FOCUS
Toute une gamme d’émotions contrastées…
Saint-Céré 2012
Outre la découverte passionnante de Lost in the stars, ultime ouvrage de Kurt Weil, l’édition 2012 du festival de Saint Céré a offert une palette d’émotions contrastées, dans un esprit de convivialité sans cesse renouvelé. Dans le souci d’atteindre les publics les plus divers, il étend sa programmation à l’ensemble du département du Lot : on jouait par exemple du Schubert à Labastide-Marnhac le 15 Aoà »t. Les spectacles de cette édition seront repris en France et au Luxembourg au cours de cette saison 2012-2013.
En jouant sur le mélange des registres, dans un réjouissant esprit de troupe, le festival proposait, durant ce mois d’Août 2012, Madame Buterfly de Puccini et La flûte enchantée de Mozart, au château de Castelnau, tandis que la halle des sports offrait une désopilante Belle Hélène de Jacques Offenbach. Flore Boixel illustre cette étourdissante diversité de styles, en alternant, sur deux soirées, la volubile Baachis, suivante d’Hélène, faisant la quête parmi les spectateurs pour l’offrande à quelque grand augure d’une divinité antique, avec Kate Pinkerton, celle dont Madame Buterfly, le temps d’un regard, a si peur.
Ouragan de lyrisme sur le château de Castelnau
Tandis que Cio-Cio San met fin à ses jours à l’étage, l’enfant, resté en bas, ouvre le frigidaire et se sert un verre de coca cola...
Madame Buterfly est le récit d’un aveuglement à l’issue tragique. Dans la vision qu’en propose Olivier Desbordes, Cio-Cio San, que Pinkerton a épousé par jeu durant un premier séjour au Japon, comble l’absence de l’être aimé par des signes visibles d’un changement de culture. Maudite par un oncle, représentant de traditions ancestrales, elle trouve dans ses vêtements, ceux de son fils et le drapeau américain qu’elle brandit, la preuve tangible de son engagement. Le décor représente une maison à étage, abri d’une passion dévastatrice. Cette maison parait fragile, à l’image du « papillon » dont on se sert pour nommer l’héroïne. Le second acte raconte l’attente fiévreuse et confiante d’un hypothétique retour. Il s’achève sur l’arrivée d’un bateau américain et, pour exprimer les ultimes et épuisantes heures de l’attente, sur un chœur à bouche fermée, durant lequel Buterfly monte enfin se reposer. L’image est saisissante : Au dessus de sa mère alitée, dans une troublante superposition, le visage interrogatif de l’enfant, né de sa passion pour l’américain, apparaît, comme en un gros plan de cinéma. Sandra Lopez de Haro livre un portrait incandescent de l’héroïne de Puccini, et fait vibrer les pierres du château de Castelnau, de l’ineffable douleur et de la sourde angoisse qu’elle met dans son chant. La palette vocale de l’interprète est extrêmement riche et étendue. Kristian Paul apporte au consul Sharpless des accents bouleversants d’humanité. La lecture de la lettre de Pinkerton qui n’est, pour Cio-Cio San complètement aveuglée, qu’une suite de phrases à doubles sens, place le spectateur au comble de l’émotion. Le consul ne peut l’achever. L’être aimé revient, mais avec une autre, et pour emmener l’enfant. Submergée par la stupeur et par la souffrance, Buterfly choisit de mettre fin à ses jours, dans un chant désespérément beau. Témoin impuissant du drame, Suzuki trouve en Irina de Baghy la présence compatissante et déterminée de celle qui n’abandonnera jamais. Elle donne à son chant des couleurs d’une intense profondeur et de beaux graves. La fin du spectacle est grinçante. Tandis que Cio-Cio San met fin à ses jours à l’étage, l’enfant, resté en bas, ouvre le frigidaire et se sert un verre de coca cola, comme si la douleur de sa mère était trop grande,ou trop lourde, pour lui, à moins qu’il ne soit déjà ailleurs, du côté d’un père que, lui aussi, il n’a dû cesser d’attendre.
Poésie et dérision
Dans un costume de bande dessinée, excessif comme ses vocalises, l’artiste sculpte le texte en véritable diseuse, dans un état de furie mais avec précision et intensité
Changement de registre avec deux reprises d’éditions antérieures, La flûte enchantée, dans la proposition d’Eric Perez créée en 2009, et La belle Hélène, mise en scène par Olivier Desbordes, et régulièrement représentée depuis 25 ans. On a beaucoup de plaisir à revoir cette Flûte enchantée, dont les maîtres mots sont le jeu et le bonheur d’être sur le plateau. Les costumes aux couleurs de bonbons acidulés apportent une vie incroyable et évoquent les jeux de l’enfance. Les déplacements et les mouvements semblent le prolongement joyeux de la musique et le spectacle tout entier est d’une touchante poésie. Ainsi, l’initiation de Tamino est avant tout un prétexte à jouer, dans un monde de couleurs, complètement irréel. Pour cette reprise, c’est Isabelle Philippe qui interprète la reine de la nuit. Dans un costume de bande dessinée, excessif comme ses vocalises, l’artiste sculpte le texte en véritable diseuse, dans un état de furie mais avec précision et intensité. On entend les couleurs et les sonorités de chaque mot, comme dans l’interprétation d’un Lied et elle termine le redoutable second air en état de grâce, par une série d’aigus vertigineux, d’une rare perfection. De plus, la voix est totalement maîtrisée, sur l’ensemble de la tessiture, depuis les sonorités les plus graves jusqu’à l’envolée finale, aérienne. C’est énorme ! Quelle magnifique artiste, et quel bonheur ce serait de l’entendre en ces lieux dans la scène de la folie de Lucia di Lamermoor de Donizetti. On retrouve Raphaël Brémard en Tamino, poétique, nuancé et d’une émouvante intériorité. Sa voix est ample, avec des accents lumineux et d’une réelle puissance. Les rôles mozartiens lui conviennent à la perfection et on rêverait de le découvrir en Belmonte de L’enlèvement au sérail. Il incarne aussi un Pâris solaire dans La belle Hélène,où il prouve l’étendue de son talent par une interprétation totalement extravertie, qui fait un jeu de tout. D’une énergie communicative et plein de charme, cet artiste donne sans compter, à l’image d’une troupe complètement investie. Cette Belle Hélène, aux résonances actuelles, joue sur l’excès pour caricaturer le pouvoir et les fanatismes : Eric Perez fait de Calchas un grand augure profane aux allures de curé, tandis que Brigitte Antonelli est d’une réjouissante inconséquence dans le rôle d’ Hélène , soucieuse avant tout d’être la plus belle femme du monde, au mépris de la guerre que son enlèvement va engendrer. La voix est puissante et elle campe un personnage explosif et haut en couleurs C’est un spectacle étourdissant dont on sort heureux. Chaque production du festival de Saint Céré est destinée à être reprise, lors des tournées de Opéra éclaté. Elles s’adaptent toutes aux lieux les plus divers et parfois les plus improbables. Ainsi, quelle que soit la ville où sera joué l’un de ces spectacles, on sera certainement touché par la ferveur de ces artistes talentueux, et par l’intensité des spectacles, dont les maîtres mots sont l’authenticité et la passion.
Christophe Gervot
Crédits photos :
Bannière :
Photo issue de Madame Butterfly.
Colonne :
Photo issue de La Belle Hélène. C opéra de Fribourg.
Raphaël Brémard, photo prise à l’issue de la représentation de "La flûte enchantée" au château de Castelnau. CC Alexandre Calleau
Bloc-Notes
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