Jean François Sivadier au cinéma
La captation d’un regard
Sorti au cinéma le 24 octobre dernier, le film de Philippe Béziat, Traviata et nous raconte l’histoire d’un spectacle d’opéra en train de se faire. Il s’agit de La Traviata de Verdi, dans la mise en scène de Jean François Sivadier, créée en 2011 au festival d’Aix en Provence, et reprise ensuite au Staatsoper de Vienne, à l’opéra de Dijon et au théâtre de Caen. Dans les rôles principaux, les artisans du spectacle : Jean François Sivadier, Louis Langrée, le chef d’orchestre, et Nathalie Dessay, interprète du rôle titre. Un film intense et poétique, à voir lors de ses prochaines projections. L’une d’elles aura lieu le mardi 22 janvier, au Ciné presqu’île de Guérande.
On ne peut parler de Traviata et nous sans revenir sur la généalogie d’un rêve, autour de Traviata. En 1996, Jean François Sivadier écrivait et créait au théâtre de l’Odéon, lors du festival Paris, quartiers d’été, Italienne avec orchestre (publié aux éditions les solitaires intempestifs).
Ce spectacle, beaucoup repris ensuite, plaçait le spectateur dans une fosse d’orchestre, pour qu’il vive au plus près, et de l’intérieur, les répétitions d’une Traviata. Les acteurs jouaient le chef, le metteur en scène et la diva. En 2003, une seconde version de ce texte Italienne, scène et orchestre, voyait le jour au TNB, à Rennes, avant de nouvelles reprises, dont l’une au théâtre des Amandiers de Nanterre, durant l’hiver 2004. Dans le prolongement de cette aventure, Sivadier a proposé en 2011, au festival d’Aix en Provence, sa lecture de l’opéra de Verdi. Philippe Béziat a réalisé son film à Aix, pendant les répétitions du spectacle. Dans un émouvant retournement de situation par rapport au texte de 1996, les rôles de Traviata et nous sont les vrais artisans de l’opéra. Loin d’être un documentaire, ce film est avant tout la captation du regard d’un artiste sur une œuvre qu’il adore et ne finit pas d’explorer.
Traviata et nous joue sur un tel mouvement et nous conduit aux sources de l’émotion, par de gros plans qui frôlent les corps, les visages et les battements de cœur
Un spectacle d’opéra idéal
Les films d’opéras, au cinéma, ont très souvent montré leurs limites, en se heurtant à l’écueil du spectacle vivant, tellement essentiel. L’un d’eux échappe à ce constat, il s’agit de Tosca, dans la vision proposée par Benoît Jacquot, en 2001. Par une alternance entre le film sur des lieux de l’action et des images des chanteurs en studio, le cinéaste revenait au travail de l’interprète, dans la saisissante mise en abîme d’un opéra en train de se faire. Traviata et nous joue sur un tel mouvement et nous conduit aux sources de l’émotion, par de gros plans qui frôlent les corps, les visages et les battements de cœur. Une telle proximité place le chant au cœur de la mise en scène d’opéra. Les déplacements lents de la caméra prennent le temps d’accompagner la gestation du spectacle, en un enchaînement envoûtant d’images où se succèdent l’intimité de la répétition et l’éclat du spectacle abouti, dans un même esprit de ferveur. Dans chaque mise en scène de Jean François Sivadier, au théâtre comme à l’opéra, il subsiste des traces de la répétition et du spectacle en devenir. Un tel mélange des différentes étapes du processus de création explique la vie intense de ce film, à la fois accomplissement et, paradoxalement, spectacle d’opéra idéal.
Je suis une mouette
Le film met en valeur l’authenticité, le charisme et l’humour du metteur en scène
La caméra se glisse dans des instants extrêmement intimes de répétitions. Le metteur en scène, dans ses indications aux différents protagonistes, semble jouer intérieurement tous les rôles, pour mieux les guider. Fascinante identification ! Jean François Sivadier se montre à l’écoute des doutes des interprètes, parce qu’il est lui même acteur et il les comprend. Il sculpte le jeu de chacun d’eux. Certains silences sont extrêmement beaux. Lors du travail sur un passage très périlleux du premier acte, où Violetta se retrouve seule, après le départ des convives accompagné d’un déchaînement de l’orchestre, Nathalie Dessay fait part de ses angoisses, dans un instant où l’artiste dévoile une fragilité bien humaine. Elle doit poursuivre, après tout ce bruit, par une phrase chantée a cappella, presque un murmure : « E strano ! » (C’est étrange !), seule et sans accompagnement. Une sorte de vertige l’étreint. Le metteur en scène n’élude pas la question et évoque, pour ce moment précis, une identification possible du public, non pas avec le personnage, mais avec l’interprète, et une forme de compassion pour ce qu’elle fait. Il compare cet instant de mise en danger avec le monologue qui marque le retour de Nina, dans La mouette de Tchekhov , « Je suis une mouette, non ce n’est pas ça », au cours duquel il y a un même moment de tension et d’angoisse pour l’interprète, l’impression de se sentir au dessus du vide. Sivadier a le même discours avec chaque artisan du spectacle, et une même écoute. Il n’y a pas de rôle secondaire et chaque choriste est important sur le plateau.
L’anima di violetta
Traviata et nous est plein de poésie. L’un des moments de grâce du film est le commentaire, en italien, de la lettre de Violetta à Alfredo à l’acte II, par une pianiste chef de chant. Cette artiste est lumineuse, complètement habitée par la musique. C’est une lettre de rupture, que l’héroïne écrit malgré elle, sous la pression de Germont père qui incarne la morale bourgeoise. La langue italienne apporte des couleurs et une intensité à ce commentaire particulièrement vibrant de la pianiste. Cette dernière précise que la clarinette, dans ce passage, est l’âme de Violetta (L’anima di Violetta), et cette expression est en elle même une musique ! Ce film est avant tout un récit, celui d’une troupe où chacun raconte une même histoire. La construction minutieuse du lustre et les essais lumière contribuent à l’âme de la représentation. Et Traviata et nous donne à voir de belles âmes d’artistes. Le film met en valeur l’authenticité , le charisme et l’humour du metteur en scène, et donne envie de découvrir ses prochains spectacles. Il ne faudra pas manquer Le misanthrope qu’il mettra en scène cette saison, au TNB de Rennes et au théâtre de l’Odéon, ainsi que Le barbier de Séville de Rossini, en mai prochain à l’opéra de Lille. Jean François Sivadier partage avec le chef d’orchestre Louis Langrée un même aspect solaire, qui donne envie de suivre de manière inconditionnelle les voies que chacun d’eux nous ouvre. Ils créent dans le bonheur et c’est peut être le sentiment qui domine dans ce film. Un beau moment de cinéma et d’opéra, à découvrir !
Christophe Gervot
Bloc-Notes
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