
REPORTAGE
Une maison de quartier en Tunisie
Le projet de l’association Kairouan les Lumières, créer une maison des habitants dans le quartier populaire de Dar El Amen, symbolise un fort enjeu de société dans la Tunisie actuelle ; celui de la reconstruction démocratique. Fragil est parti en reportage et en ateliers pendant une semaine en novembre 2012. A l’occasion des deux ans de la révolution tunisienne, focus sur cette maison de quartier.
Tout part d’un rêve. D’une révolution. De pouvoir rebâtir dans cette Tunisie de l’après une société civile forte et cohérente ; que chacun puisse prendre la mesure d’être citoyen dans un pays libéré du joug d’un régime autoritaire en place depuis 1987. Un exemple fort est le droit d’association.
La figure du citoyen est centrale, on l’a vu il y a deux ans. Le 14 janvier. Le citoyen s’engage pour défendre les intérêts collectifs. D’ailleurs, dans les jeunes rencontrés pendant notre semaine de reportage à Kairouan, beaucoup font partie ou sont en train de créer leur propre association : Ninja (pseudonyme de rappeur) participe au Pont des Arts. Imen, Amal ou Marwann sont membres de Kairouan les Lumières et les exemples sont nombreux. Effectivement, l’envie est forte de se retrouver en collectif pour créer, imaginer, participer, construire... l’important, c’est le groupe. Pour ces jeunes, la vingtaine souriante, le collectif donne une bouffée d’air alors qu’il n’est sans doute pas toujours évident de trouver un emploi qualifié, malgré des études supérieures. D’autres, aux profils plus artistiques, trouvent dans l’association une possibilité évidente de rencontres et de diffusion culturelle au niveau local.
Dans cette émulation et cette envie forte de créer, les artistes se croisent et les pratiques passent au second plan. Exemples : toujours ce rappeur Ninja, est également acteur ; un autre jeune est cinéaste, poète et photographe. Et l’interdisciplinarité artistique est un réflexe immédiat. Encore une fois, un élément de partage, de culture commune. Ce fort désir de commun se fait là, dans le quartier et aux alentours. Loin de la capitale, du palais présidentiel et de la Troïka. Loin d’une assemblée nationale constituante à la peine dans la construction de la Tunisie.
Vivre avec l’envie de vivre ailleurs
D'autres lumières s'installent dans le quartier. Celles de l'association Kairouan les lumières, porteuse du projet de construction d'une maison des habitants
La Troïka est fragile. En tout cas, elle a beaucoup de mal à exister au niveau local. Les habitants et la presse dénoncent souvent un système centralisateur, dans lequel les régions n’ont pas une assise considérable. De la même manière, les difficultés vécues en interne par les trois partis nuisent à la lisibilité de l’action. Une occasion régulière pour la presse de Tunisie de tacler l’action gouvernementale. D’autant plus difficile donc pour le citoyen de s’y retrouver et de sentir la présence de l’État. Et pour cause.
À Dar El Amen, on ne ramasse pas les déchets. Il n’y a pas de transport public. La police n’est pas là. De jour comme de nuit, c’est aux habitants de s’organiser (ou non). Pour autant, la vie suit son cours. Les enfants vont à l’école primaire, au sein du quartier : quatre heures obligatoires par jour. Les cortèges de jeunes filles et de jeunes garçons en uniforme, sandwich de harissa à la main, passent par la place centrale. Cela ponctue la journée d’autres, plus vieux, qui vivent avec l’envie d’être ailleurs ; à Tunis par exemple. Ou alors en Europe. Peu sont ceux qui pendant la journée sortent du quartier. Parfois, le travail se fait directement à la maison, comme pour le commerce ou l’artisanat. La maison sert alors d’atelier, notamment pour la confection des tapis de Kairouan, aux motifs singuliers.
Nous sommes au mois de décembre, et comme le reste de l’année on vit dehors. Les petites maisons rarement peintes s’enroulent autour de la place publique, l’espace des croisements. Le silence est d’or, sauf quand les vents tournent et que les bruits des moteurs de la grande route un peu plus loin s’invitent dans le quartier. Le matin, on se salue d’un signe franc en prenant le soleil ; les chèvres passent pour aller au champ derrière les habitations (le quartier est en périphérie de Kairouan).
La nuit tombée, le quartier n’en est pas plus agité. Rares sont ceux que l’on croise. Les chats continuent de passer d’un toit terrasse à l’autre. Les seules lumières sont celles des éclairages publics encore présents. Cependant, cela change. D’autres lumières s’installent dans le quartier : celles de l’association Kairouan les Lumières, porteuse du projet de construction d’une maison des habitants dans le quartier populaire de Dar El Amen.
Les lumières du quartier
Qu'un jour, les quartiers populaires puissent être le vecteur de rencontre, d'éducation, de culture et plus si affinités - comme l'engagement politique
Le projet est annoncé comme « unique en Tunisie », nous rappelle le secrétaire général de l’association. Ce militant politique, révolutionnaire et artiste a fait un rêve. Qu’un jour, les quartiers populaires puissent être le vecteur de rencontre, d’éducation, de culture et plus si affinités - comme l’engagement politique. On comprend aisément le sens au regard de la situation socio-économique de la Tunisie. Une économie en panne, un système politique transitoire et désarticulé ; il faudrait veiller à ce que la Tunisie ne perde pas en route les raisons de cette révolution. En ligne de mire : le redressement identitaire incarné politiquement par Ennahda. Construire cette maison de quartier à Dar El Amen aurait donc quelque chose d’atypique dans le paysage actuel.
La culture a déjà ses « maisons ». Établissements publics dirigés par des fonctionnaires dépendant du Ministère. Ce sont des symboles de la présences publiques en région. Kairouan a une maison de la culture, en raison de son riche patrimoine architectural, historique et religieux. D’autres villes aux alentours ont des équipement plus ou moins similaires, agissant par exemple davantage sur le champ socio-culturel. Mais, les maisons de la culture visitées pendant cette semaine de reportage, sont au centre-ville. Éloignées des quartiers populaires.
Pour Kairouan les Lumières, la différence réside donc dans le portage du projet et sa visée. L’association se veut indépendante de l’État et souhaite tirer sa force de la société civile. Le projet vise à assurer un ancrage pour les habitants de Dar El Amen en proposant des animations à destination des familles. De l’éducation populaire telle qu’elle peut-être conçue en France. Ce projet a vu le jour en 2011. L’opportunité est d’avoir un lieu à disposition pour recevoir du public. Reste encore à incarner ces idées auprès des habitants. Le manque de moyens financiers ainsi que la centralisation des activités sur un faible nombre d’engagés ralentit le développement. Il est en effet peu évident de s’engager bénévolement pour certains qui connaissent la précarité. Pour autant, les plus jeunes, encore dans les études, ont un rôle à jouer dans le montage de ce genre de projet. La militance trouve ici une résonance particulièrement puissante.
Avant cette première semaine de coopération, des ateliers concernant l’archéologie, l’informatique et la couture étaient prévus. L’ajout des Arts Plastiques et des ateliers de Musique Assistée par Ordinateur permet de montrer aux jeunes et aux parents du quartier la portée sociale de ce genre de projets. Surtout dans un quartier sans réelle distraction. Et l’effet est immédiat. Passée la première journée de travail, la maison devient le centre de toutes les attentions. On vient s’y frotter à un synthétiseur ou tout simplement jouer aux cartes. Les enfants font de la moindre activité un moment fort. En témoignent les portraits photographiques d’enfants réalisés dans la maison de quartier.
C’est bien la portée éducative qui est ici au centre des préoccupations. Associer l’école, la maison de quartier et les parents dans un même mouvement d’éducation (populaire). En jeu : le collectif et l’expression artistique, culturelle des jeunes. La présence d’associations françaises au sein du projet doit permettre le maintien de l’activité et assurer une assise supplémentaire à cette dynamique. Elle est encore hésitante. Pas toujours évident de s’improviser animateur, éducateur ou transmetteur de savoirs. Mais l’attente est forte. Et c’est peu dire : elle est immense. En témoignent les quarante enfants venus s’initier à la MAO dans un petit bureau de la maison pour comprendre l’importance première de l’éducation. Et, dans l’esprit des habitants, ce n’est pour l’instant pas l’État qui le fera.
Romain Ledroit
Crédits photos : Romain Ledroit, portraits de jeunes à la maison de quartier.
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