Création française à Angers Nantes Opéra
Petits arrangements avec les morts
Pour l’ouverture de cette saison 2012-2013, Angers Nantes opéra a créé l’événement en proposant la création en France d’un ouvrage du compositeur tchèque Bedrich Smetana, Les deux veuves, en prélude à d’autres passionnantes découvertes. Créée à Prague en 1874, cette œuvre, en apparence légère, explore des mouvements contradictoires du cœur qui trouvent, dans la distribution réunie à Nantes et à Angers, une interprétation exceptionnelle, pleine de grâce et de nuances.
En France, on connaît la très populaire Moldau de Smetana, avec ses accents romantiques et, parfois, La fiancée vendue, un opéra comique représenté de manière épisodique dans l’hexagone. L’occasion était belle de découvrir un nouvel aspect de ce compositeur très inventif sur le plan mélodique. Cette création en France a permis aussi de confronter les sonorités de la langue tchèque, avec celles des opéras de Janacek, dont nous avions pu mesurer l’âpreté dans la sublime Jenufa montée à Nantes en 2007. Les deux veuves nous plongent dans un cadre romanesque plus voluptueux, mais où la moindre petite faille pourrait tout faire voler en éclats.
Celles qui restent...
L’action des Deux veuves se déroule dans un cadre rural, où l’on vit au rythme des saisons. Au début du premier acte, on se prépare à fêter les moissons. Dans la maison de Karolina, le temps semble s’être arrêté, depuis la disparition de son mari. Durant l’ouverture, des images d’un film en noir et blanc montrent les débuts de l’aviation, et un accident d’avion. L’occasion, pour le spectateur, de revivre les débuts du cinéma muet avec orchestre. Dès le début de l’opéra, on aperçoit à l’étage de la somptueuse demeure des restes de l’appareil, derrière une porte qui s’ouvre parfois. Karolina reçoit sa cousine, Anezka, également veuve. Aucune des deux n’a le même rapport à la disparition de l’être aimé. La première semble davantage confiante en un bonheur encore possible, tandis que la seconde, plus mélancolique, est plutôt tournée en direction d’un passé qui la ronge. Ces deux cousines, dont la musique raconte les mouvements de leurs cœurs, font songer, durant quelques instants, aux deux sœurs de Cosi fan tutte de Mozart. Ces dernières, confrontées au faux départ pour la guerre de leurs fiancés, adoptent également un comportement différent dans leurs élans amoureux, entre abandon et résistance. La situation n’est pas ici la même, car les deux veuves n’ont pas l’ aspect adolescent des héroïnes mozartiennes. Elles ont subi l’épreuve du deuil et c’est précisément dans le passé de chacune que l’on va trouver la petite faille qui les ronge. La situation de ces deux femmes égarées dans une riche maison en pleine campagne, où l’on s’ennuie un peu et où peuvent surgir de possibles séismes de l’âme, fait songer aux récits de Henry James. La partition, à l’écoute des moindres variations de leurs consciences, les enveloppe de couleurs remplies de délicatesse.
Elles ont subi l’épreuve du deuil et c’est précisément dans le passé de chacune que l’on va trouver la petite faille qui les ronge
Mise à nu de l’héritage des morts.
Tout commence par l’irruption d’un jeune homme dans les bois privés qui entourent la demeure. Le braconnage ne semble qu’un prétexte. Dénoncé par le garde forestier et amené dans la maison, Ladislav, l’indésirable, génère et cristallise une véritable confusion des sentiments entre les deux cousines. Karolina, en véritable démiurge qui comprend les vraies raisons de la présence de l’intrus, orchestre un simulacre de tribunal dans son salon, pour un délit qui n’a pas vraiment été commis. L’enjeu de cette mascarade, qui évoque les tromperies des pièces de Marivaux, n’a-t-il pas pour but de faire rester le jeune homme, en un jeu de théâtre qui révèlera les sentiments enfouis ? Le braconnier déclare effectivement son amour à Anezka qui le rejette. Dans une aria débordante de lyrisme, elle expose les raisons de son refus, véritable coup de théâtre de l’opéra. Si elle ne peut accepter l’amour de Ladislav, c’est parce qu’elle éprouvait déjà pour lui une passion inavouable du temps de son défunt mari. Le retour du jeune homme fait surgir sa culpabilité et la jeune femme explose d’émotions contrastées. Son cheminement la conduit, après un nouveau malentendu et une scène de pardon, à accepter l’amour de celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Mais la situation s’inverse et, dans la vision proposée par Jo Davies, c’est l’entreprenante Karolina qui, en gagnant le premier étage à proximité des souvenirs de son défunt mari, s’enferme dans une nouvelle solitude. Cette image finale créé une rupture extrêmement touchante avec la fête qui précède et suggère que les comptes avec les morts n’ont pas tous été soldés.
Dans une aria débordante de lyrisme, elle expose les raisons de son refus, véritable coup de théâtre de l’opéra
Au plus près des mouvements du coeur
La mise en scène de la britannique Jo Davies épouse avec beaucoup de délicatesse les mouvements de ces cœurs en émoi, à tel point qu’à certains moments, le spectateur a le sentiment de surprendre, comme s’il était là par effraction, quelque chose de secret et de très intime. Pour traduire ces variations des sentiments, elle joue sur une palette de couleurs et de lumières très nuancées, qui atteignent en plein cœur. Jo Davies mettra en scène la comédie musicale Carousel, de Rodgers et Hammerstein, les auteurs de The sound of music, au Châtelet en mars 2013 : un spectacle à ne pas manquer ! De plus, le chef d’orchestre Mark Shanahan, désormais bien connu du public d’Angers Nantes Opéra, sculpte avec tendresse une partition où certains ensembles ont la précision d’un final de Mozart. La distribution est homogène et très investie dans cette belle réalisation. Lenka Macikova donne une présence fervente à Karolina, avec quelques beaux aigus. Sophie Angebault apporte des accents d’un poignant lyrisme à la grande scène de confusion et de dilemme de Anezka, personnage secret et introverti. La voix lumineuse de Ales Briscein, mémorable capitaine dans Wozzeck mis en scène par Jean François Sivadier à Lille en 2007, s’élève avec fougue et énergie,vers les sommets de la passion amoureuse. Ante Jerkunica offre à la figure du garde forestier une belle et émouvante voix de basse, qui touche profondément. La fin de l’opéra est particulièrement réjouissante, avec une danse collective d’une énergie communicative. Le choeur d’Angers Nantes Opéra nous transporte dans cette explosion de joie. Tous seraient à citer, tant ils forment une troupe que l’on aime retrouver à chaque spectacle. On évoquera toutefois l’investissement sans compter de Laurence Dury et de Fabienne Rispal-Eumont, dont le bonheur d’être sur le plateau rend heureux ! A Nantes, les représentations avaient lieu au Grand T, où l’on avait déjà vu Norma (en 2004) et Le barbier de Séville (en 2010), en raison des travaux du théâtre Graslin. Cette salle chaleureuse et d’où l’on voit de partout convient bien à l’opéra. On souhaite des reprises de ces Deux veuves, pour que le plus grand nombre en découvre la grâce et la beauté.
Christophe Gervot
Images : copyright Jef Rabillon
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