment filme-t-on l’Autre, l’étranger, l’immigré, celui que l’on juge différent, celui que l’on n’associe pas spontanément aux siens ou à ses pairs ? Dans quelle mesure la mise en scène cinématographique de cet Autre vient-elle consacrer les opinions d’une société ou précéder ses évolutions ? Le cinéma et la fiction peuvent-il donner à voir, à penser, à comprendre cet Autre ? En ces temps de crise où les tentations du repli communautaire et de la construction d’un bouc émissaire sont nombreuses, il apparaît de plus en plus nécessaire, comme le soulignait Christophe Mileschi, professeur de littérature italienne contemporaine à l’Université Paris Ouest Nanterre, de penser d’un point de vue critique, éthique et politique cette place de l’Autre dans nos sociétés. Les sept œuvres de miséricorde , le 1er long métrage des frères de Serio était à l’honneur de cette journée d’étude.
Penser d'un point de vue critique, éthique et politique cette place de l'Autre dans nos sociétés
Grand gagnant de l’édition Univerciné 2011-2012 (prix du Jury italien, prix du Jury lycéen et prix inter-festivals), il dépeint la rencontre entre Luminita, une jeune immigrée moldave sans papiers et Antonio, un vieil Italien malade. Cette « rencontre-collision » débute par une confrontation : celle de deux êtres à la dérive, bannis de toute vie solidaire. Luminita condamnée à errer et se cacher en attendant des papiers qui lui rendront une identité et Antonio qui économise ses derniers instants de vie dans une solitude quasi totale. Les sept œuvres de miséricorde, la toile de Caravage à laquelle le film emprunte son titre, illustre les actions que, selon Saint Matthieu, chaque chrétien doit accomplir pour racheter ses fautes : nourrir les affamés, donner à boire aux assoiffés, vêtir les dénudés, héberger les sans-logis, libérer les prisonniers, visiter les malades, ensevelir les morts. 7 actions qui constituent également les 7 chapitres de ce film.
A corps ouverts...
Massimiliano et Gianluca de Serio n’en sont pas à leur 1er coup d’essai. Ils ont déjà à leur actif plusieurs courts métrages et documentaires et un parcours jalonné de récompenses. Avec ce 1er long métrage, ils assument donc leurs obsessions, que sont l’identité, l’étranger, la marginalité, etc. Autant que leurs choix esthétiques. Les corps et les visages sont au centre de ce film, ce sont eux qui nous racontent l’histoire. Ils portent une tension dramatique qui rend superflus les dialogues. Des dialogues par ailleurs, quasi inexistants et qui laissent au spectateur un espace pour se projeter. Si le langage est le propre de l’homme, les personnages de ce film, eux, sont quasiment muets. Luminita peine à s’exprimer en italien qui n’est pas sa langue maternelle et Antonio économise ses paroles qu’une trachéotomie rend très difficiles à prononcer.
La communication est ailleurs, dans les gestes, les regards. A l’inverse de l’effervescence du monde actuel et de la surabondance d’informations à laquelle nous sommes habitués, ce film apparaît comme une pause, un ralenti. Peu de mots, une bande son comme paysage sonore, des gros plans, des temps longs. Un huit clos dense où l’émotion et l’indicible prennent toute la place. Avec ces corps, toujours ces corps : fragiles et durs, nus et abîmés. Filmés en gros plan, sans fioriture ni ménagement. Ces corps au cœur de l’intrigue et de la rencontre, ces corps dans l’intimité de la maladie et de l’errance, ces corps qui deviennent objets de miséricorde. Et toujours en filigrane, le clair-obscur, l’absence de jugement, la question ouverte. Et vous, vous en pensez quoi de tout ça ? Vous le ressentez comment ? Vous y comprenez quoi ?
Ces corps au cœur de l'intrigue et de la rencontre, ces corps dans l'intimité de la maladie et de l'errance, ces corps qui deviennent objets de miséricorde
L’adolescente moldave qui tente malgré elle d’aider Luminita et qu’on retrouve en gros plan vers la moitié du film, semble également nous interroger du regard. Sans complaisance. Nous, spectateurs que les réalisateurs souhaitent actifs. Nous, spectateurs de ce film et acteurs de la société. D’une société où la crise persistante produit chaque jour de nouveaux exclus, de nouveaux marginaux, autant d’Autres, auxquels on répugne à s’associer et qu’on emmure dans le silence et l’indifférence. C’est un beau cadeau que celui que nous ont fait les frères De Serio avec ce film : « Une pensée qui prend forme, autant qu’une forme qui donne à penser » comme le remarquait Christophe Mileschi, citant Godard. Mais ce don suppose un devoir. Celui d’une réflexion plus large sur notre rapport à l’Autre et ce qui fait notre humanité.
Si vous souhaitez en savoir plus ou entendre les différentes interventions, toutes très intéressantes, de cette journée d’étude, des podcasts sont disponibles sur le site d’Eur@dioNantes
Elise Jaunet
Crédits photos : Carlo Cagnasso
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses