
INTERVIEW
La fine équipe : au four et aux platines
Tapoter le vinyle, c’est le job des beatmakers de la Fine Equipe. Soul, hip-hop ou électro, ils mixaient tous les styles au TNT le 12 février. Ils se sont confiés sur leurs débuts, le festival Hip Opsession, les albums La Boulangerie 1 et 2. Interview d’une équipe où les blagues tournent en boucle.
Fragil : Dans le hip-hop français old school, il y a deux écoles qui s’opposent : Paris et Marseille. Comment un Parisien et trois Marseillais se sont retrouvés ensemble ?
Mr Gib : C’est une formation d’ingénieur du son qui nous a regroupés. Blanka et moi nous sommes montés à Paris pour faire une formation dans une école de son. C’est là que nous avons rencontré Chomsk. Nous étions dans la même promo. En fait nous sommes trois sur quatre à sortir d’école d’ingénieur du son et trois sur quatre, pas les mêmes, à venir de Marseille.
Chomsk : À l’époque j’avais des groupes de rock et j’ai appris la production vraiment hip-hop avec ces gars-là.
Fragil : Comment est né le groupe ?
Mr Gib : En fait au tout début Blanka et Oogo étaient ensemble sur Marseille. Ils avaient des émissions de radio, ils faisaient vivre le monde du hip-hop sur Marseille. Moi quand je les ai rencontrés, je faisais une formation sur Aix-en-Provence. Ils ont changé ma façon de voir les choses, du coup j’ai fait de la radio avec eux, et puis on s’est dit « c’est la musique qui nous intéresse ». On est allé encore plus loin, du coup nous avons eu envie de devenir ingénieur du son et c’est là que nous avons rencontré Chomsk.
Fragil : Pourquoi ce nom la Fine Équipe ?
Chomsk : Pourquoi pas. Parce qu’on ne s’est jamais pris au sérieux. Nous espérons ne jamais nous prendre au sérieux et avec un nom pareil nous sommes obligés de rester second voire troisième degré.
Fragil : Un rapport avec la fine équipe du 11 ?
Mr Gib : On aime bien Dieudonné mais aucun rapport avec lui. La Fine Equipe c’est un peu comme une expression Marseillaise du style : (avec l’accent) « Tiens regarde, il y a la fine équipe qui arrive ».
Chomsk : C’est l’équipe de bras cassés. Et puis il y a la notion de crew à la française comme Wu-tang Clan.
Fragil : En tant que beatmakers, que pensez-vous de Jimmy Jay, parrain de Hip Opsession cette année ?
Mr Gib : C’est un gars à l’ancienne. Il a fait les Cool Sessions, des supers beats, il a vraiment été un bon producteur. Aujourd’hui on en n’entend plus trop parler. Mais c’est un gars que je respecte grave au même niveau que Dee Nasty, Crazy B, Sydney. Des gars qui ont fait en sorte qu’on entende parler du hip-hop plus largement.
Mr Gib : La Fine Equipe c’est un peu comme une expression Marseillaise du style : Tiens regardes, il y a la fine équipe qui arrive
Fragil : Quelles sont vos références en tant que beatmakers ?
Chomsk : Pour moi c’est Madlib.
Mr Gib : Moi c’est des gens qui m’ont beaucoup marqué, DJ Shadow et DJ Krush.
Oogo : Et moi Oogo, le boss un peu de la Fine Equipe (rires), le plus important, Jay Dee ou J Dilla.
Chomsk : Ouais en fait moi j’écoute du hip-hop grâce à Jay Dee, Madlib, sinon je n’en ai rien à foutre (rires).
Fragil : Et vous avez eu l’occasion de les rencontrer ?
Chomsk : Jay Dee, nous l’avions vu au Nouveau Casino, à Paris. Je crois que c’était son dernier concert. Et c’était l’un des concerts les plus marquants que j’ai vu. Il était arrivé en chaise roulante, tel Moïse avec le public qui s’est séparé en deux comme la mer rouge pour lui faire une allée. Et puis le public l’a porté sur scène. C’était incroyable.
Oogo : Il était vraiment en phase finale le pauvre.
Mr Gib : Et il a défoncé le rappeur qui était debout sur scène.
Chomsk : Il y avait un peu toute la clique de Stones Throw à l’époque et moi je garderai vraiment cette image en tête jusqu’à la fin de ma vie.
Fragil : Pourquoi avoir choisi le TNT pour votre concert ?
Oogo : Nantes est une ville où il y a beaucoup de choses qui se passent. Beaucoup de connexions dans le hip-hop et dans ce qu’on fait. Et finalement nous n’avons pas joué tant que ça à Nantes. Nous devrions jouer plus que ça à mon avis parce que nous avons pas mal de connexions ici : C2C, David Le Deunff, le chanteur de Hocus Pocus, Elodie Rama, etc.
Fragil : Et qu’avez-vous pensé du public Nantais ?
Oogo : C’est mardi, ça a mis du temps à démarrer. Mais dans l’idée, c’était un concert où les gens sont venus nous voir parce que c’était quasiment que nous. Donc ça fait plaisir de voir qu’il y a des gens qui sont là, qui connaissent les morceaux. On s’est bien régalé. Les gens sont venus nous parler après, à chaque fois que nous venons là c’est une putain d’ambiance.
Fragil : En quoi le festival Hip Opsession était important pour vous ?
Oogo : Il n’était pas vraiment important je t’avoue (rires). Non, pour nous, ce qu’il y a de génial c’est qu’à Nantes il y a une vraie scène, un truc particulier avec le hip-hop et en plus du bon hip-hop. Comme à une époque, pour nous c’était Marseille l’endroit. Après on vient de là-bas donc ça facilite le truc. À une époque à Paris c’était fort. Paris reste un endroit important mais je trouve que depuis quelques années il y a un bon délire à Nantes. C’est en ça que c’était bien pour nous. Dans le sens où j’ai vu la programmation il y a un mec de la Fine Équipe qui rejoue bientôt, c’est Blanka avec Fade qui font Jukebox Champion. Donc on se sent bien on est dans notre élément.
Fragil : Autrefois, les beatmakers étaient un peu dans l’ombre. Aujourd’hui ils sont autant mis en lumière que les rappeurs...
Oogo : C’est une période où c’est vrai, on en parle plus. Pour moi, c’est peut-être parce que je suis dans ce milieu, j’entends beaucoup moins de nouveaux noms de nouveaux rappeurs cools que de noms de beatmakers. Je parle mondialement. C’est une bonne période, les mecs n’arrêtent pas d’innover, et c’est génial pour ça.
Oogo : À Nantes il y a une vraie scène, un truc particulier avec le hip-hop et en plus du bon hip-hop
Fragil : Qu’est-ce qui vous a poussé vers le beatmaking ?
Mr Gib : Moi je viens du scratch. C’est le scratch qui m’a donné envie de faire des productions pour scratcher dessus puis une fois que tu as commencé à faire ça, tu te dis : « je vais aller un cran plus loin », puis encore un peu et au bout j’ai fini ingénieur du son, beatmaker.
Chomsk : Moi c’est le fait de pouvoir faire une track tout seul de A à Z, sans personne, qui m’a séduit en premier. Le beatmaking, ce qui est super intéressant, c’est que tu te nourris de tout ce qui est autour de toi, de toutes tes inspirations. Tu arrives à faire une synthèse de tout ça pour créer tes propres morceaux.
Oogo : À la base, je faisais du scratch. Nous nous sommes rencontrés autour de ça. Nous avons été un groupe de DJs. On kiffait le hip-hop, on a kiffé d’autres musiques avant étant plus jeunes. Nous ne venons pas de Harlem non plus, on n’a pas grandi dans la soul et le hip-hop. Mais nous avons chacun des influences un peu différentes. Nous nous sommes retrouvés en 1999-2000. Nous avons commencé à faire du scratch et nous étions à fond dans ça, pour nous c’était le nouvel instrument qui allait révolutionner la musique. C’était hyper underground à l’époque. Au fond ça l’est toujours, sauf qu’il y a des groupes comme C2C, Birdy Nam Nam qui sont mis en lumière. Mais Qbert et tout ce style-là, vraiment le scratch pur, c’était hyper underground. C’était un délire à l’époque de se retrouver, de se déplacer à 200 km pour aller voir des gars parce que tu avais entendu qu’il y avait des DJs qui scratchaient. Gib, on s’est rencontré comme ça. Il n’était pas loin de Marseille et j’étais avec Blanka à l’époque. Nous cherchions à faire des groupes et rencontrer des gens qui faisaient la même chose que nous.
Mr Gib : C’était tellement rare de trouver des gars avec qui tu pouvais partager ça. Le fait de scratcher tout seul 5 heures par jour dans ta chambre.
Oogo : On créait des drums, des basses, on revoyait des sons, des samples, on jouait avec des vinyles... C’était hyper excitant parce que c’était tout nouveau, c’était un son futuriste pour nous. Après le beatmaking, ça m’est venu parce que pour aller toujours plus loin dans la production j’avais envie de faire mes sons et forcément tu te mets à produire et tu achètes des samplers, des MPC, des SP 1 200. Au début nous avons produit des rappeurs, peu à peu c’est devenu plus instrumental et puis nous nous suffisions à nous-même.
Fragil : Justement qu’est-ce que vous utilisez comme matériel ?
Oogo : Guitare, basse, batterie quoi (rire).
Chomsk : Nous utilisons des samplers classiques, les MPC, SP 1 200, et puis maintenant nous sommes sur Ableton.
Mr Gib : En fait nous avons des machines pour le grain, qui restent à la maison. Et puis après nous possédons des machines avec lesquelles on voyage : ordinateurs, contrôleurs. À la maison nous laissons les samplers un peu plus classiques.
Fragil : D’ailleurs lors du concert vous avez eu un petit souci ?
Mr Gib : Ouais mon cross fader de ma table de mixage ne fonctionnait plus. Je me suis démerdé pour faire en sorte de scratcher avec un de mes faders à la place de mon cross fader. C’est pour ça que j’avais une position un peu particulière.
Oogo : C’est comme si un boxeur perdait un bras pendant un match et continuait le match et gagnait à la fin.
Mr Gib : Ou un photographe qui n’a plus son déclencheur. C’était nouveau. Mais il n’y a pas grand monde qui s’en est rendu compte.
Fragil : Quels styles de musique samplez-vous le plus ?
Chomsk : Nous samplons beaucoup de choses en fait, nous n’avons pas de limites. Nous aimons plein de styles de musique, donc par exemple pour La Boulangerie 2, on s’est dit que l’on samplerai les musiques de ces 50 dernières années. Ça va du rock au funk, soul, jazz… Tout est bon a sampler en fait. Il n’y a pas un courant musical qui est plus important qu’un autre. Je pense que tout est bon à prendre : le rockabilly, la polka, etc.
Chomsk : Il y a La Boulangerie 3 que nous sommes est en train de préparer pour la fin de l’année. Après nous passerons à la boucherie
Fragil : Quel est le lien entre les sons et les noms des titres des albums La Boulangerie 1 et 2 ?
Oogo : Le lien n’est pas direct mais tu donnes le nom d’un truc que tu adores bouffer qui te fait penser à ton son. Et donc chaque nom de pâtisserie c’est un truc que tu aimes bien. Je sais que les gars n’ont pas choisi les noms au hasard. Je dis n’importe quoi mais si tu as un son hyper soul, il y en a un qui s’appelle tarte au sucre ou une connerie comme ça (rire). Voilà ça te fait penser au truc un peu sucré, sensuel. Pour moi la musique c’est aussi de la bouffe.
Mr Gib : Sur La Boulangerie 1 il y a même les recettes.
Fragil : Est-ce que vous comptez refaire un album avec des noms de pâtisseries ou de viennoiseries ?
Chomsk : Ouais, il y a La Boulangerie 3 que nous sommes en train de préparer pour la fin de l’année. Voilà c’est une info que je lance comme ça, tu en fais ce que tu veux (rires).
Oogo : Déjà il va y avoir un EP pour commencer. Nous allons faire un EP/mini album La Fine Equipe d’ici 2-3 mois. Et à la rentrée probablement une Boulangerie 3. Après nous arrêterons je pense avec les boulangeries.
Chomsk : Nous passerons à la boucherie.
Mr Gib : La chevaline parce que c’est tendance.
Fragil : La Boulangerie, d’où vient le nom ?
Mr Gib : C’est un hommage à Jay Dee. Il avait fait un album qui s’appelait Donuts. Un peu avant que l’on sorte La Boulangerie. Quand il est décédé, nous nous sommes dit qu’il faudrait rendre hommage à ce gars-là.
Oogo : L’album Donuts qu’il a fait juste avant de mourir c’est la suite de ça, à la Française. Nous invitons les potes qui font ces sons-là et c’est tout autour du sample.
Fragil : La Boulangerie 3, ce sera sur le même format que les précédentes, une trentaine de musiques…
Chomsk : Sérieusement, nous ferons des morceaux un peu plus longs, plus complexes. Être un peu moins juste dans l’esprit de la boucle, du sample tout simple. Avec un peu moins d’invités aussi. C’est ce qui nous faisait kiffer en fait il y a 5-6 ans, mais les choses ont évolué. Depuis un an que nous tournons, nous arrangeons nos morceaux pour les lives. Mais c’est compliqué d’arranger les morceaux en live parce que ce sont des beats qui n’ont pas vraiment de début, pas vraiment de fin. Ce sont juste des boucles. Et en live, c’est moins électrisant.
Fragil : Pour finir Pain au chocolat ou Croissant aux amandes ?
Chomsk : Pain au chocolat évidemment parce que c’est moi qui l’est faite.
Mr Gib : Pain au chocolat.
Oogo : Croissant aux amandes.
Propos recueillis par Yann Clochard
Photos : Misteur Mad
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