
MONNAIE LOCALE (1/3)
Une monnaie nommée Ne-mo ?
Ne-mo ? Duchesse ? Berlingot ? Tilu ? Les Nantais sont mis à contribution depuis hier, 15 novembre 2012, pour définir le nom de la monnaie locale dont la métropole nantaise se dotera en juin 2013. Qu’est ce que c’est au juste une monnaie locale ? Comment ça fonctionne ? A quoi ça sert ? Qu’est-ce que ça change à l’Euro ? Fragil fait le point avec Pascal Bolo, adjoint aux finances de la mairie de Nantes.
Juin 2013. La métropole nantaise se dote d’une monnaie locale. Les Nantais sont appelés à faire preuve d’imagination et à participer au concours qui permettra de donner un nom à cette monnaie. Le maire, Patrick Rimbert, validera le choix final après vérification des impératifs juridiques. Ne-mo, à titre d’exemple, est très en vogue mais il est fort probable que ce soit une marque déposée.
Une monnaie locale, qu’est-ce que c’est ?
Point de billet ni de pièce pour cette monnaie. C’est un moyen d’échange entièrement virtuel, qui fonctionnera avec un système de cartes de paiement pour les particuliers, et de virements bancaires pour les entreprises. Toutes les entreprises et les particuliers de la métropole Nantaise pourront y adhérer pour échanger des biens et des services en créant un compte au Crédit Municipal de Nantes.
L’inconvertibilité est indispensable pour la finalité de la monnaie locale : faciliter et multiplier les échanges locaux
Une unité de cette monnaie est égale à un euro. Cet ancrage à la monnaie réelle est indispensable ne serait-ce que pour exprimer les prix en monnaie locale. Elle a donc une vraie valeur. La parité (1 Euro = 1 unité de monnaie locale) permet de faciliter les comptes. Elle n’est cependant pas convertible en Euro. L’inconvertibilité est indispensable pour la finalité de la monnaie locale : faciliter et multiplier les échanges locaux. C’est en effet une monnaie qui a vocation à circuler, et vite, pour développer les échanges locaux. Epargner cette monnaie ne rapporte aucun avantage, au contraire même, cela perturbe l’équilibre du système. Les utilisateurs, avant de l’accepter doivent donc s’assurer qu’ils pourront la dépenser rapidement.
Comment ça marche ?
Cette monnaie complémentaire sera gérée par le Crédit Municipal de Nantes qui mettra en place une chambre de compensation. C’est l’institution au cœur de la monnaie. Elle ne crée pas de la monnaie comme une banque centrale. Concrètement, cette chambre enregistre les échanges entre ses adhérents. Elle ne fait que tenir leur comptabilité. Elle enregistre leurs dettes et leurs créances. Chacun rembourse ses dettes avec ses créances, dans une forme de crédit mutualisé entre les participants de l’échange. On parle de multilatéralité des dettes. L’objectif final est l’équilibre comptable. Le surplus et le déficit sont des déséquilibres.
Le site internet www.unemonnaiepournantes.fr va plus loin dans les explications du fonctionnement de la monnaie. C’est également sur cette page que l’on peut soumettre ses brillantes idées pour le nom de la monnaie locale.
Qu’est ce que ça change ?
Pour les entreprises, le système peut être alléchant à condition d’avoir des clients et des fournisseurs dans le réseau. Ce n’est pas le cas des commerçants franchisés, par exemple, qui ont des clients locaux mais qui se fournissent dans des centrales d’achat non locales
Pour les entreprises, le système peut être alléchant à condition d’avoir des clients et des fournisseurs dans le réseau. Ce n’est pas le cas des commerçants franchisés, par exemple, qui ont des clients locaux mais qui se fournissent dans des centrales d’achat non locales. La monnaie locale, mais surtout la chambre de compensation, permet de ne pas utiliser sa trésorerie puisque l’entreprise remboursera sa dette avec une créance issue d’un autre échange. Cela ne change rien à la comptabilité de l’entreprise qui continue de payer sa TVA et ses charges sociales en Euro. Simplement, au moment du net à payer, les contractants se mettent d’accord sur la part de l’échange qu’ils souhaitent régler en unité de compte locale.
Pour les particuliers, l’intérêt est moins évident. Il y a un intérêt pour les entreprises à payer une partie des salaires en monnaie locale. Cela leur permet de faire circuler le surplus de monnaie qu’elles ne parviendraient pas à écouler au près de leurs fournisseurs. Un salaire en monnaie locale n’est pas aisé à dépenser (seulement dans certains commerces et services publics) et ne fait pas gagner en pouvoir d’achat. En outre, le contact affectif de la monnaie sera absent au moment de payer son jambon-beurre puisqu’il s’agit d’un moyen d’échange entièrement virtuel. Il semble que les organismes en charge du projet comptent sur la solidarité et la confiance des particuliers pour en assurer la pérennité…
Quelques questions à Pascal Bolo
Pascal Bolo est l’adjoint aux finances de la mairie de Nantes. Il est au cœur du projet depuis son lancement par l’ancien maire de Nantes - Jean-Marc Ayrault - il y a deux ans, dans le cadre de l’agenda 21.
La monnaie, au lieu d’être le carburant de l’économie était devenue un poids sur les échanges
À quels besoins répond la création de cette monnaie locale ?
C’est un projet qui est mené pour répondre à ce qui semblait être un besoin de liquidité des entreprises. C’est moins un besoin aujourd’hui qu’il y a deux ans lorsqu’on a lancé l’affaire. La crise de liquidité - le fait que les banques aient arrêté de se prêter de l’argent entre elles - s’est traduite par une des problèmes de trésorerie pour les entreprises. Les banquiers avaient du mal à prêter aux entreprises et collectivités locales. Il y avait des entreprises avec des carnets de commandes pleins, une réelle capacité commerciale mais à qui il manquait de la trésorerie pour investir et déclencher une production. Les délais de paiement se rallongeaient. La charge de trésorerie pesait sur les entreprises. La monnaie, au lieu d’être le carburant de l’économie était devenue un poids sur les échanges. Des banquiers nous ont suggéré de créer une chambre de compensation, un moyen innovant et utile. Innovant et dynamique comme notre région.
La monnaie complémentaire nantaise s’inspire de la banque WIR, créée par des commerçants suisses à la suite de la crise de 1929. La situation des entreprises nantaises aujourd’hui est-elle comparable à celle des entreprises suisses au sortir de la Grande Dépression ?
Non, mais on peut comparer la situation des 70 000 adhérents (ndlr : 60 000 PME déclarées par la banque) de la banque WIR d’aujourd’hui à celles des entreprises nantaises. Les entreprises suisses sont celles qui ont le moins souffert de la crise de liquidité et pourtant elles restent fidèles au franc WIR. Le WIR est un système de recours qui aura une fonction contra cyclique le jour où ça ira moins bien. Lorsque la croissance est forte, que le franc suisse coule à flot, le WIR est moins utilisé. Dès que les taux d’intérêts augmentent, que l’argent se fait plus rare, le WIR retrouve de la vigueur. A Nantes, le besoin de liquidité est moins pressant aujourd’hui, qu’il y a 2 ans. Ce n’est pas un système dirigé contre les banquiers classiques. Il s’agit simplement d’intervenir sur une marge où ils n’ont pas les outils.
A quelles retombées économiques doit-on s’attendre dans 5, 10 ans ?
Nous ne savons pas le dire. Nous manquons de données économiques sur le sujet. On connaît le PIB des Pays de la Loire, on sait en déduire le PIB de la Loire Atlantique, et à l’échelle de la métropole nantaise ce ne sont que des extrapolations. A partir de ces extrapolations, il est difficile de savoir quelle part des échanges se fait en interne, au sein même de la métropole. Au regard du PIB, cela restera sans doute modeste, mais nous espérons atteindre une masse critique suffisamment importante pour avoir un impact sur la vitalité des échanges locaux. Encore faut-il que les agents économiques s’en saisissent…
Combien d’entreprises sont d’ores et déjà prêtes à entrer dans le réseau ?
Les adhésions ne sont pas encore ouvertes. Nous sommes en lien avec la chambre des métiers, la chambre de commerce et d’industrie et la chambre régionale de l’économie sociale pour étendre le réseau. Le réseau de l’économie sociale pourrait être très intéressé car il a une action très centrée sur le territoire. Le jour où ça démarrera, il faudra qu’il y ait suffisamment d’adhérents pour amorcer la pompe.
Quel est l’intérêt pour les particuliers ?
Une partie des salaires pourrait être versée en monnaie locale. Pour ça, il faudra que les salariés donnent leur accord. Donc qu’ils soient sûrs d’utiliser cette monnaie utilement
Une partie des salaires pourrait être versée en monnaie locale. Pour ça, il faudra que les salariés donnent leur accord. Donc qu’ils soient sûrs d’utiliser cette monnaie utilement. Deux pistes pour ça. D’une part, le paiement en monnaie locale dans les services publics locaux, toute la sphère parapublique de gestion privée : les transports en commun, le centre de loisirs, le parking. Également le bailleur social. D’autre part, une logique de fidélisation dans le réseau de commerçants Césame. L’idée est de négocier pour que les ristournes commerciales habituelles soient créditées sur le compte en monnaie locale. Il est vrai que le gain immédiatement identifiable est principalement pour les entreprises.
Pourquoi, en tant que particulier, ne pas préférer l’Euro qui semble moins contraignant ?
Pour convaincre les salariés d’accepter cette monnaie locale, nous avancerons le fait qu’elle fait du bien à l’économie du territoire, qu’elle permet de développer l’emploi. Les entreprises s’en servent pour faire des économies de frais financiers, les salariés pourraient négocier un bonus sur le salaire pour bénéficier de ces économies.
Comment s’assurer que les entreprises vont jouer le jeu, notamment sur la non-thésaurisation de la monnaie ?
Je ne pense pas que nous allons attirer les entrepreneurs en leur expliquant tous les moyens coercitifs qui seront mis en place au cas où ils n’arriveraient pas à rester à l’équilibre. Il y aura un pilotage fin de la chambre de compensation. Lorsqu’un adhérent sera en situation positive depuis trop longtemps, nous lui permettrons de trouver des fournisseurs membres du réseau, ou nous encouragerons ses fournisseurs à y entrer. Ça se fait en Sardaigne avec le Sardex, où la fonction commerciale du réseau est très importante. Si ça ne suffit pas, il y aura des pénalités d’une manière ou d’une autre. Autrement, avec une autorisation préalable du titulaire du compte, le surplus pourrait être utilisé pour financer des projets d’intérêt général locaux (associatif, humanitaire) ce qui contribuera à faire tourner la machine.
Thomas Savage
Crédits photos :
Bannière : hommage au graffiti de Banksy par « an other.point.in.time » sur Flickr. CC
Centre : Pascal Bolo le 14 novembre dernier dans son bureau de l’hôtel de ville de Nantes. CC Thomas G Savage - Fragil
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