
EXPO PHOTO
Ces Go qui nous mettent KO
L’espace Cosmopolis présente jusqu’au 9 février l’éblouissante expo photo «  Go de nuit  » signée Eliane de Latour. Une visite dont on ne se remet pas.
Si l’on devait réfléchir à la question « qu’est-ce que le féminisme aujourd’hui ? », l’exposition d’Eliane de Latour y apporterait sans conteste une réponse cinglante pour sa défense. Focalisés sur certains pays islamistes gangrénés par des intégristes bafouant (euphémisme) allègrement les droits les plus élémentaires des femmes, les médias en oublient d’aller observer ce qui se passe dans des pays voisins. C’est le cas de la Côte d’Ivoire dont on rappellera sommairement que l’actuel président, Alassane Ouattara, fut déclaré vainqueur contre Laurent Gbagbo dans les mêmes conditions que ce que l’on a connu récemment avec l’UMP. Et tout comme Copé-Fillon, les deux s’auto-proclamèrent président et nommèrent chacun leur premier ministre et leur gouvernement. Jusqu’à ce que la mascarade soit interrompue en avril 2011 avec l’arrestation de Laurent Gbagbo par l’armée française.
Fuyant une vie familiale noyée dans la précarité crasse, l'argent que leur procure la vente de leur corps leur donne cette illusion de liberté
Qui sont ces Go ?
Dans la capitale économique Abidjan, on appelle Go ces jeunes filles prostituées d’à peine 25 ans. Au même titre que les filles venues de l’Europe de l’Est, les Go se cherchent un eldorado. Fuyant une vie familiale noyée dans la précarité crasse, l’argent que leur procure la vente de leur corps leur donne cette illusion de liberté. Mais la descente vers la réalité comme après la prise d’un mauvais acide est bien souvent tragique.
Une lutte au quotidien
L’exposition « Go de nuit » à l’espace Cosmopolis s’ouvre avec des premiers clichés pris dans le quotidien de ces filles. On les voit tour à tour dans leur intimité, au milieu des baraques de la ville entre gravas et taudis. C’est la seule fois aussi où l’exposition nous montre des hommes. Empêtrés dans la violence et la drogue, les garçons passent leur temps à se battre. Dans ce climat machiste et polygame, les femmes sont oppressées et obligées de se prostituer avec pour seule arme de défense au mieux une lame, au pire des cailloux.
Jamais de désespoir dans le regard, toujours une belle lueur d'espoir
De la beauté et de la dignité
Malgré la dureté de cette situation, Eliane de Latour nous montre des portraits de femmes d’une incroyable beauté. De grands yeux en amande, des foulards et des robes aux couleurs chatoyantes, parfois des sourires et même des fous rires. Jamais de désespoir dans le regard, toujours une belle lueur d’espoir. Des jeunes femmes toujours dignes. C’est ce qui crée leur force. Le spectateur découvre parmi les clichés des petits textes encadrés pour le guider. Des citations, des explications, des légendes. Et pénètre dans une arrière salle où d’immenses portraits trônent sur des cubes blancs. Positionnés en épis, on se perd facilement au milieu de ces visages qui nous observent, cherchant dans chaque regard la pensée qui les traverse au moment de la prise.
5 euros la passe
A l’étage de Cosmopolis, Eliane de Latour nous invite à entrer à l’intérieur d’un hôtel de passe d’Abidjan. Le « Bel Air ». Sordide. A côté de cette impressionnante photo gueule béante ouverte sur un escalier ocre et une chambre meublée d’un matelas posé à même le sol, Eliane de Latour y a affiché pour seule légende les tarifs pratiqués par les Go. Sans aucune autre indication, le spectateur est ainsi mis au pied de ce mur face à l’horreur d’une existence qui ne nous est pas épargnée. Après la fascinante impression de proximité qui suit la visite des portraits de ces jeunes filles, la violence avec laquelle on prend alors conscience de leur situation montre bien toute la portée du travail de la photographe.
la violence avec laquelle on prend alors conscience de leur situation montre bien toute la portée du travail de la photographe
Un sacrifice humain
L’exposition se termine avec des clichés de nuit. Les Go en tenue de soirée, robes colorées et cintrées mettent leurs formes galbées en valeur, n’oubliant jamais qu’elles sont là pour se vendre. Avant de quitter la salle, Eliane de Latour a affiché un dernier texte en hommage à Ramatou et Djenaba. Deux jeunes filles mortes noyées une nuit de 2010. Elles avaient pris la mer sur une embarcation de fortune où d’habitude elles finissaient par être ramassées par des pêcheurs qui les montaient ensuite sur de grands navires étrangers où les attendaient une clientèle de marins grecs, français ou russes... Seulement cette nuit là, elles qui ne savaient pas nager n’ont pas été sauvées. Deux jours après on retrouva le corps mutilé de Djenaba sur une plage. On lui avait coupé la tête et les seins. Une commande pour un sacrifice comme on dit là bas. Où les plus vulnérables (enfants, femmes enceintes et albinos) sont les plus touchés. Comme le faisait remarquer cette femme arpentant les allées de Cosmopolis : « c’est magnifique. Quel dommage que ce ne soit pas plus fréquenté. » Fragil est là pour y remédier.
Jérôme Romain
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