ENTRETIEN
La mouette : mise en scène par Frédéric Belier-Garcia
Tchekhov raconte des histoires d’acteurs, avant toute chose
Frédéric Bélier-Garcia, directeur du nouveau théâtre d’Angers, prépare une mise en scène de «  La mouette  » de Anton Tchekhov, dont la première aura lieu le 14 novembre. Au cours d’un entretien qu’il nous a accordé, il a dévoilé les grands axes de son travail, et ce que représente pour lui l’auteur russe.
Fragil : Vous dirigez le centre dramatique des Pays de la Loire à Angers, au Théâtre du quai, depuis 2007. Quels y sont vos priorités et vos grands axes de programmation ?
F-B-G : En prenant la direction du NTA (ndlr : Nouveau Théâtre d’Angers) au quai, la priorité était de lancer un nouvel endroit, et de mettre la création au centre de ce lieu. Nous nous efforçons de programmer des auteurs vivants et contemporains, La mouette est une exception. C’est aussi une maison de production, et nous faisons travailler des collectifs. L’une de nos particularités est de faire venir au théâtre des auteurs du domaine littéraire. Ainsi, Marie N’diaye, Christian Oster et Laurent Mauvignier, tous publiés aux éditions de Minuit, ont écrit des textes dans le but des jouer, à notre intention. Cette saison, je monte un grand classique pour la première fois. Nous programmons également, à partir du 19 février 2013, Clôture de l’amour un texte écrit et mis en scène par Pascal Rambert, dans lequel jouera Stanislas Nordey. Nous coproduisons enfin le dernier spectacle de Didier Bezace au Théâtre de la commune d’Aubervilliers, Que la noce commence, d’après un film roumain d’Horatiu Malaele, Au diable Staline, Vive les mariés !. Le samedi 1er juin, nous allons créer un nouvel événement, qui va permettre au public de circuler d’un lieu à un autre dans la ville. Des espaces qui ne sont pas destinés au théâtre seront investis, des musées, des boites de nuit ou des hôtels. Pour ce projet,nous avons sollicité l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), un groupe d’écriture fondé par Raymond Queneau en 1960, dont Georges Perec fut aussi un membre actif. On espère voir s’y associer Angers Nantes Opéra : Georges Perec a été l’auteur de quelques fameux livrets d’opéras à découvrir !
Fragil : Vous mettez en scène La mouette de Tchekhov. Le spectacle sera créé au théâtre du quai, à Angers, le mercredi 14 novembre et sera repris, notamment au Grand T à Nantes, du 27 novembre au 5 décembre. Qu’est ce qui vous touche particulièrement dans ce texte ?
F-B-G : C’est un texte sur les promesses que l’existence ne tient pas. La mouette ouvre deux pistes. Il y a tout d’abord la question, poignante, de ce que l’on a fait de sa vie. Le second axe est la victoire d’une génération passée qui ne passe pas la main, sur la génération présente, le triomphe des parents sur les enfants. Mais ce dont parle Tchekhov, et qui me touche particulièrement, c’est de ce qui se joue sur le plateau. Il fabrique des pièces sans aucun des artifices de l’action ou de l’intrigue. Ce qui compte avant toute autre chose, c’est la présence humaine des acteurs, qui créé une histoire, racontée avec quasiment rien d’autre. C’est saisissant et c’est un peu le contraire de l’opéra, où l’artifice est beaucoup plus important.
Fragil : Quelle lecture allez vous faire de La mouette ?
F-B-G : C’est difficile à définir. Chez Tchekhov, on est toujours dans quelque chose qui ne dépasse pas la répétition. J’aimerais que ce soit un spectacle avec des acteurs qui ne sont pas encore des personnages. Le metteur en scène Peter Stein dit que « La grandeur de Tchekhov, c’est qu’il a écrit à moitié les rôles. Le reste, c’est l’acteur qui l’amène, dans son humanité d’homme, sur le plateau. » La scénographie repose sur des éléments symboliques et majestueux, une fausse lagune et les éléments épars d’un intérieur, dans un mouvement très intrigant entre le dehors et le dedans. Le lac, à l’extérieur, est idéalisé. C’est le lieu d’une enfance merveilleuse. Cet extérieur va être progressivement avalé par la maison. Le spectacle s’achève dans la chambre d’un écrivain en panne, dans un intérieur claustrophobique. Le décor va essayer de raconter une histoire, avec des éléments qui se décomposent et se recomposent.
Fragil : Vous avez choisi la traduction de Antoine Vitez. Que représente pour vous cet homme de théâtre, disparu en 1990 ?
F-B-G : Je me suis intéressé au théâtre après sa disparition, mais j’avais vu des mises en scène de lui au théâtre de Chaillot, notamment son « Hamlet », lorsque j’étais enfant. J’ai souvent travaillé avec des acteurs de Vitez, comme Daniel Martin ou Laurence Roy. C’est avec eux surtout qu’une filiation s’est faite. Sa traduction de La mouette m’a séduite par sa simplicité. J’ai aussi fait mon choix en me souvenant d’un entretien que j’ai lu, dans lequel Vitez considérait sa mise en scène de La mouette comme un semi échec. Ce jugement sur son propre travail est très beau et révélateur de la modestie qu’il faut avoir quand on s’empare de Tchekhov. Il y a du génie dans certains détails, comme les variations météorologiques et les lumières pour dire certaines répliques. C’est cette modestie et la simplicité de la traduction qui m’ont touché.
Chez eux deux rôde une inquiétude de la catastrophe mais chez Tchekhov, elle est contrebalancée par un espoir de rédemption, auquel chacun croit jusqu’au bout, même lors du coup de feu final
Fragil : En 2005, vous avez monté La ronde de Arthur Schnitzler, qui a pour cadre un monde en pleine transformation. La mouette parle aussi d’une société qui change et dont on ne maîtrise plus vraiment les codes. En quoi ces œuvres résonnent-elles avec notre temps ?
F-B-G : Tchekhov comme Schnitzler parlent d’une sorte de lucidité assez équivalente face à un changement de période où le sens échappe. Il y a peut être quelques échos avec notre époque. Les deux auteurs savent exprimer une perte de sens, une sorte d’anorexie du présent. Tous deux ont en commun de dire que face à ce mal de repères, l’attente, même perpétuelle, est une vraie expression de la vie. Chez eux deux rôde une inquiétude de la catastrophe mais chez Tchekhov, elle est contrebalancée par un espoir de rédemption, auquel chacun croit jusqu’au bout, même lors du coup de feu final. La pièce hésite entre comédie et tragédie jusqu’à la dernière phrase. La vie ne tient pas ses promesses et pourtant, les personnages se souviennent, y compris lorsque tout est perdu, d’une promesse de l’enfance. Ils sont toujours portés, même à l’agonie, par l’espoir de réaliser certains de leurs rêves. La contradiction entre la lucidité et la foi en ses idéaux est intacte. Ce n’est ni du cynisme, ni de la morbidité. Il y a quelque chose qui tient de Gogol ou de Comencini, le drame et la comédie dans un même mouvement, ce que l’écrivain américain Fitzgerald résume par cette formule : « tenir en même temps deux idées contradictoires ».
Fragil : Nicole Garcia incarne Arkadina. Comment met-on en scène sa mère ?
F-B-G : Pas si différemment qu’une autre actrice. La pièce a quelque chose d’un peu incestueux…Quand on fait ce métier, on doit mettre en scène une part de soi. Ainsi, demander à ma mère d’incarner le rôle de la mère participe d’un tel acte. Les comédiens doivent être eux mêmes, avec leurs affects, leurs défauts et leur humanité. Le metteur en scène aussi met ses émois dans la partie. J’apporte aussi ma mère. C’est très cohérent.
Fragil : Comment présenteriez vous les figures qui traversent la pièce ?
F-B-G : Ce sont des êtres qui, selon des modalités différentes, s’aiment, mais la décence, liée à la place qu’ils ont dans l’existence, fait qu’ils se blessent continuellement les uns les autres. Ils s’efforcent de tenir leur place contre l’âge, et contre l’adversité.
Fragil : Vous êtes aussi metteur en scène d’opéra. Vous avez présenté, pour Angers Nantes Opéra, Le comte Ory de Rossini (Créé en 2007 et repris à l’opéra de Marseille en mars 2012) et Le barbier de Séville (en 2010). On vous doit aussi une très belle Traviata aux chorégies d’Orange, durant l’été 2009. Abordez vous un texte de théâtre comme un opéra ?
F-B-G : Il y a un certain type d’énergie au théâtre à créer avec les acteurs, alors qu’à l’opéra, elle est donnée par la musique, que j’essaie de traduire en jeu et en images. Le chemin est inverse entre les deux genres, et je ne pense pas qu’il faille faire jouer les chanteurs comme des acteurs. On assiste à une déréalisation à l’opéra, et à cette chose extraordinaire que l’on chante sur scène. Pour reprendre Pascal, l’opéra parle à un autre endroit de la tête que le théâtre. Dans le premier, il y a quelque chose de plus archaïque alors que tout passe par le sens dans le second. Les chanteurs et les acteurs sont des espèces différentes, qui n’ont pas les mêmes angoisses, ni les mêmes joies. Il faut les séduire différemment.
Fragil : Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur ?
F-B-G : J’ai des projets avec Angers Nantes Opéra mais les titres ne sont pas encore arrêtés. A la rentrée 2013, je vais mettre en scène Perplexe de Marius Von Mayenburg, au Théâtre du rond point. Il s’agit d’un auteur allemand contemporain, et ce texte a été monté à la Schaubühne de Berlin l’an passé. Je vais aussi certainement présenter une mise en scène à la comédie française, durant la saison 2013-2014. Des rêves ? J’ai toujours rêvé de créer une comédie musicale, mais ça ne s’est jamais fait.
Propos recueillis par Christophe Gervot
Crédits photos :
Bannière : Solange Abaziou
Centre : Vincent F.
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