
CARNET DE BORD DE L’ETRANGER EN SOI
Le pvtiste, cet animal social
Les rencontres. Sà »rement l’une des raisons les plus invoquées pour justifier le voyage. D’autant plus avec le PVT : le séjour, véritable expatriation temporaire, nécessite de se refaire un cercle relationnel. La forme de celui-ci dépend de choix initiés par le pvtiste, comme le mode de déplacement, l’environnement urbain ou rural... Et les atomes crochus ! Ceux-ci lient bien souvent des personnes semblables dans leur parcours.
C’est à quelques encablures d’un festival baba-cool que je le rencontre. Petite vingtaine. Cheveux longs et attachés en queue de cheval. Français : du coup, il m’intéresse. On en arrive à parler d’EES. Discussion aux accents opportunistes, car pour ma part, le but pas encore avoué est d’obtenir quelques minutes d’entretien. « Je ne comprends pas vraiment... Pourquoi tu ne parles que des Français ? », demande-t-il de sa voix jeune et un peu traînante.
Allemands, Français, Américains, Britanniques, et tous les autres : presque frères de visa
Je me fais pédagogue sur ce parti-pris. J’explique la nécessité d’une définition la plus déterminée possible. Je parle d’unité culturelle. J’évoque les différences d’accords vacances-travail selon les pays. La cohérence avec les autres chapitres du projet, au centre desquels il est toujours question d’une nationalité précise. Mais rien. Il n’adhère toujours pas ; pour lui, les pvtistes sont « tous pareils ». Allemands, Français, Américains, Britanniques, et tous les autres : presque frères de visa. Une opinion pas si étonnante que ça. Car dans les faits, ils vivent très souvent ensemble.
Les afflux massifs
Et cela commence bien souvent par la venue à plusieurs. On a déjà parlé dans ce chapitre des couples qui ont décidé de faire l’expérience ensemble. Il y a aussi ceux qui viennent entre amis. Le plus souvent à deux. Rarement au-delà, malgré le souvenir de ces quatre allemands, rencontrés à Whitianga, voyageant ensemble depuis Francfort : « C’est juste pour le début, bientôt on se sépare », expliquaient-ils. Se séparer. Pour rencontrer d’autres gens. Bien souvent des pvtistes, encore. Surtout si on fait des choix de vie assez répandus. Comme celui de suivre les jobs saisonniers, et de prendre la voie de l’emblématique « fruit-picking » (cueillette agricole). Et ceux dont l’existence se déroule dans les vergers et les champs n’ont pas fini de se fréquenter, si l’on en croit Grégoire. Le Parisien de 26 ans croit comprendre comment cela se joue.
« C’est pas super simple de trouver du boulot en ville. J’ai l’impression que beaucoup essayent et se cassent un peu les dents. Du coup, ils vivotent à la campagne en cherchant du fruit-picking parce que c’est plus facile... En tout cas à trouver ! », explique l’ancien étudiant en géographie.
Assis sur le mauvais canapé d’une auberge de jeunesse de Motueka, il continue son raisonnement : « ça provoque des gros afflux au même moment dans les mêmes régions, et on se retrouve avec des auberges de jeunesse blindées de gens en working holiday visa ». Parce que c’est souvent l’hébergement le plus simple, plus flexible qu’une location d’appartement, et pour un prix assez modique.
Cherche douche et discussion
Mais Grégoire, comme beaucoup d’autres de ses congénères, a un van aménagé. Quel besoin d’aller en auberge de jeunesse ? « Bah, déjà, la douche, tous les trucs portant sur l’hygiène. C’est un certain confort, tu as un peu plus d’espace que tes quatre mètres carrés où tu fais la bouffe, où tu dors et tu manges. (...) J’avoue, il y a aussi le fait de voir du monde. Si tu bosses dans certains coins de l’Île du Sud, tu es bien content d’avoir des gens à qui parler le soir plutôt qu’un camping désert ! ». Et les auberges de jeunesse l’ont bien compris. Elles proposent des tarifs spécifiques pour ce public. Vous voulez dormir dans un dortoir en dur avec une douzaine de ronfleurs potentiels ? Le prix moyen est de 25 dollars la nuit. Vous voulez dormir dans votre camion en profitant de toutes les commodités du bâtiment ? C’est dix dollars de moins.
Tout le monde n’a pas la chance (ou l’envie) de posséder un de ces véhicules gloutons en essence que sont les campervans. Ni la volonté de suivre la « transhumance » des pvtistes, comme l’appelle en plaisantant un ami de Grégoire. Son nom, c’est Alex - « c’est pas un diminutif, hein, c’est mon vrai prénom ». Il travaille depuis deux mois à ramasser des pommes dans une entreprise à deux pas de Motueka. Selon ce grand blond bien gaillard, s’il y a bien un lieu de socialisation évident, c’est le travail.
Nouer le lien avec les Kiwis
« Dans la boîte où je bosse, le staff est majoritairement kiwi. Du genre 70/30. C’est pas super simple de nouer contact avec eux. (...) Mais si tu restes longtemps comme moi, les mecs se détendent, tu finis pas aller boire des verres chez eux... La semaine dernière, j’étais à un barbecue-anniversaire, je peux te dire que c’était loin d’être une ambiance relations pro ! », sourit l’élève-ingénieur « en transition ». Clément, voisin d’Alex tant sur le plan régional que sur celui du canapé, opine du chef. Il faut s’accrocher pour faire ami-ami avec les locaux. « Un peu partout où j’ai bossé, j’avais en général plus de chances de me faire des potes allemands que kiwis », constate-t-il.
Le Palois n’en sort pourtant pas plus frustré que ça. Les relations avec des kiwis authentiques, il en a eu des bonnes doses. En particulier, avec le woofing, qui selon lui permet beaucoup plus d’échange avec les locaux. Clément en a beaucoup fait au début de ses aventures en terre kiwi, début juin 2011. Et il en a, des anecdotes : des histoires de pêche miraculeuse, d’anniversaire dans une serre, de quad tombé en panne au milieu de nulle part. Avec en fil rouge la sympathie des fermiers.
des histoires de pêche miraculeuse, d'anniversaire dans une serre, de quad tombé en panne au milieu de nulle part. Avec en fil rouge la sympathie des fermiers
« Je crois qu’avec le woofing, tu es considéré, c’est important, surtout comparé à d’autres conditions de travail ici. Au début, c’est toi qui rentre en contact avec eux, les gens t’acceptent ou non selon leurs envies et dispos. Et là-bas, on n’est pas noyé dans la masse. En général, j’avais une chambre, ma propre salle de bain, j’étais un peu chez papa-maman », raconte-t-il avec dans les yeux une petite brume de nostalgie. « Sur les quatre différentes fermes que j’ai faites, j’ai eu que des bonnes expériences. J’ai peut-être eu de la chance ! Le deal, c’est que tu bosses environ cinq heures par jour. (...) On ne te demande pas d’avoir fini le taf, juste de faire tes heures. Au final, tu passes beaucoup de temps libre avec les fermiers, et avec les quelques rares autres woofeurs... », explique Clément.
Le woofing a pourtant un certain impact sur la sociabilité. Généralement dans des aires très rurales, les fermes ne sont a priori pas des modèles d’animation festive. Un petit côté qui peut manquer. Grégoire s’en est aperçu avec ses dix jours de woofing dans la région d’Auckland mi-octobre. « Je m’y suis fait, mais juste des fois tu as envie de rencontrer du monde, de boire des coups... Et tu as des contraintes, par exemple si les fermiers sont végétariens, tu dois t’adapter », nuance-t-il.
La ville et ses colocations
Le marketing touristique national a beau jouer la carte des grands espaces, ne croyez pas qu’il n’y a rien d’autre que des terres magnifiques et vierges en Nouvelle-Zélande. On y croise, je vous le donne en mille : des villes. Les pvtistes sont loin de les bouder, et cela engendre évidemment une vie sociale différente. Ne serait-ce que pour l’hébergement : nombre d’entre eux font le choix de la colocation.
Avec un loyer à la semaine et des offres en pagaille sur les sites spécialisés, ce n’est pas trop dur de se trouver des « flatmates » et l’appartement qui va avec. « Ma coloc, elle change assez souvent. Je dirais qu’on a un départ et une arrivée toutes les deux semaines depuis que je suis arrivé y’a deux mois et demi. Très souvent des travailleurs saisonniers, et trois fois sur quatre des étrangers ! », raconte Estelle, Normande arrivée à Auckland en novembre. Une tendance lourde confirmée par Paul, lui aussi installé dans la ville. Lui connaît une location depuis plusieurs mois, avec beaucoup moins de départs... Mais tout autant d’étrangers : un seul kiwi d’origine au compteur. Pour lui, c’est devenu « comme une petite famille ! ». Il fait plus que partager le loyer avec eux : boire des verres après le boulot est devenue une habitude, tout comme aller « se poser » sur les plages d’Auckland les jours de repos.
Le côté cosmopolite et saisonnier des colocations n’est pas seulement l’apanage des « grandes » villes. Queenstown, sur l’Île du Sud, avec ses 10 000 habitants et son importante activité touristique, peut faire tout aussi bien qu’Auckland. J’ai en effet pu rentrer dans un appartement occupés par une dizaine d’Allemands, Japonais, Australiens, et même, tenez-vous bien, un Néo-Zélandais ! Un point commun : tous saisonniers.
Une vie sociale mouvante
Dans cet appartement tout près d’une zone commerciale, mon hôte Dylan m’explique le fonctionnement. « Ça change très souvent, ici ! Mais même si on ne se connaît pas depuis longtemps, on fait toujours beaucoup la fête », avoue avec entrain l’Australien, travaillant dans l’installation de murs d’escalade. Les têtes défilent, l’ambiance reste. Et c’est peut-être bien le plus petit dénominateur commun aux expériences relationnelles en PVT. La fugacité de ces phases de sociabilité. Car ici beaucoup de choses s’évaporent vite : les contrats de travail, les kilomètres sur la route, les loyers hebdomadaires... Avec un rythme de vie aussi rapide, les pvtistes peuvent donc faire des dizaines et des dizaines de rencontres, kiwi ou non, compatriote ou citoyen d’ailleurs, travailleur saisonnier, touriste ou autre. Tout leur est permis. Mais pas de se lier trop longtemps : à visa temporaire, relation temporaire.
Benjamin Mocaer
Le reportage de Benjamin Mocaer en intégralité sur le site de l’Etranger en soi.
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