
MONNAIE LOCALE (2/3)
Ma monnaie locale ne connaît pas la crise
463 monnaies complémentaires recensées par le CES (Community Exchange Network), le réseau international des monnaies locales. Fin 2012, le Brésil comptera plus d’une centaine de banques communautaires de développement (BCD) et monnaies sociales en circulation. Dans le monde entier, les monnaies locales ont le vent en poupe. Crises obligent.
Si les crises voient naître des monnaies locales, cela ne date pas d’hier. Dans les années 1930, dans un contexte de Grande Dépression, des commerçants Suisse en mal de trésorerie ont l’idée de se prêter de l’argent entre eux plutôt que d’emprunter aux banques qui se font frileuses. Le WIR est né. WIR, c’est l’abréviation de Wirtschaftstring (le cercle d’échange), mais il signifie aussi « nous » en allemand. 60 000 PME utilisent actuellement le WIR, de façon régulière ou au cas par cas. Le WIR a un effet que les économistes appellent « contra-cyclique », il adoucit les heurts de la conjoncture.
Carte de France des monnaies locales
Massimo Amato, économiste, historien et philosophe milanais spécialiste de la monnaie, rappelle lors d’une conférence au CNAM de Loire Atlantique le 21 novembre 2012 que « la monnaie qui circule est 1000 fois supérieure à l’ensemble des biens que l’on pourrait acheter dans le monde. » Il précise : « il y a 1000 fois trop de monnaies et pourtant on en manque. La monnaie est devenue une marchandise et non plus un moyen d’échange. La monnaie ne remplie son rôle que lorsqu’elle circule. Elle est à tout le monde et par conséquent à personne. » Et de citer Emmanuel Kant : « je ne me sers bien de la monnaie que quand je la laisse aller. »
Je ne me sers bien de la monnaie que quand je la laisse aller
Lors des accords de Bretton Woods en 1944, le grand théoricien de la monnaie John Maynard Keynes propose la mise en place de l’International Clearing Union, une chambre de compensation à l’échelle internationale. Keynes ne sera pas entendu, et c’est un système monétaire international basé sur le dollar qui verra le jour, a priori favorable aux États-Unis. « C’est pourtant une chambre de compensation européenne - instaurée entre 1950 et 1958 - qui permettra le miracle économique allemand et italien. Par ailleurs, les Etats-Unis sont aujourd’hui le pays le plus endetté », dixit Massimo Amato. C’est ce principe de monnaie comme moyen de faire circuler les richesses et non comme richesse en elle-même, non spéculative, que de nombreuses initiatives concrétisent à l’échelle locale dans le monde entier. Les formes varient mais elles poursuivent exclusivement ou conjointement trois objectifs, selon Marie Fare, chercheuse à l’Université Lyon 2 : soutenir le développement local, favoriser les éco-comportements et créer du lien social.
Le soutien du développement local
Lancé depuis près de dix ans en Bavière, sous l’impulsion de Christian Gelleri, professeur d’économie, le Chiemgauer est une monnaie complémentaire et solidaire. Il représente aujourd’hui un demi-million d’euros en circulation pour 4000 usagers. Cette monnaie est ancrée à la monnaie européenne : l’usager échange 1 euro pour 1 Chiemgaueur. Commence alors la solidarité, car 5% de la somme changée par l’usager n’ira pas dans une banque : 2% sont prélevés pour les frais de gestion et 3% sont versés à un organisme local de son choix (club de sport, association caritatives…). Il peut alors dépenser ses billets de la taille de ceux du Monopoly dans une des 600 structures partenaires. Les Chiemgaeurs sont valables trois mois. Après ce laps de temps, ils perdent 2% chaque trimestre, soit 8% par an. Il faut acheter un timbre à coller sur son billet pour qu’il reste valable. L’argent ainsi récolté par la fonte de la monnaie est intégralement reversé à des associations de la région. Enfin, lors de la conversion vers l’euro, 5% des Chiemgauers seront de nouveau versés aux associations bénéficiaires. « Ces versements ont notamment permis de financer des projets variés comme un nouveau parquet pour un gymnase, l’achat de manuel scolaires pour les familles défavorisées, des voyages scolaires « bio » ou encore un café pour les jeunes mères » explique Christian Gelleri. Les 4000 utilisateurs seraient-ils guidés par une intention purement philantropique ? Pas seulement pour Christophe Levannier , responsable du Chiemgauer. « Quand je paye en Chiemgaeur j’envoie un message à mon commerçant, je lui fait savoir que je veux que cet argent soit redépenser dans la région. Et puis j’ai le droit à un sourire ».
Favoriser les éco-comportements
Transition towns, les villes en transition, sont un réseau de communes qui réfléchissent ensemble pour faire face au pic pétrolier, au réchauffement climatique et à la volatilité de l’économie. A Totnes, Lewis, Stroud, Brixton et depuis cette année Bristol, cela passe par la mise en place d’une monnaie locale, une monnaie de transition. « Vous échangez vos livres contre des Brixton Pound ; l’utilisation en est limitée au travers d’un réseau d’entreprises indépendantes, c’est-à-dire des commerces sans actionnaire, qui sont soit privés, soit familiaux » explique Josh Ryan Collins, chercheur à la New Economic Foundation (NEF), une organisation qui gère le développement des monnaies complémentaires au Royaume-Uni. La NEF a notamment aidé au développement d’une plateforme électronique sécurisée pour les monnaies électroniques utilisées par les Bristol et Brixton Pound. « Il fallait que la monnaie puisse être utilisée de façon électronique parce que cela la rend beaucoup plus pratique », pour Mark Buron du Bristol Pound CIC. La monnaie est ici un outil de résilience pour bâtir la société « post-pétrole », un moyen de se prémunir localement des aléas de l’économie.
La monnaie est une forme d’institution sociale qui renvoie non seulement à une communauté politique, mais aussi à une communauté de valeurs
Créer du lien social
« La monnaie est une forme d’institution sociale qui renvoie non seulement à une communauté politique, mais aussi à une communauté de valeurs, à travers les pièces de monnaies et les billets » pour Patrick Viveret, philosophe et auteur du rapport Reconsidérer la richesse. Cette communauté de valeurs s’exprime notamment par la présence de figures culturelles de chaque pays sur leurs billets de banque. Voltaire sur le franc français, Gandhi sur les roupies indiennes, « In God we trust » au dos des dollars… Depuis le chèque, et plus que jamais avec les cartes de crédits, la communauté de valeurs a disparu. « On vous dit même que cette carte ne vous appartient pas, qu’elle est la propriété de grands réseaux de types Visa ou Mastercard » remarque Patrick Viveret. La création de monnaies locales constitue en ce sens une véritable résistance citoyenne pour se réapproprier la monnaie au sein d’une communauté politique territorialisée.
A lire
Une monnaie nommée Ne-mo ?, le regard de Fragil sur la future monnaie locale nantaise.
Le hors série n°14 d’Altermondes, Et si on réinventait la richesse ?
Thomas Savage
Images :
Bannière : billet de 10 anciens francs
Carte : France des MLC réalisé par monnaie-locale-complementaire.net
Colonne : Coupures locales : cherchez l’intrus , CC Christophe Ducamp
Bloc-Notes
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