
PORTRAIT
Phia Ménard : histoire d’une identité retrouvée
Dans un univers singulier, Phia Ménard nous fait découvrir une installation-performance qui va au-delà des cadres imposés tant par la société que par nous autres, individus. Se découvrir, revendiquer son «  a-normalité  », combattre les démons qui sont en nous et muer jusqu’à devenir l’être humain que nous sommes, sans peur de stigmatisation. C’est le propos de Vortex, où Phia Ménard joue autant avec que contre le vent.
Vortex. Ce mouvement tourbillonnaire est retranscrit par une scène à 360°, un ring circulaire, une arène autour de laquelle chaque spectateur se retrouve face aux autres et à leurs regards. Un espace rendu intimiste, qui créé une atmosphère particulière, où tous sont proches du plateau et de ce qui va s’y passer. Un homme disproportionnellement gros, habillé d’un costard-cravate, caché derrière un masque blanc et sous un chapeau noir coupe et colle minutieusement un sac plastique pendant que chacun s’installe. Une fois sa création terminée, le plateau s’assombrit et le plastique est posé au centre du plateau. Les ventilateurs placés tout autour de la scène s’allument et le vent ainsi créé, titille la matière, jusqu’à insuffler la vie au matériau. Une poupée de plastique commence alors à danser gracieusement sur le plateau et, après plusieurs tentatives, s’envole. Commence alors un ballet de poupées colorées, tour à tour lancées dans le vent par l’homme, « archétype d’un corps social qui rend invisible l’individu ». La magie opère et tous sont éblouis par cette entrée en matière étonnante et majestueuse. Pourtant si éphémère.
« Sous combien de couches nous recouvrons-nous pour paraître au monde ? »
Toute la performance de Phia Ménard se révèle au fur et à mesure de l’évolution de son personnage. La naïveté et l’infantilité du vol des poupées laissent vite place à la découverte d’une toute autre ambiance. L’homme, après avoir joué avec les sacs de couleurs, après les avoir aimés en les câlinant innocemment, finit par les déchirer, les écrabouiller avec violence. Le spectateur découvre alors une autre forme du personnage, qui enlève son costume pour laisser entrevoir une autre « couche ». Une couche de plastique blanc, le recouvrant de la tête au pied et laissant transparaître des formes féminines. L’homme est donc une femme. Chaque transformation suit le même parcours. L’être souffre de chacune de ses métamorphoses, reste faible devant la nouvelle partie de lui qu’il découvre violemment. Malgré cette faiblesse, le personnage finit par se relever, puis par errer sur le plateau en tournant et en se touchant pour comprendre quel est ce nouveau corps qui est le sien. Comprendre ce que nous sommes vraiment, voilà ce à quoi Phia Ménard nous renvoie. À quel point notre réelle identité est enfouie sous une surface tant codifiée par les normes établies ? Ce qui est sûr, c’est que l’artiste nous invite à lutter contre ces uniformes qui nous recouvrent ; reflets d’une société évitant tout tabou. Chaque transformation en laisse entrevoir une autre possible. Et le personnage se bat et extirpe de son corps la moindre trace d’une quelconque couche superficielle, faite de plastique, qui s’envole alors dans un tourbillon. Chaque transformation est un combat. Un combat pour la liberté d’être ce que nous sommes vraiment. Quand Phia se découvre enfin, sans superflu, elle est apaisée et laisse le spectateur sur cette impression de sérénité de se trouver enfin comme l’on est vraiment.
Le vent, élément central et pourtant instable
Quand le plastique évoque les poubelles ou la pollution, le vent évoque le froid, l’incontrôlable. Deux éléments qui se rencontrent dans Vortex et qui font autant partie du spectacle qu’ils ne font le spectacle. C’est l’humain qui doit s’adapter au vent, et non l’inverse. Et dans la performance de Phia Ménard, le vent n’est jamais complètement apprivoisé. Il garde sa part de mystère et son contrôle ne reste que léger. Après trois années de travail et de test sur le vent, Phia Ménard arrive à un résultat sans pareil, où le souffle des ventilateurs parvient à représenter le beau comme la peur. Les poupées ne sont qu’une partie infime de ce que Phia Ménard a réussi à créer avec cet élément si éphémère. Chacune de ses transformations donnent à voir une nouvelle création. Le plastique est omniprésent mais apparaît à chaque fois sous une forme différente. Tantôt noir, tantôt transparent, tantôt opaque, l’effet rendu à son contact avec le vent varie étonnamment. Toutes les couches qui recouvrent le personnage de Phia Ménard finissent par s’envoler et connaissent une seconde vie. Ces masses de plastique s’émancipent de leur créateur, l’être humain, et s’en vont tourbillonner dans l’espace scénique, libérées. Une manière poétique de montrer notre impuissance face à la nature mais également de dénoncer ce que nos modes de vies mettent au jour ; du superflu qui, enfin rebuté, nous rend être humain à part entière.
Un coming out artistique et engagé
Une manière poétique de montrer notre impuissance face à la nature mais également de dénoncer ce que nos modes de vies mettent au jour ; du superflu qui, enfin rebuté, nous rend être humain à part entière
Aborder le thème de la transformation n’est pas anodin pour Phia Ménard, qui n’a pas toujours été celle qu’elle est aujourd’hui. Simplement parce que, jusqu’en 2008, elle était il. Philippe Ménard, comme c’est encore inscrit sur ses papiers d’identité. C’est en 1994 qu’elle commence à apprendre à jongler au coté de Jérome Thomas, rénovateur reconnu de l’art du jonglage. En 1998, elle crée sa compagnie Non Nova, dont le nom s’inspire d’un proverbe latin « non nova, sed nove » (« Nous n’inventons rien, nous le voyons différemment »). L’idée était bien là : « porter un regard différent sur l’appréhension de la jonglerie, de son traitement scénique et dramaturgique ». Après la mise en place de nombreux projets pluridisciplinaires, tous menés sous la direction artistique de Phia Ménard, le projet I.C.E voit le jour en 2008. Le processus Injonglabilité complémentaire des éléments se fonde sur un questionnement artistique qui fait écho à la notion de transformation de la matière mais également de la transformation corporelle. Il a démarré avec le spectacle P.P.P. (Position parallèle au plancher) avec comme point de départ le travail de la glace et de ses transformations : « de la glace à l’air, en passant par l’eau et la vapeur ». « Dans une société en manque d’utopie où le virtuel tend à dominer l’imaginaire, je décide de pousser la jonglerie dans sa performance physique avec une matière pour éveiller les sens, ceux qui nous rappellent que nous sommes vivants », affirme-t-elle. Phia Ménard ne cherche d’ailleurs pas à ce que le spectateur vienne voir un spectacle mais à ce qu’il vienne vivre un spectacle. Vortex fait partie de ce processus de questionnement, de performance et tente d’être objet politique en essayant de traiter de la question du trans avec le public. L’artiste est ouverte aux discussions par rapport au sujet de la transformation et de sa transformation. Elle aime considérer le spectateur comme penseur et souhaite qu’un jour la transsexualité ne soit plus taboue, que personne ne soit plus jugé pour quelque chose qu’il est, fondamentalement. Un combat qui ne semble pas désespéré lorsque l’on voit qu’en Argentine, une loi permettant aux transsexuels et travestis de choisir librement leur genre a été approuvée par le Sénat, le 10 mai dernier.
Lisa Guérin
Crédit photos : Jean-Luc Beaujault
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