
PORTRAIT
Stany : un yamakasi sur les toits de Nantes
Si de bon matin vous apercevez un escaladeur fou se hisser au sommet de la cathédrale Saint-Pierre : rassurez-vous, vous ne rêvez pas. Vous êtes devant la dernière folie de Stany Boulifard, le yamakasi nantais. Rencontre.
Anecdote. Cinq heures du mat’, place Saint-Pierre à Nantes. La ville dort encore. Pas un bruit, pas une voiture à l’horizon. Le soleil se lève, encore timide. C’est l’époque où la cathédrale nantaise est en pleine réfection, entourée d’une armure métallique. L’atmosphère du petit matin. La sérénité du lieu...
On ne se hisse pas comme ça inconsciemment sur les toits d’un édifice de 60 mètres de haut
Tout ça provoque un déclic dans le cerveau de Stany Boulifard qui passe par là pour amener sa copine au travail. Quelques instants plus tard, le voilà qui grimpe, sans aucune protection, l’édifice religieux en passant uniquement par l’extérieur des échafaudages. En quelques minutes, il se hisse au sommet et trouve sa récompense : une vue mémorable du centre-ville de Nantes au lever du soleil. Et surtout : « une forme de paix intérieure ».
Flashback. On ne se hisse pas comme ça inconsciemment sur les toits d’un édifice de 60 mètres de haut. A 26 ans, Stany a déjà plusieurs années d’entrainement derrière lui. Des entrainements à l’Art Du Déplacement (ADD) qu’il enseigne depuis janvier 2012 à Nantes. Pour lui, tout a commencé en 2001 avec un film d’Ariel Zeitoun : Yamakasi - Les samouraïs des temps modernes. Derrière cette production de Luc Besson, « bourrée de clichés sur les banlieues » précise Stany, celui-ci est fasciné par une chose : la technique physique des yamakasis.
Comme beaucoup de jeunes de son époque, Stany reste « scotché » devant ces sept sportifs qui marchent sur les murs, réalisent des sauts impossibles sans aucune protection, grimpent, sautent, courent sur les toits de Paris sur une musique de Joey Starr. Des acrobaties à faire pâlir Jacky Chan. L’art du déplacement est en train de naître avec cette idée de faire du mobilier urbain un théâtre sportif à part entière.
« L’idée n’est pas de se dépasser pour se dépasser, mais bien de se maîtriser sur le long terme. Il ne s’agit pas de faire le casse-cou sur l’instant »
Parcours. 2004, second film avec les yamakasis : Les fils du vent. Le groupe d’acteurs-cascadeurs, désormais fédéré en association, se déplace à Nantes pour une avant-première. Stany est alors en fac de sport et ne rate pas l’occasion. Il se rend à la projection, fond sur les acteurs et leur parle de son envie de pratiquer l’ADD. Le courant passe notamment avec Laurent Piemontesi qui incite le jeune nantais à les rejoindre à Evry.
Evry… La Mecque des yamakasis, là où tout a commencé. Pendant trois ans, Stany mène de front ses études universitaires et sa formation à l’ADD. Auprès de cette famille d’adoption, le Nantais développe ses qualités physiques sur le mobilier urbain de la banlieue parisienne. « Mais le plus important, confie-t-il, c’est l’apprentissage du code moral des yamakasis. On peut avoir tous les muscles qu’on veut, il faut adopter certaines valeurs humaines : la maîtrise de soi, le dépassement de soi, mais aussi l’entraide et le respect. L’idée n’est pas de se dépasser pour se dépasser, mais bien de se maîtriser sur le long terme. Il ne s’agit pas de faire le casse-cou sur l’instant comme pour le saut à l’élastique. Le mouvement que tu arriveras à faire en ADD, sans protection, tu pourras le faire et le refaire parce que tu as réussi à te maîtriser, à prendre confiance en toi. L’idée, c’est : être et durer. »
Enseignement. Après une année de perfectionnement à Londres, Stany Boulifard revient à Nantes en 2010 pour achever son master de STAPS. Le sujet de son mémoire ? L’Art du déplacement, bien sûr… Stany y démontre notamment que l’ADD n’est pas un sport à risque, mais un sport où l’on apprend la gestion du risque. « D’accord, c’est quand même un peu dangereux. Mais quand on se lance dans un mouvement périlleux, c’est parce qu’on a longtemps travaillé dessus, que l’on connait la technique, et que l’on a réussi à maîtriser ses peurs. »
Cette nouvelle discipline sportive, Stany l’enseigne au sein de l’ADD Academy de Nantes. Une association reconnue par la fédération nationale fondée par les yamakasis à Evry. On en compte une petite dizaine sur l’Hexagone. Ouverte en octobre 2011, l’ADD academy de Nantes compte aujourd’hui une vingtaine de jeunes (12-17 ans) et une dizaine d’adultes réguliers.
Élève devenu prof, Stany emmène ses yamakasis en herbe un peu partout au centre-ville : médiathèque Jacques-Demy, Lieu Unique, Château des ducs, Tour de Bretagne, Île de Versailles... « Nantes présente une formidable diversité d’espaces pour s’exercer . » Mais Stany planche en ce moment sur la création d’un espace dédié aux mouvements (art du déplacement, arts de rue, arts du cirque…) au cœur de la cité nantaise.
Objectifs. Plus de dix ans se sont écoulés depuis le film Yamakasi. L’ADD est devenue une discipline à part entière faisant des émules partout dans le monde : Royaume-Uni, Danemark, Russie, Italie… « Il ne se passe pas un mois sans qu’une association se crée aux États-Unis. C’est en pleine explosion ! » En France, entre 15 et 20 associations enseignent l’Art du déplacement.
En France, entre 15 et 20 associations enseignent l’Art du déplacement
Stany, de son côté, a enchainé ces derniers mois une série de spectacles grand public au Futuroscope de Poitiers avec la compagnie des yamakasis : Majestic force. Aussi membre de la troupe de Saint-Herblain, Cric, manivelle et Cie, le jeune homme a évolué dans sa démarche : « il n’y a pas que la physique, je cherche aussi à mettre le plus de poésie dans ce que je fais. » Le but ultime ? « Être en paix avec moi-même. Bien dans ma tête et dans mon corps. L’ADD m’aide à ça. Par exemple, je n’aurais jamais poursuivi mes études jusqu’au master si je n’avais pas eu l’ADD. Ça m’a appris à ne rien lâcher et à aller au bout de tout ce que j’entreprends. »
L’art du déplacement, une école de la vie ? Soit. Mais reste qu’il faut certainement un petit grain de folie pour se jeter sur les façades des cathédrales. Prochain challenge pour Stany ? Et pourquoi pas la Tour LU ?
Texte : Pierre-Adrien Roux.
Crédits Photos : Misteur Mad
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