INTERVIEW
Jimmy Jay : «  le rap est devenu un peu plus brut  »
Un précurseur aux platines. Jimmy Jay s’est retrouvé sur le devant de la scène hip-hop à 20 ans, en produisant le premier album de Mc Solaar. Après des années de productions et de découvertes de talents, le mixeur s’était écarté de la musique. De retour comme parrain de Hip Opsession 2013, il s’investit encore pour le plaisir. Entretien avec un fan de rap.
Fragil : Comment êtes-vous entré dans le monde la musique ?
Jimmy Jay : J’étais très jeune. C’était en Espagne. J’avais acheté mon premier sampler [1]à 16 ans, l’époque où j’ai commencé le scratch [2]. J’ai débuté en boîte, mais je n’avais pas le droit, vu que j’étais mineur. Je faisais croire que j’avais 18 ans. C’était le bordel ! Je me suis retrouvé dans des grosses boîtes à Paris. Et à force de passer les disques des autres, j’ai eu envie de faire les miens. À 17 ans, j’ai commencé à enchaîner les pass-pass [3]. Avec les potes, on passait la journée à faire du pass-pass aux platines et on calait les morceaux bout par bout. Dès qu’il y avait une erreur, il fallait tout recommencer. Ça pouvait prendre trois jours pour faire une boucle. Jusqu’au jour où le sampler S900 est sorti et là « ting » ! Le petit bouton en bas à droite faisait la boucle toute seule.
Fragil : Vous avez commencé par mixer, et vous devenez même champion de France DMC (Disco Mix Club). Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie ?
J.J : À mes 17 ans, j’ai enregistré trois titres. Puis j’ai remporté le championnat DMC en 1989. L’année où j’ai gagné, je me suis retrouvé à tourner dans pas mal de salles avec une bande de potes. On avait beaucoup d’invitations, on faisait des « Open Mic ». Il y avait du monde, connu ou pas, et des styles différents : rap, reggae… J’ai rencontré Mc Solaar en 1989 et j’ai acheté un petit sampler. C’était les premiers samplers, avec un son pourri, mais qui coûtait une fortune ! Les boucles que je faisais à la main, là, on les a faites à la machine. C’était plus carré. Et sont nés les titres Caroline, Bouge de là. Ce qui s’est passé c’est que j’ai arrêté le côté DJ, car Bouge de là est devenu rapidement un tube. J’ai enchaîné avec les « Cool Sessions » qui ont bien marché. Et je me suis retrouvé à tourner entre Mc Solaar et les « Cool Sessions ». Dans les petites salles ou les grandes, non-stop. C’était la folie ! Je n’avais pas une seconde. J’ai fait le Championnat du monde de DMC à l’époque. J’ai fini huitième ou neuvième. Je suis tombé contre Cutmaster Swift (champion du monde de DMC 1989). C’était les années bien balèzes. Le DJ Belge, Daddy K produisait Benny B à ce moment-là et a avait fait un tube Vous êtes fous !. Un truc pas terrible, mais drôle. Il m’a envoyé une photo il y a deux jours. Il posait avec Beyonce.
Fragil : Début des années 90, vous étiez l’un des premiers en France à utiliser le sample. Jusqu’au jour où les artistes et les maisons d’édition s’en sont rendues compte...
J.J : Ça existait déjà depuis un moment aux USA. Biz Markie était un des plus gros sampleurs. Il cartonnait, c’était le Solaar de l’époque aux USA. Il a failli aller en prison. On ne lui a jamais rien dit et puis d’un coup, il sort un nouvel album et on lui bloque. Son label « Cold Chillin’ » a fait une perte énorme et a failli couler à cause de lui. Le rap de l’époque, ils ont tous pris dans le James Brown. C’était la course à qui trouverait le James Brown que personne n’a ! Dans les années 90, on ne connaissait pas le sample en France. On était une dizaine de groupes de rap à avoir compris le truc et à en faire. Puis ça s’est démocratisé en 2000. Ils ont vu que ça générait beaucoup d’argent. Un jour, j’étais chez M6 et je ne sais pas pourquoi je me suis mis a raconté ça. Je m’en souviens c’était avec Laurent Boyer qui m’a dit : « Comment tu as fait Bouge de là ? ». Et là, je sors l’histoire du sample, que personne ne connaissait à cette époque. Et c’est passé. Mais j’ai dit ça en 1991. Et petit à petit des gens ont compris. Certains m’ont appelé et ont voulu faire pareil, et là on est parti dans… eh bien un procès (rires). La maison de disque s’est réveillée, les auteurs et compositeurs également. C’était un groupe de soul, Cymande, le titre The Message. Maintenant, c’est réglé. Dernièrement, j’en ai fait un et je me suis fait griller direct. Il ne faut pas oublier qu’on est en France. Le problème c’est que le temps que tu demandes aux Français, qu’ils demandent aux Américains, lesquels demandent à la famille… Souvent, j’ai raté de supers titres à cause de ça. J’ai voulu déclaré deux, trois fois des samples. Mais on n’obtient pas l’accord des artistes facilement.
J’étais très rap américain, Dr Dre, le début du côté New York avec Wu-Tang Clan… Je n’écoutais que ça
Fragil : Qu’est-ce qui vous a attiré plus vers la production d’albums de rap ?
J.J : C’est ce que j’aimais écouter. À l’époque, c’était vraiment une musique qui me plaisait. J’étais très rap américain, Dr Dre, le début du côté New York avec Wu-Tang Clan… Je n’écoutais que ça.
Fragil : À quel moment la musique est-elle devenue un business rentable pour vous ?
J.J : Ça le devient quand on en parle. C’est rentable quand les gens te demandent. Avant je faisais le DJ à droite, à gauche, mais pour pas grand-chose. Ça a commencé après. C’est passé par les concerts. Plus il y avait de la visibilité, de la promotion, plus les concerts se vendaient cher.
Fragil : Vous avez gagné au loto une importante somme plus jeune, ça a été un gros tournant ?
J.J : Alors ça, c’est la question qui revient à chaque fois (rires). C’est ce qui m’a permis d’acheter un sampler (le S1000) et d’acheter un local pour enregistrer le premier album de MC Solaar Sème le vent récolte le tempo et les Cools Sessions. Les groupes avaient tous un certain talent, mais ils n’avaient pas d’endroit où travailler, ni de studio pour enregistrer. Ça m’a permis d’avoir la base de travail.
Fragil : Comment en êtes-vous arrivé à rencontrer Mc Solaar, un des artistes les plus reconnus que vous avez produit ?
J.J : On s’est croisé pas mal de fois et on avait un ami en commun qui nous a présentés. J’aimais bien ses textes. J’étais tombé sur Bouge de là, qui était un peu reggae à la base. Et puis on a fini dans le studio à bosser ensemble. Ça a accroché des deux côtés : lui aimait bien la musique, moi j’aimais bien ses textes. On a sympathisé puis on a fini chez ma mère, dans la cave, à enregistrer. Avant de gagner ce fameux loto et d’avoir un local.
Fragil : Que pensez-vous de l’évolution de la carrière de Mc Solaar ?
J.J : Il a fait un choix artistique qui était autre que le mien. Je l’ai laissé faire ce qu’il avait envie. C’était un choix réel et bien décidé de sa part. Moi j’accrochais moins, c’est pour ça que j’ai décidé de ne pas participer à la suite.
Fragil : Les Sages poètes de la rue que vous avez produits ont eu aussi du succès. Ils travaillent sur un nouvel album. Vous allez y jeter un œil lorsqu’il sortira ?
J.J : J’écoute tout des « Sages Po’ » : Zoxea, Mélopheelo et Dany Dan. Quand j’ai produit le 1er album des « Sages Po », pour moi c’était A Tribe Called Quest ». Et je suis un grand fan de A Tribe Called Quest. C’était l’époque du rap jazz et le groupe était dans le même esprit, c’est ça que j’aimais chez eux. Je les ai toujours suivis, on est encore en bons termes.
Fragil : Vous êtes toujours dans le hip-hop. Qu’est-ce que vous faites à présent ?
J.J : Je fais toujours du son. Je suis compositeur. Je me suis enfermé pendant 4 ans. J’ai eu ma petite fille donc je m’en suis beaucoup occupé et j’en ai profité pour travailler ma musique. La réalisation de la musique a beaucoup changé. On est passé des bandes aux ordinateurs. Ça évolue tellement vite qu’il a fallu reprendre les bases du départ pour apprendre à se servir un peu de tout. Et surtout trouver de nouvelles idées c’est le plus dur (rires).
MC Solaar ? On a sympathisé puis on a fini chez ma mère, dans la cave, à enregistrer
Fragil : Comment vous êtes-vous retrouvé parrain de Hip Opsession 2013 ?
J.J : Les gens sont cools et ça fait plaisir d’être invité en tant que parrain. Nico (ndlr : Nicolas Reverdito, directeur de Pick-up production), a essayé de me joindre il y a trois ans. Mais j’étais dans d’autres affaires. J’avais un restaurant, une boîte de nuit et pas beaucoup d’actus côté musique. Il est revenu vers moi il y a 6 mois. Comme je commençais les Cool Sessions 3, ça tombait bien pour associer nos forces. En France, c’est compliqué de faire bouger les choses. J’ai accepté, car le rap français n’a pas vraiment une bonne image. Et avoir des gens comme Nico c’est important. Sans eux, il ne se passerait rien. La culture hip-hop serait moins appréciée. À mon âge (41 ans), je ne vois pas les choses comme les autres. La part plaisir est aussi importante que la part boulot. Je suis quelqu’un qui marche au coup de cœur. Quand ça se passe bien, j’y vais à fond et quand ça se passe mal je ne fais rien. Même si c’est la meilleure chose du monde. On a qu’une vie comme je dis, faut la vivre correctement (rires).
Fragil : Vous avez déjà coché certains spectacles auxquels vous allez prêter plus d’attention ?
J.J : Le truc c’est que j’aimerais bien aller à tous, mais je n’aurais pas le temps malheureusement. J’ai vu qu’il y avait une soirée spéciale Tribe Called Quest, avec DJ Chilly jay, Dj Premier… Et puis il y a les championnats de danse et de beatmaking.
Fragil : Votre venue, c’est aussi l’occasion de promouvoir votre prochain disque, les Cool Sessions 3.
J.J : On fait un tremplin pour jeunes talents. Le but c’est de leur mettre le pied à l’étrier. On a mis des musiques instrumentales sur YouTube et les jeunes se servent. Ils font une maquette et nous l’envoient par mail. On en a retenu 13. Mais d’autres maquettes arrivent encore alors que le choix est déjà fait. On a reçu 1200 maquettes en trois ans. Et les 13 qu’on a gardées seront à All School Party pour présenter les Cool Sessions 3 en exclu, le 2 mars à La Carrière. L’album, lui, est prévu pour mai, si j’arrive à le finir dans les 15 jours.
Fragil : Qu’est-ce qui a changé pour vous, comparé aux années 90, dans la sphère hip-hop ?
J.J : Les styles musicaux. Avant il y avait plus de variété dans le rap : plus de jazzy, de soul… Aujourd’hui c’est du rap plus hard un peu genre East Coast, West Coast. Le rap est devenu un peu plus brut.
Fragil : En parlant de brut, que pensez-vous de la rivalité entre Booba, La Fouine et Rohff ?
Pour les Cool Sessions 3, on a reçu 1200 maquettes en trois ans
J.J : Quand on joue avec le feu, à un moment ça nous retombe dessus. Le mec il dit que c’est un gangster depuis 10 ans. Moi le jour où j’ai fait le crime j’ai failli me faire buter dix fois (rires). C’est les fans le problème aussi, leur état d’esprit. Ils défendent ceux qu’ils aiment et rentrent dans une sorte de fanatisme. Mais ça fait aussi partie du jeu, du rap game comme ils disent.
Propos recueillis par Yann Clochard
Crédits photos :
Photo 1 : Solidays - 10 ans - MC Solaar par evymoon CC
Photo 2 : CD par Jetalone CC
Photo 3 : DJ Premier par Xi WEG CC
[1] Le sampler : échantillonneur de sons
[2] Scratch : désigne une technique visant à modifier la vitesse de lecture d’un disque vinyle à la main pour obtenir un son différent.
[3] Manipulation de plusieurs vinyles permettant de créer une rythmique différente.
Bloc-Notes
-
«  Chasse fermée  » remporte le prix du public au palmarès d’Univerciné 2013
-
Hellfest 2013 : Fragil prend refuge dans le nid des enfers
-
La 7ème Vague ouvre le bal des festivals
-
Le sculpteur Yonnais Pierre Augustin Marboeuf expose à Nantes pour la première fois
-
Edito du 12 avril 2013 : du fond des abysses