
FOCUS
Les 60 ans de la revue Positif
Le dernier festival du film de La Rochelle rendait hommage aussi bien à Agnès Varda, Mathieu Demy qu’à Anouk Aimée. Mais aussi aux 60 ans de la revue Positif : des tables rondes furent organisées par les rédacteurs de la revue (Michel Ciment, Yann Tobin et Hubert Niogret) ainsi que des soirées hommage à certains cinéastes choisis par la rédaction. Rappelons que cette revue fut fondée en 1952 à Lyon par des étudiants de Lettres (dont Bernard Chardère) qui voulait que le cinéma « soit véritablement considéré comme un art.  »
N’oublions pas aussi que cette revue reste toujours actuellement indépendante et autonome de vastes groupes de presse et donc des annonceurs indirectement ; revue provinciale créée à Lyon en 1952 et qui gardera donc toujours un côté non-parisien dans ses critiques ou thématiques.
Cette revue a toujours cherché à trouver un juste milieu entre populisme et élitisme, deux extrêmes de la vie intellectuelle française.
Positif se définit à ses débuts comme une revue ouverte à toutes les tendances ou modes cinéphiliques (et très influencée par le surréalisme).
Une revue plus ouverte sur le cinéma
Dès sa naissance,Positif se veut donc une revue beaucoup moins dogmatique que les Cahiers du cinéma, créée en 1951 ; elle y défend cependant les mêmes politiques des auteurs, cherche à faire connaître de nombreux cinéastes ou scénaristes. Bernard Chardère, un de ses créateurs, développait un des credos de la revue : « tenir un cinéaste pour un auteur-créateur, parler de son style et de sa vision du monde, publier sa filmographie était alors un pas en avant dont il fallait convaincre même les habitués des ciné-clubs. » Positif a ainsi toujours défendu des cinéastes qu’elle appréciait, mis en avant la politique des auteurs (que ce soit pour des cinéastes comme Bunuel, Polanski, Tati, Coppola, Herzog, Lynch ou Campion...).
Ainsi, des années 1950 à aujourd’hui, cette revue a accompagné une cinéphilie exigeante et non-dogmatique, défendu des courants cinématographiques bien précis comme les westerns classiques, les nouvelles vagues de cinéma à travers l’Europe (à partir des années 1960) que ce soit pour le cinéma britannique ou celui des pays de l’Est. Revue qui fait ainsi des comptes-rendus de festivals, défend des cinéastes américains comme Howard Hawks, John Ford, Raoul Walsh ou anglais comme A. Hitchcock. Revue qui fait donc un véritable travail de défrichage lors de festivals ou de séances de diverses cinémathèques, déniche de nouveaux cinéastes ou de nouvelles tendances cinématographiques et met en avant des dossiers ou des cinéastes oubliés (William Wellman, Sternberg, Douglas Sirk...) et même des acteurs ou actrices (Louise Brooks, Marlene Dietrich, John Garfield ou Humphrey Bogart...). Et comme le déclare si bien Michel Ciment, un critique doit savoir « transmettre sa passion, faire découvrir et éclairer sur de nouveaux films ou cinéastes et ne pas hésiter à froisser quelques chapelles ou metteurs en scène installés. »
Et comme pour « les Cahiers », cette revue n’a pas échappé aux grands mouvements politiques de son époque (que ce soit la période Mai 1968 et les années postérieures) sans toutefois tomber dans les envolées maoïstes ou prolétariens de ceux-ci dans les années 1970. Elle a aussi été très influencée par la psychanalyse et le structuralisme de Jacques Lacan comme « grille de lecture » afin d’analyser certains films (cas flagrant de Bunuel, Bertollucci ou Bellochio). Elle a aussi accompagné de grands courants historiques ou cinéphiliques comme l’anticolonialisme ou l’antigaullisme de cette période.
Revue de ciné-club ?
Revue créée en parallèle avec l’explosion des ciné-clubs de l’époque (dans les années 1950), elle en a donc aussi développé certains mauvais côtés (une cinéphilie élitiste et très urbaine) mais a aussi participé au bouillonnement intellectuel et idéologique de l’époque : à savoir le côté « chapelle » (on défend les mêmes cinéastes, on voue aux gémonies d’autres et on considère les rédacteurs des « Cahiers du cinéma » comme de vieux réacs et des flics obtus du septième art ; on s’invective à coup d’éditoriaux et par revue interposée ; bref ça vit, ça s’engueule ouvertement).
En outre, ce qui a toujours constitué une des forces de cette revue, c’est la qualité de ces rédacteurs (avec des gens aussi divers que Michel Ciment, Ado Kyrou, Robert Benayoun, Philippe Rouyer, Hubert Niogret, Bertrand Tavernier ou Gérard Legrand...). Rédaction faite de bénévoles et qui en tire sa force. Actuellement, cette revue tirerait à près de 8000 exemplaires (pour aller quelque fois vers les 12000 exemplaires), avec 4000 abonnés et comme le déclare ses rédacteurs : « nous avons profité malheureusement de la disparition d’autres revues cinéphiles pour fidéliser un lectorat élitiste et universitaire. »
Les différents rédacteurs ont aussi su imposer diverses lignes rédactionnelles que ce soit des gens comme Robert Benayoun (grand défenseur de Jerry Lewis comme auteur), Paul-Louis Thirard, Gérard Legrand et surtout Michel Ciment, venu à la revue au début des années 1960 et pilier (trop important ?) de cette revue, grand défenseur de cinéastes comme John Boorman, Elia Kazan, Stanley Kubrick, Billy Wilder, Joseph Losey ou Terrence Malick.
on s’invective à coup d’éditoriaux et par revue interposée; bref ça vit, ça s’engueule ouvertement
Mais ce qui fait la force et l’originalité de cette revue, c’est qu’elle se voulait ouverte à tous les nouveaux cinéastes et « sans esprit de chapelle » ; elle a ainsi découvert les cinéastes du « nouvel Hollywood » (Soderbergh, Tarantino, les frères Coen ou David Fincher) et de nombreux jeunes cinéastes français à l’orée des années 1990 (comme Desplechin, Lvovsky, Laetitia Masson, Laurent Cantet, Claire Denis...) tout en défendant des cinéastes français de renom (comme Alain Cavalier, Claude Sautet ou Maurice Pialat). Si « les Cahiers » défendent notamment des films qui représentent une dynamique auteuriste et une certaine esthétique visuelle ; « Positif » se veut moins dogmatique dans sa politique éditoriale et s’inscrit dans une démarche cinéphilique classique (faire découvrir des cinéastes, leurs thématiques et placer l’œuvre dans le contexte de création de l’auteur).
Bref, cette revue se porte bien (elle est même passée à la couleur l’année dernière), elle est publiée par les éditions Actes Sud et à l’heure d’internet, conserve un lectorat nombreux et fidèle (ce qui met à mal l’idée que la presse papier et les critiques papier sont condamnés à terme). Ses rédacteurs diversifient leurs positions critiques par non seulement des articles écrits mais aussi des livres d’entretien, des documentaires sur certains cinéastes (Claude Sautet, Billy Wilder ou Mankiewicz...) ou des conférences en France et en Europe.
Ainsi, pour fêter les 60 ans de cette revue, les rédacteurs de "Positif" font le tour de festivals en France (comme dernièrement ceux de la Rochelle ou de Montpellier) et proposent des soirées hommage ou des rétrospectives de films.
Dominique Vergnes
Le dernier numéro de "Positif" est consacré aux acteurs et actrices depuis 60 ans, avec des thématiques sur Philippe Noiret, Alain Delon, Nicole Kidman ou Meryl Streep.
Crédits photos :
Bannière : Michel Ciment en 2010, au salon du livre à Paris
Colonne :
. Dernier numéro en date de la revue Positif avec en couverture Meryl Streep / crédits calindex.eu
. Premier numéro de Positif / crédits calindex.eu
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