
Carnet de bord de l’étranger en soi
Un petit monde pour changer le grand
On y attend beaucoup des étudiants. Les Indian Institutes of Technology sont parmi les meilleures écoles indiennes d’ingénierie. Dans cet environnement qui tend à faire de la vie universitaire un vase clos, on forme ceux qui sont appelés à être les futurs cerveaux du pays. Tour d’horizon de ce à quoi ressemble un séjour sur ces campus, grâce au témoignage de ceux, Français et Indiens, qui en en font l’expérience.
Un écureuil file sur sol, disparaît dans un buisson. Quelques instants plus tard, un magnifique paon déploie son envergure pour, en quelques coups d’ailes, se retrouver perché sur le toit d’une maison. Paysage champêtre ? Non. Le campus de l’Indian Institute (IIT) de Delhi, dans le quartier de Hauz Kasz. Sur ses 130 hectares de superficie, au sud de Delhi, la faune n’est pas qu’estudiantine. « Chez nous aussi, c’est en pleine forêt, il y a des bambis, enfin des faons, des singes, des chiens, des chats… », rigole Lucas de Carvalho, 22 ans, étudiant français en échange à l’IIT de Madras.
A une demi-heure de métro du centre-ville de New Delhi, c’est une vraie petite enclave universitaire où l’on a la possibilité de vivre en autarcie
Il n’y a pas que des animaux dans ces lieux gigantesques. On y retrouve aussi les bâtiments de l’administration, les salles de cours, les logements de fonction administratifs, les hôtels pour étudiants, des terrains de sport, des petits magasins… A une demi-heure de métro du centre-ville de New Delhi, c’est une vraie petite enclave universitaire où l’on a la possibilité de vivre en autarcie. Mais quel est donc ce réseau d’écoles supérieures qui peut se permettre une telle folie des grandeurs ?
Des formations d’élite
Il s’agit tout simplement de la crème de la crème en matière de formation universitaire technologique en Inde (même si l’institution s’est ouverte aux sciences humaines et au management). Par exemple, l’IIT de Delhi a fait son nid sur le podium des meilleures engineering colleges d’Inde, et se situe à la 217ème place des meilleurs universités du monde. De ses treize départements (génie électrique, mécanique, physique, etc.) sont nées bien des carrières d’ingénieurs brillants et de chercheurs d’exception. Moins de deux pour cent seulement des postulants à l’entrée sera effectivement en cours à l’IIT. Les grandes compagnies de ce monde viennent, avant même la fin du cursus, faire leur marché sur les bancs de l’école, via le système des placements.
L’idée des IIT est venue en 1945, soit deux ans avant que l’Inde s’émancipe de la Couronne Britannique. La naissance de ce réseau a lieu à Kharagpur en 1950, où se dresse le premier institut du nom. L’extension est rapide, et chaque nouvelle création d’antenne est l’objet d’un partenariat avec une nation renommée technologiquement et académiquement. Ainsi, l’IIT de Bombay est historiquement liée à l’URSS, celui de Madras (Chennai) à l’Allemagne de l’Ouest, Kanpur aux Etats-Unis, Delhi au Royaume-Uni. Habilement réparties aux quatre coins du pays, ces pôles standardisés ne font pas que former, ils sont aussi engagés dans la recherche.
Au boulot !
Nous, les études, c’est préparer le futur. Tu me parles de sorties et de loisirs, je m’en fiche en considérant le fait que j’aurai une bonne situation plus tard
La renommée est telle qu’un écrivain, Chetan Baghat, y a situé l’action de son best-seller Five point someone. Il y narre une autobiographie romancée de ses années de cancre à l’IIT de Delhi. Au-delà de l’intrigue oscillant entre romantisme bollywoodien et potacherie universitaire, ce livre témoigne d’une valeur de témoignage. « Tous les jours, de huit heures à cinq heures, nous étions enfermés dans ce bâtiment de huit étages, avec cours magistraux, travaux pratiques et séances de laboratoire. Et ça ne comprenait pas les devoirs surveillés ! Chaque matière faisait l’objet de deux interros mineurs, une majeure et trois surprises ; sept devoirs pour six cours, cela en fait quarante-deux par semestre, mathématiquement parlant » explique le narrateur, déjà découragé.
Dans Five point someone, Ryan, un des personnages de Chetan Baghat, s’emporte régulièrement contre cette vie selon lui trop tournée vers les études. « [Ce système] prend les meilleures années, celles les plus fun de ta vie. Mais il te prend aussi quelque chose d’autre. Où y trouve-t-on l’espace pour construire une pensée originale ? Quand prend-on le temps pour développer sa créativité ? Ce n’est pas juste », harangue-t-il son ami le narrateur. Cette rébellion vis-à-vis de l’ordre établi constitue l’un des thèmes du roman… Mais elle ne semble pas prendre sur les campus, où l’atmosphère studieuse règne toujours en apparence.
Rencontré dans un café de Pahar Ganj, Rajput nous affirme que cette focalisation sur le travail universitaire a quelque chose à voir avec une culture indienne, plus qu’avec l’atmosphère de l’IIT. Il nous expose sa philosophie au pragmatisme radical. « Nous, les études, c’est préparer le futur. Tu me parles de sorties et de loisirs, je m’en fiche en considérant le fait que j’aurai une bonne situation plus tard … », tranche cet étudiant en école médicale.
Entre boulot et loisirs
A Delhi, les installations sportives et culturelles sont légion grâce au Student Activity Center (SAC). En se baladant sur le campus, on constate qu’il y a une vraie vie. Sur le terrain de sport jouent des enfants de tout âge, à côté se baladent des mamans en poussette (les familles de l’administration et du corps professoral habitant sur place). Des étudiants, évidemment, qui disputent un match de volley endiablé ou font leur footing autour de l’aire de cricket.
Comme Sambhav, on rencontre des hockeyeurs, des basketteurs, qui disent arriver à composer entre distractions et travail. Mais il faut être un sacré bosseur, tout de même. Jérôme de Roaldes, étudiant français en échange à l’IIT de Madras, pose un regard halluciné sur les qualités de travail de ses camarades indiens. « Ils ont une puissance de calcul mental impressionnante, beaucoup travaillent sans calculette, avec juste une feuille pour les racines carrées. Pour le travail aussi, ils sont rapides… Par contre, ils bossent comme nous : à la dernière minute ! » sourit l’élève de l’ESTACA, école d’ingénieurs basée à Levallois-Perret.
Sambhav, en première année de génie électrique à l’IIT de Delhi, essaie de casser ce mythe. « J’ai ressenti de la pression au début pour bosser, mais je m’y suis fait. Et j’arrive à avoir une vie à côté, comme pas mal de gens. Je joue dans un groupe de musique, il y en a cinquante sur le campus ! », explique le guitariste de métal. Se priver de loisirs pour mettre le paquet sur les études, c’est surtout en amont de l’IIT. « On a vraiment travaillé très dur pour en arriver là. Mais une fois qu’on est rentré, on peut se permettre d’être plus relax », constate Abhishek, qui étudie le génie mécanique.
Vase clos mais… vase cool !
Une formation d’élite où il faut sévèrement bûcher, un espace clos, l’IIT aurait tout pour inspirer des craintes concernant l’ambiance et la camaraderie. Des a priori qui ne se vérifient pas vraiment, selon l’expérience de nos français de Chennai. « Vu de l’extérieur, on a l’impression que tous les espoirs de la nation reposent sur l’IIT, et il y a une certaine fierté d’y appartenir, surtout quand on est dans certains départements prestigieux. Mais il n’y a pas pour autant une ambiance de compétition entre eux. Ils vivent en permanence entourés de gens qui font la même chose qu’eux, donc ils ne peuvent pas faire du "moi je" », rapporte Lucas, venu lui aussi de l’ESTACA.
Ici, particulièrement dans les matières sciences et technologie, le prof, c’est Dieu
Et si jamais compétition il y a, elle s’efface devant une figure tutélaire du savoir : le prof. « Ici, particulièrement dans les matières sciences et technologie, le prof, c’est Dieu. Surtout, pas de débat ! Ça fait une sacrée différence avec la France où on te demande plus d’esprit critique. A l’IIT, s’il y a une question, il n’y a qu’une réponse possible », pense Jérôme. Bien que les propos soient assez peu nuancés, ils sont révélateurs d’une certaine culture indienne. « Les profs sont en attente de respect, on doit faire preuve de politesse, c’est normal. On peut parfois discuter mais ça dépend vraiment des enseignants ! », analyse Kanika, qui prépare son doctorat en génie électrique à Delhi.
La très grande majorité des étudiants vit sur le campus, hébergé dans les résidences universitaires appelées hostels. Filles d’un côté, garçons de l’autre. La vie dans ces lieux est bien entendue réglementée, mais pas autant que sur d’autres campus. Des étudiants du Birla Institute of Management and Technologie, au Nord de Delhi, nous confiaient qu’ils devaient justifier toute absence de leur logement, avec des horaires très stricts. Ici, c’est un peu plus tranquille. Tarum, du département textile, est en tout cas de cet avis. « Pas de restrictions, tu fais ce que tu veux… Par exemple, il est interdit de boire de l’alcool, mais tout le monde le fait dans les chambres. C’est relativement cool ! Chetan Baghat s’est inspiré de l’IIT de Delhi, mais ça reste une fiction ! ».
Benjamin Mocaer
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